La LICRA en Corse

Une nouvelle étape dans la lutte contre les discriminations

L’ouverture d’une antenne régionale de la LICRA en Corse marque un tournant dans le combat contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations sur l’île. Porté par des personnalités engagées, ce projet s’inscrit dans une volonté de faire résonner les valeurs d’universalisme au cœur des spécificités insulaires.

Par Caroline Ettori

Pour Bruno Questel, Marie-Hélène Fabiani, Anna-Maria Sollacaro et Jérôme Paoli, membres fondateurs de l’antenne de la LICRA en Corse, cette nouvelle structure s’est imposée naturellement. « La LICRA existe depuis 1929. C’est la première association à avoir combattu l’antisémitisme et le racisme, au niveau international et rappelons qu’elle s’est opposée au nazisme dès 1936. Il semblait nécessaire qu’elle ait une antenne en Corse », rappelle Marie-Hélène Fabiani, avocate engagée dans différentes instances de représentation juridique, de l’Union des jeunes avocats de Paris au conseil national des barreaux en passant par l’association des Corses du Palais ou encore par le conseil de l’ordre des avocats de Paris.

Une conviction partagée par l’ancien député LREM de l’Eure et lui aussi avocat Bruno Questel : « Porter les valeurs de la LICRA en Corse nous est apparu comme une évidence. Au-delà des questions de racisme ou d’antisémitisme qui touchent la Corse, nous souhaitons porter notre réflexion et nos actions futures sur la spécificité insulaire et les difficultés auxquelles peuvent être confrontés les Corses dans leur quotidien. Je pense particulièrement à la question des personnes incarcérées loin de leur famille sur le continent et à cette forme de double peine qui frappent les familles. C’est par exemple, à mes yeux une forme de discrimination qui frappe la Corse. »

Anna-Maria Sollacaro, également investie dans la création de l’antenne, insiste sur l’importance de « créer un pont entre l’universalisme des valeurs républicaines portées par la LICRA et la réalité concrète vécue par les habitants de l’île ». Une réalité qui trouve un écho dans les raisons de son engagement. « Mon engagement repose sur une conviction profonde : aucune société ne peut être libre ni apaisée si elle tolère l’exclusion, l’humiliation ou l’injustice. La Corse, parmi d’autres, est traversée par des tensions et des fractures. Je crois au pouvoir de l’éducation, du dialogue et de la culture pour construire une société plus fraternelle. »

Même résonance chez Bruno Questel, qui voit dans ce nouvel engagement un prolongement naturel après trente années d’action politique. « Je souhaite désormais consacrer mon temps et mon énergie à une association d’utilité publique qui incarne mes valeurs et idéaux humanistes, tournée vers le dialogue et le respect des différences. »

Une Corse à la croisée des combats

Si tous reconnaissent que la Corse partage avec le reste du pays les défis liés au racisme et à l’antisémitisme, ils insistent également sur des réalités locales. « Parmi celles-ci, une forme de racisme anti-Corse, souvent banalisée voire niée, qui alimente les stéréotypes, les propos méprisants et les discriminations à l’encontre des Corses, notamment lorsqu’ils revendiquent leur culture, leur langue ou une autonomie de pensée. Ce phénomène mérite d’être reconnu et combattu, car il touche à la dignité d’un peuple et à l’égalité de traitement. D’autres discriminations, liées à l’origine, à la précarité ou à l’appartenance religieuse, touchent également des habitants de l’île : notre rôle est de les identifier, de les documenter, et d’y répondre de manière structurée », affirme l’avocate Anna-Maria Sollacaro.

