La complainte de Noël

Edito

par Jean Poletti

Elle est ternie la belle houppelande rouge. Noircie l’image de la neige et son traîneau de rennes. Suranné le vers de Rimbaud « les yeux tout rayonnants comme aux grands jours de fête». Chassé par celui d’un Hugo clamant «voici venir l’hiver, terreur des pauvres gens ». En ces périodes où profane et religieux s’entremêlent, l’angoisse brise la quiétude et altère l’harmonie. Tino Rossi a beau fredonner son éternelle chanson, la triste réalité transperce les consciences. Cette fois l’évidence souille un instant d’union collective. Et bat en brèche la rituelle incantation d’une paix sur la terre aux hommes de bonne volon- té. Inflation, hausse des prix, spectre de la récession et autres maléfices clouent la société au mur des lamentations. Comme pour exorciser le mal, des analystes de circonstance déblatèrent à l’envi sur l’Ukraine, la folie du nouveau tsar de Russie, la géopolitique ou des industriels deve- nus profiteurs de guerre. La stratégie élyséenne est aussi sur la sellette. Elle englobe notamment la fermeture de centrales nucléaires, dévolue à satisfaire au lobby écologiste et à l’absence de doctrine pour traverser les intenses turbulences. Mais ce panel de griefs ou de constats factuels ne sont qu’écume des choses et des évé- nements. L’essentiel est ailleurs. Dans un libéralisme débridé, celui que prônait Tocqueville et son laisser-faire, l’essor collectif s’est asséché, laissant une poignée de multinationales s’accaparer une grande partie des ri- chesses. La dérégulation financière entra en résonance avec des dictateurs aux petits pieds qui profitèrent de l’aubaine pour mettre le feu aux poudres. Pis encore, d’aucuns saisissent cette expectative généralisée pour imposer la loi d’un prophète, supérieure à celle des hommes. Et à la démocratie. Le gâchis est énorme. Nous n’en sommes malheureusement qu’aux prémices d’un intense bouleversement qui se prépare sournoise- ment. Dans une sorte de folie consumériste s’est ouverte la boîte de Pandore. Celle qui délivre fréquemment de mauvaises surprises. Le progrès qui aurait dû être synonyme de mieux-vivre s’est mué en désastre. Laissant pousser à l’ombre d’une économie sans éthique des tyrans en uniforme, costume ou soutane. L’homme naît naturellement bon et heureux, c’est la société qui le corrompt et le rend malheureux. L’affirmation de Jean- Jacques Rousseau transcende le temps et renaît avec acuité des cendres de l’aveuglement. Des voix plus récentes alertèrent sur cette course à la débâcle. Elles prêchèrent dans le désert. Cette série de digressions est-elle inappropriée dans les festivités de Noël ? D’aucuns sont fondés à le penser. Mais ne témoignent-elles pas avec acuité le symbole flétri d’un instant dans l’année où le peuple dit son aspiration au bonheur? Le marasme devenu sociétal ne renvoie-t-il pas cette parenthèse, qui se voulait enchantée, au rang de stériles incantations et rituels inutiles? Loin de nous la volonté, fut-elle diaphane, de jouer les Cassandre. De briser l’indicible moment au pied du traditionnel sapin ou des familiales agapes. Pourtant entre rêveries et lucidité, l’évidence s’impose. Avec la précarité qui s’accroît les guirlandes sembleront tisser une toile d’amertume et de craintes diffuses. Ici aussi, u natale beatu ne sera pas une nuit étoilée. L’île déjà fragile et vulnérable subit de plein fouet la hausse du coût de la vie. Au point que se chauffer ou se nourrir deviendront pour certains des choix drastiques. Notre région, et son titre peu envieux de plus pauvre de France, résistera-t-elle à cette nouvelle situation ? Les discours lénifiants se brisent. L’optimisme béat vole en éclats. La béatitude s’effondre. D’ores et déjà, les organismes caritatifs sont débordés. Les nécessiteux sont plus nombreux que jamais, tandis qu’à cause de la crise les donateurs s’avèrent moins généreux. Dans ce cercle vicieux qui insulte l’entende- ment, la solidarité agissante ne peut à elle seule panser toutes les plaies. En incidence, cela démontre qu’être entouré d’eau ne suffit pas à être préservé des fluctuations externes, renvoyant aux calendes grecques le mirage de l’autarcie. Lueur d’espoir? Sans doute. Le pire n’est dit-on jamais sûr. Fussi la puru ! Mais pour l’heure, nécessité faisant loi, il convient de parer au plus pressé. Le sens du partage doit revêtir ses lettres de noblesse. Singulièrement oublié, il doit reprendre force et vigueur en ces temps de détresse, provoquant trop de victimes du dénuement et de la pauvreté. Il ressusciterait ainsi la philosophie qui scellait naguère notre communauté insulaire. Celle qui, par exemple, dressait systématiquement dans les villages la table du repas de Noël avec une assiette en plus. Celle du pauvre ou du vagabond susceptibles de frapper à la porte. Ce visiteur du soir pouvait ainsi se sustenter près de la cheminée, où brûlait le traditionnel tizzone. Une chaleur du foyer qui réchauffait le corps et le cœur. Un précepte étouffé par les effets pervers de la fausse modernité. Celle qui pousse, telle la fleur du mal, sur le terreau de l’individualisme.

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