Inflation et pouvoir d’achat : l’entreprise comme levier essentiel ?
Pascal Zagnoli est doctorant en sciences de gestion et du management à l’Unité Mixte de Recherche « Lieux, Identités, eSpaces, et Activités » et chargé d’enseignement à l’Université de Corse.
Dans le contexte actuel, parler de pouvoir d’achat c’est immédiatement évoquer trois réalités : la flambée des prix, la vie chère, et un sentiment de précarité qui gagne du terrain sur l’île. Les statistiques confirment ce ressenti : selon l’INSEE, le coût de la vie sur l’île est supérieur de 7 à 12% à celui de la moyenne nationale, principalement en raison du logement, des transports et des produits alimentaires importés. À ces surcoûts structurels, s’est ajoutée une inflation persistante depuis 2022 : plus +18% sur l’alimentaire en trois ans, +10% sur l’énergie, sans parler des loyers qui, dans certaines zones littorales, rivalisent avec ceux de grandes métropoles françaises. Face à cette situation nous sommes souvent tentés d’attendre des réponses de la part de l’État, ou des collectivités locales, mais l’on parle rarement d’un acteur central : l’entreprise ! Et si, au-delà de verser un salaire, l’entreprise devenait un acteur actif du pouvoir d’achat de ses salariés ? Non pas par charité, mais plutôt parce qu’un salarié moins étranglé financièrement est plus motivé, plus stable et plus engagé !
Le salaire réel : quand les euros fondent avant même d’avoir été dépensés !
On a tendance à penser que le pouvoir d’achat dépend directement du montant du salaire. En réalité, il s’agit du salaire réel, c’est-à-dire du revenu corrigé de l’inflation et des charges.
Néanmoins, en Corse comme ailleurs, une augmentation de salaire de 3% ne compense pas une inflation de 5%. Et dans les petites entreprises, qui souvent connaissent des marges réduites, les hausses générales de salaires restent limitées ou sont inexistantes.
C’est là qu’intervient une idée clé : agir sur le budget global du salarié, pas uniquement sur son bulletin de paie. Les entreprises disposent de plusieurs leviers, souvent sous-estimés, pour améliorer concrètement le quotidien de leurs équipes :
- Les compléments financiers directs : les primes exceptionnelles (prime de partage de la valeur, « prime Macron ») défiscalisées dans certaines conditions, elles offrent un gain net important ; l’intéressement et la participation : accessibles aussi aux PME via des accords simplifiés ; les primes liées à la performance collective : lier motivation et récompense.
- Les avantages en nature et les aides indirectes : Les tickets-restaurant qui peuvent être exonérés jusqu’à 7,26€ par ticket ; la prise en charge des transports grâce aux indemnités de carburant ou navettes d’entreprise ; l’aide au logement grâce aux primes participants au loyer ou aux logements réservés ; ou encore des partenariats locaux avec des tarifs préférentiels sur des biens ou services.
- L’organisation du travail comme levier économique : divers aménagements managériaux comme le télétravail, les horaires aménagés, ou encore le regroupement des missions permettent notamment d’éviter les déplacements inutiles et les frais afférents ce qui peut constituer un gain considérable pour le salarié.
En Corse, un enjeu d’autant plus fort…
En Corse, ce discours a une résonance particulière dans la mesure où les produits de première nécessité sont plus chers d’environ 14%, ce qui peut s’expliquer pour partie par les contraintes liées au surcoût de l’insularité dans la mesure où la grande majorité des produits consommés sont importés par voie maritime engendrant ainsi des coûts supplémentaires en matière d’acheminement et de stockage. Dans une île où 45% des salariés vivent avec un revenu inférieur à 20 000€ par an et où près de 20% de la population vit sous le seuil de pauvreté, la question du prix d’achat est un enjeu majeur. Cependant la baisse des prix ne pourra s’envisager que lorsque la production locale sera en mesure de produire en volume suffisant pour diminuer les coûts fixes afin de tirer les prix vers le bas. Si ce contexte représente un enjeu important, il représente également des opportunités pour les entreprises. Mais à condition de concevoir le soutien au pouvoir d’achat comme un investissement et non comme une charge. Cet investissement social peut représenter un levier visant à diminuer l’absentéisme et le turnover, et en favorisant l’engagement. En période de tension sur le recrutement, dans un marché local étroit, c’est aussi un argument permettant d’attirer : un candidat choisira plus volontiers une entreprise offrant un package global avantageux plutôt qu’un salaire brut légèrement supérieur.
En résumé, en Corse, où la vie chère est une réalité quotidienne, chaque initiative compte. Les entreprises, qui sont soumises par ailleurs à différentes contraintes, n’ont pas toutes les marges pour augmenter fortement les salaires, mais elles peuvent agir autrement.
En prenant en charge une partie du repas, du logement ou du transport, en réorganisant le travail ou en créant des partenariats locaux. Ce sont autant de solutions qui, cumulées, peuvent rendre plusieurs centaines d’euros par an à un salarié. Le pouvoir d’achat n’est pas qu’une affaire de politique : c’est aussi une question économique de proximité. Et sur ce terrain, les entreprises corses ont un rôle à jouer pour leurs salariés, et pour leur permettre de vivre dignement de leur travail.
Les commentaires sont fermés, mais trackbacks Et les pingbacks sont ouverts.