INTELLIGENCE ARTIFICIELLE 

Quand la créature dépasse le maître 

Peu de personnes savent précisément de quoi il s’agit ou de comment cela fonctionne et pourtant tout le monde en parle. ChatGPT est la sensation numérique du moment. Une intelligence artificielle capable de répondre à tout ou presque pour le meilleur comme pour le pire. 

Par Caroline Ettori

Commençons par le commencement avec l’aide du premier concerné. ChatGPT nous dit qui il est : « Développé par la société Open AI, ChatGPT est un modèle d’intelligence artificielle conçu pour générer du texte cohérent et fluide en réponse à une entrée, à une question donnée. » Jusqu’ici tout va bien. Le sigle GPT signifie « Générative Pre-trained Transformer » et nous donne la clé pour comprendre comment fonctionne l’application. En effet, les Transformers, ici, ne sont pas des robots transformables mais forment plutôt une architecture de réseau de neurones qui permet de capturer et de comprendre les relations entre les mots et les phrases dans un texte. 

Lancée en novembre 2022, l’application qui n’a pas accès à Internet ne peut toutefois emmagasiner de nouvelles informations de manière autonome. L’étendue de son savoir s’arrête donc en 2021 mais elle est déjà impressionnante. 

Le corpus de connaissances de ChatGPT est composé d’un volume considérable de données. Une vaste collection de livres, tous genres et domaines confondus allant de la littérature classique à la science, en passant par l’histoire et la politique, des articles de presse, des pages web, des encyclopédies en ligne, blogs et sites d’actualité ou encore des textes techniques et scientifiques issus de revues académiques et spécialisées. Le tout permet à cette Intelligence Artificielle de générer des réponses cohérentes pour ses utilisateurs. Avec style et humeur divers et variés en fonction de la demande, Baudelaire et Stendhal ne sont pas épargnés. Attention, ChatGPT conseille lui-même de vérifier les propos, sources et références cités… On ne sait jamais.

Progrès et inégalités programmés

Marc’Andria Murati est étudiant en marketing à Corte. Il utilise ChatGPT depuis sa création. Et revient sur la relation qu’il a construite avec cette IA : « C’est pour moi un assistant créatif. Par exemple si je dois écrire un article, un exposé et que je ne suis pas inspiré par le sujet, je peux lui demander des axes de développement. ChatGPT me répond en quelques secondes. Je choisis ce qui m’intéresse en fonction de mes envies, de mes besoins, de mon savoir. L’application m’aide également à organiser mon travail en ligne, à me donner un cadre. Elle construit des tableaux sur-mesure qui optimise mon temps de travail et mes activités. C’est un outil particulièrement efficace. Il faut qu’il le reste. » Par cette expression, Marc’Andria entend que ChatGPT est déjà dans la tourmente, objet de toutes les polémiques et des dérives du web. « C’est très représentatif de tout ce qui est sur Internet. Les réseaux sociaux à l’origine sont des outils de communication et de partage formidables. Or la plupart des utilisateurs s’en servent comme d’un exutoire ou d’une fenêtre sur la vie privée des autres, célèbres ou non. » Face à la dérive qui semble être la règle, le jeune homme répond pédagogie : « Il faut que les gens apprennent à maîtriser ces applications parce que les risques et les conséquences d’un mauvais usage sont bien plus importants que pour les réseaux sociaux. C’est aussi un facteur d’inégalités à la fois intellectuelle et générationnelle. »

Marc’Andria n’hésite pas à comparer cette IA à une « arme mondiale ». Et les experts ne lui donnent pas tort. Après la fascination, l’heure est à l’inquiétude. En mars dernier, ce sont plus d’un millier de personnes, scientifiques, poids lourds de la tech dont le cofondateur d’Apple Steve Wozniak qui ont cosigné une lettre ouverte demandant un moratoire de six mois pour donner « une pause salutaire à l’Humanité ». Ces personnalités demandent à ce que des protocoles de sécurité, éthiques et transparents, soient développés, mis en œuvre et vérifiés par des experts indépendants, avant que tout développement ne reprenne. Un moratoire jugé illusoire par d’autres patrons de la Silicon Valley comme Bill Gates alors même que le « parrain » de l’IA, Geoffrey Hinton a récemment quitté Google pour pouvoir confier ses doutes concernant cette technologie.

Les risques de déstabilisation sont réels et éprouvés : désinformation, propagande, fake news, manipulation de l’opinion publique, renforcement des stéréotypes et des discriminations, menaces sur la vie privée… Et la liste ne s’arrête pas là : États, entreprises, citoyens, personne n’est à l’abri. Selon un rapport de Goldman Sachs sur les effets potentiels de l’IA sur la croissance économique, 300 millions d’emplois seraient menacés et 7% totalement détruits par la technologie. 

On oublierait presque que cette créature et son évolution dépendent des hommes qui l’ont créée. Et de ses utilisateurs. 

Du bon usage de l’IA 

Si l’évolution de ChatGPT a concentré toute l’attention ces derniers mois, elle n’est pas la seule IA. Il en existe de toutes sortes, ludiques, créatives, pédagogiques, plus ou moins spécialisées dans les sciences, les langues, dans les domaines du droit ou de la santé. Elles font déjà partie de notre quotidien et nous n’en avons peut-être pas conscience. Elles s’appellent Alexia, Siri, elles nous aident à parler plusieurs langues instantanément ou de trouver le cadeau idéal pour belle-maman durant une session de shopping en ligne. 

« Les gens ont beaucoup d’à priori sur l’IA », note Stéphane Barbagelata, dirigeant de l’agence Numericu à Furiani et créateur d’Astutu, la première Intelligence Artificielle en langue corse. « Je m’en rends compte quand je regarde les requêtes sur Astutu, les gens confondent IA et moteur de recherches. L’application se nourrit de ce qu’on lui donne à l’origine. Dans le cas d’Astutu qui permet l’apprentissage du corse, nous avons posé 1 000 questions et autant de réponses. » Depuis 2021, le professionnel développe des modules pour des clients qui souhaitent des approches, des fonctionnalités ou des tons différents. Chaque IA répond à une problématique. « Il faut reconnaître qu’Open AI a su “apple-iser” leur produit. Ils l’ont rendu indispensable alors que nous n’en avions pas besoin. Aujourd’hui, c’est la course pour faire mieux que ChatGPT. » Microsoft s’est lancé dans la bataille, l’application Snapchat propose son IA et Elon Musk qui après avoir co-signé le moratoire a créé une société pour développer… son propre programme.

Pour Stéphane Barbagelata, le besoin d’éthique est criant et dépend essentiellement des États. « Les bases de l’éthique doivent être posées : quelles sont les limites ? Comment réguler l’usage et la diffusion des données ? Peut-on avoir un équilibre entre destruction d’emploi et création de richesses ? Tout cela relève des États. »

IA VS HUMANITÉ

Alors l’IA aura-t-elle la peau de l’humanité ? « Tout dépendra de l’usage que l’Homme en fera. Elle l’a déjà supplanté dans certaines tâches : elle a réussi l’examen du barreau aux États-Unis, code en 10 minutes ce qui nous prend généralement 3 jours de travail. Bien sûr qu’il faut tout vérifier mais quand même, elle est très efficace. Je pense que la prochaine étape concernera la vidéo et le développement de jeux vidéos. » Pour autant Stéphane Barbagelata ne s’avoue pas vaincu : « L’émotion nous sauvera. Elle est une part de notre intelligence que la machine ne peut pas reproduire. » Pas encore. 

La suite de cet article est à retrouver dans le numéro #121 du mois de juin en vente ici

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