La page blanche

Edito

Par Jean Poletti

On efface tout et on recommence ? À l’orée de chaque nouvel an, un leitmotiv similaire embrase l’inconscient collectif de souhaits pétris de présages. Dans le tumulte d’un État, ponctué de bruit et de fureur, la Corse aspire modestement à sa part de mieux-être. Le calendrier à peine effeuillé est riche d’espoirs renouvelés, dans un avenir espéré plus radieux. La part d’utopie que concrétisent les formules rituelles qu’on s’échange en cette période échappe à l’analyse rationnelle. Tant mieux. Car comme dit le philosophe « vouloir c’est souvent pouvoir ». Et dans cette incantation, qui rejoint la prière laïque, palpite et se dessine ce goût du bonheur, dont Ferrat disait qu’elle rend les lèvres sèches. Et Brel comme en écho d’affirmer que la volonté des êtres peut atteindre l’inaccessible étoile.

Notre île, ballottée par de néfastes vagues, ployant sous le joug de la misère et minée par des fractures territoriales qui la défigurent est-elle condamnée à se briser sur quelque mur aux lamentations ? Nullement. À condition toutefois que les vœux d’usage et traditionnels ne demeurent pas cette fois-ci lettre morte. Éphémère. Ayant voix au chapitre l’espace de quelques jours, avant d’être emportées par le vent de l’oubli.

Au cœur d’une population parfois assaillie de désespoir, souvent défaitiste, quelquefois fataliste, ces jours qui symbolisent le renouveau sont à maints égards un élan collectif pour une société plus radieuse. Celle qui parviendrait enfin à fondre dans un même creuset l’essor économique et la justice sociale. L’enjeu insulaire peut et doit transcender la dictature des doctrines. Une volonté commune de tracer le chemin du futur nécessite d’en finir avec ces clivages surannés, fonds de commerce d’une certaine vision politique. En ces temps de messages fraternels qui touchent l’âme et séduisent l’esprit, une parenthèse enchantée s’étend du Cap à Bonifacio, des villages de haute solitude au littoral. Et si guidés par le volontarisme et la raison cela devenait intemporel ? Inscrits au fronton d’une communauté, comme un refus de la fatalité ?

Les avocats du diable auront beau jeu de dire et marteler que cela n’est qu’hypothèse d’école et lubie de doux rêveurs. Sans doute. Mais osons rétorquer à ces contempteurs que bien souvent l’utopie fut synonyme de bouleversements sociétaux.

Certes, nul ne peut imaginer que demain on rasera gratis. Qu’il suffira d’un coup de baguette magique pour transformer le vil plomb en or. Mais prendre date. S’inscrire dans une démarche collective serait sans conteste un premier pas vers la réussite d’une région semblable et différente des autres. Et que chacun appelle de ses vœux.

A contrario, s’en tenir au gré du calendrier aux embrassades et formules sans lendemain équivaudrait à entériner le célèbre Corsica ùn avérai mai bè. Fouler aux pieds un tel présage, l’ensevelir sous la dalle d’un destin épanoui, vaut la peine d’essayer. Gageons que Pascal Paoli ne s’en serait pas offusqué.

D’une année, l’autre, il se dit et se répète que l’île est à un tournant. Disque rayé, terme inaudible à force d’être galvaudé. Et pourtant des signes diffus ou clairement perceptibles indiquent qu’elle décroche et tend vers un point de non-retour. Peut-on parler de vivre ensemble quand une personne sur cinq vit sous le seuil de pauvreté ? Est-il concevable de tirer des plans sur la comète environnementale lorsque le petit commerce s’étiole que le chômage devient une plaie béante et que sous le soleil se consume la misère ?

De cela chacun est conscient. Les yeux se décillent. Sans clouer personne au pilori, il serait opportun de souligner que la responsabilité est collective. Chacun doit apporter sa pierre à l’édifice pour bâtir enfin cette maison corse sur des fondements solides. Cela s’appelle la citoyenneté. Ce beau mot qui incite le peuple à ne plus être simple témoin, mais véritable acteur du changement.

In tantu bon di, bon annu è bon capu d’annu. Pace è salute per tuttu l’annu.

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