Île éparse

Par Vincent de Bernardi

On connaissait les îles éparses, Juan de Nova, Bassas da India, Tromelin… chapelet de terres françaises de l’océan Indien, voici maintenant les territoires épars. Ce terme énigmatique désigne ces territoires hors des grandes métropoles. Un nouveau terme pour désigner le désert français décrit par Jean-François Gravier à la sortie de la Seconde Guerre mondiale.

Dans une étude très documentée, l’institut Montaigne vient de dresser un constat sans appel en présentant une photographie d’un pays profondément déséquilibré. À elles seules, les quinze plus grandes villes concentrent 81% de la croissance économique alors qu’elles ne rassemblent que 30% de la population. En dehors des métropoles point de salut. 

Dans ces territoires épars, le niveau de vie comme la croissance sont en déclin. Ce phénomène s’est considérablement accentué ces dernières années au point qu’un sentiment d’abandon se répand et porte en germe de nombreux risques. 

Si la transformation des métropoles en pôles d’attractivité économique, démographique et culturelle, de rangs européen et mondial, est un atout indéniable pour le pays, elle a aussi favorisé le déclassement des autres territoires.

Ils souffrent d’un faible maillage entrepreneurial et de moins bonnes infrastructures de réseaux, qui les rendent vulnérables aux chocs économiques. La crise engendrée par l’épidémie de Covid-19 risque de creuser fortement l’écart avec les métropoles.

L’enjeu corse

Piloté par Paul Hermelin, président de Cap Gemini, ce rapport de l’Institut Montaigne ne pose pas qu’un constat, il invite à repenser l’action publique et plaide pour une politique de différenciation pour renforcer la cohésion à l’échelle nationale. Il constitue une mine pour tout responsable politique qui voudrait élaborer une stratégie de développement cohérente et ambitieuse, laissant de côté tout parti pris idéologique. Dire que je ne pense à personne en particulier serait mentir. Mais les lecteurs de Paroles de Corse sauront lire entre les lignes. Car oui, la Corse fait partie de ces territoires épars. Loin de toute métropole de taille mondiale, elle souffre de handicaps supplémentaires par rapport aux autres. Inutile de les souligner ici, nous les connaissons tous, comme ses indéniables atouts. Tel Janus et ses deux faces, elle possède sa part d’ombre et de soleil. Un mélange d’insignes richesses et d’obstacles. La plus proche des îles lointaines doit transcender ses antinomies pour parvenir à l’épilogue heureux. 

La vraie problématique tient dans la définition d’une politique de développement cohérente, de moyen et long terme capable de recueillir l’adhésion des habitants, mais aussi de faire monter à bord l’État et la Collectivité. L’écueil est là. Omniprésent, implacable. Le franchir renvoie à la notion d’acceptabilité sinon générale à tout le moins de grande amplitude. 

Au-delà des oppositions politiques et des postures, le problème réside dans l’idée que nous nous faisons d’un statut particulier et des institutions qui en découlent. Ils ne peuvent pas répondre à eux seuls à tous les enjeux. 

Nouvelles pistes

La spécificité de la Corse s’est banalisée et son traitement s’est dissous dans une bureaucratie qui empêche de voir ce qui nous entoure, de regarder plus loin, de penser l’avenir dans un ensemble sinon national au moins européen. 

Faire des outils institutionnels et statutaires des instruments du développement économique apparaît de plus en plus comme un vieux rêve dépassé. Certains y croient encore par nostalgie, par conservatisme ou par confort. 

Le rapport de l’Institut Montaigne offre des pistes intéressantes pour élargir la vision penser attractivité en même temps que compétitivité, différenciation et rééquilibrage. Cette nouvelle donne se veut à maints égards invitation à faire le pari de la modernité aux couleurs du particularisme et l’espoir d’un essor partagé. 

Mouvements profonds

À la veille d’élections territoriales, ce débat semble plus central que jamais. Parce que la crise a bouleversé nos vies et laissera des traces durables, obligeant les économies régionales à se transformer plus vite que prévu. Le rôle de l’État, de la collectivité, la place du marché et de l’initiative privée vont connaître des mouvements profonds. 

C’est aux électeurs qu’appartiendront ces choix. Et c’est cela qui fait de la démocratie le meilleur des systèmes ! 

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