Une plaidoirie que Bruno Questel résume ainsi : « Apporter du sens au vivre-ensemble passe également par le rappel des valeurs d’universalisme et du respect de toutes les origines ou religions. La Corse a toujours été en pointe dans les combats pour la défense de ces valeurs. Par la présence de la LICRA sur son territoire je pense qu’elle sera plus forte, donc plus belle encore. »

L’occasion pour Marie-Hélène Fabiani d’insister sur le potentiel humaniste de l’île : « La Corse a été le laboratoire des Lumières au 18e siècle et j’aimerais qu’elle devienne un exemple de vivre-ensemble. Cela va vous paraître fou, mais rappelez-vous la citation de Jean-Jacques Rousseau : “J’ai quelque pressentiment qu’un jour cette petite île étonnera l’Europe.” Et si notre société corse étonnait l’Europe et le monde par ses valeurs d’universalisme ? »

Priorités et ancrage local

Les premiers mois seront consacrés à une démarche de terrain qui aura pour objectif de se rapprocher des différentes composantes de la société civile. « Nous envisageons de travailler avec les milieux scolaires, associatifs et institutionnels pour souligner notre engagement également pour le cas échéant rappeler les lois, règles et objectifs du vivre-ensemble », précise Bruno Questel. Une ambition qui ne pourra être atteinte qu’à travers une collaboration étroite et un dialogue permanent avec les acteurs du quotidien. « Nous formons le vœu que ces interlocuteurs deviennent nos partenaires dans l’action, principalement auprès des jeunes mais aussi auprès des collectivités locales », ajoute Bruno Questel. « Le tissu associatif est riche et engagé : il est essentiel de ne pas dupliquer, mais de compléter. La LICRA peut apporter son expertise, son réseau, sa capacité à porter un message clair dans l’espace public », souligne Anna-Maria Sollacaro.

Jeunesse et histoire comme leviers

Par ailleurs, les fondateurs misent sur l’éducation et la culture pour sensibiliser les jeunes en particulier. « On ne naît pas raciste ou antisémite, on le devient. Il est donc important d’éduquer les jeunes à nos valeurs d’universalisme. Et en Corse, c’est assez facile, il suffit de puiser dans notre histoire. Un exemple : au 18e siècle, alors que la population juive est stigmatisée dans une partie de l’Europe, et pourchassée dans l’autre partie, Pascal Paoli accorde le droit de vote à un marchand juif de L’Île-Rousse. Nous sommes alors en 1767 ! Sans faire du « corso-centrisme », il est possible de sensibiliser la population locale en leur rappelant simplement nos valeurs », s’anime Marie-Hélène Fabiani.

« Les jeunes sont au cœur de notre action. Nous voulons leur donner des outils pour comprendre, résister et agir. Cela passe par l’éducation, l’intervention dans les établissements scolaires, des projets culturels ou artistiques, et une présence active sur le terrain. Nous souhaitons valoriser la diversité des parcours, déconstruire les préjugés, et affirmer que l’identité corse est parfaitement compatible avec les valeurs d’ouverture, de tolérance et de justice », complète Anna-Maria Sollacaro.

Dans leur nouvelle mission, tous savent qu’ils pourront compter sur l’appui de la structure nationale : « La LICRA nationale nous a soutenus dans notre volonté de porter ses valeurs en Corse. Nous serons en lien permanent avec elle et avec son président Mario Stasi qui nous accompagnés dans la réflexion. Nous inscrivons donc notre action dans les pas de la LICRA nationale pour qu’en Corse comme partout où elle est représentée la tolérance prime sur le rejet, l’écoute sur les cris, le respect sur le mépris. »

Réussir, cest fédérer

Mais la réussite de cette antenne régionale ne se mesurera pas seulement en chiffres. Pour Bruno Questel, une forte adhésion des insulaires à la démarche et aux valeurs portées par la LICRA sera un indicateur fondamental. Une capacité à fédérer essentielle pour Anna-Maria Sollacaro. « Si dans quelques années, la parole raciste ou méprisante envers les Corses comme envers toute autre communauté devenait socialement inacceptable, alors nous aurons avancé », résume l’avocate. Enfin, leur consœur Marie-Hélène Fabiani n’hésite pas une seconde. Quel serait l’indicateur de réussite pour cette antenne régionale dans les prochaines années ? « Qu’on nous prenne en exemple. »

En s’implantant en Corse, la LICRA ouvre un espace nouveau de dialogue, de reconnaissance et de lutte contre les discriminations. Une antenne qui se veut fidèle à l’esprit fondateur de l’association, mais résolument ancrée dans les réalités de l’île.

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