« Gauche, droite », « Une, deux »

« Gauche, droite », disent-ils pour rythmer la vie politique comme l’adjudant de compagnie crie « Une, deux » pour cadencer le pas des jeunes recrues faisant des tours de place d’armes pour apprendre la discipline militaire. 

Par Michel Barat, ancien recteur de lAcadémie de Corse 

Ces deux interjections, qui commandent le mouvement mais un mouvement ordonné plus ou moins rapide, ne sont pas si éloignées du slogan politique et militant au point que les commentateurs semblent croire à la débandade quand « gauche et droite » cessent d’être des repères absolus de la vie politique. On n’entend plus cette injonction : perdu et sans repères faciles, l’électeur s’abstient massivement et les journalistes politiques sont contraints à dire tout et son contraire lors des soirées électorales. Ils semblent passer de l’analyse stéréotypée, proche de la langue de bois, au discours abondant mais vide, signe du désarroi de ne plus savoir.

Cette métaphore militaire n’est ni un caprice ni fortuite car pour paraphraser Clausewitz pour qui « la guerre n’est que la continuation de la politique par d’autres moyens », il ne serait pas faux avec Michel Foucault dans son cours au Collège de France de 1976 d’inverser la proposition et d’affirmer que c’est la politique qui continue la guerre car le pouvoir est d’abord un rapport de force. L’exercice politique substituerait la civilisation à la sauvagerie de la guerre civile : le débat plus ou moins éclairé, courtois de préférence mais souvent injurieux vaut quand même mieux que l’affrontement qui se termine dans la rue. 

Vision illusoire 

Nombreux sont ceux qui regrettent le confort de l’opposition entre la gauche et la droite, opposition qui procurait, avouons-le, un certain confort intellectuel confinant parfois à la paresse. Savoir que l’alternance est le propre de la démocratie rassurait au point de ne pas prendre à bras-le-corps la réalité : l’alternance réglera les problèmes qu’on n’a pas résolus et permettra le retour au pouvoir. 

Nous touchons peut-être à la fin d’une vision irénique et illusoire du politique croyant pouvoir changer la réalité. Tant que le peuple faisait de cette vision sa croyance, il se laissait séduire par la politique et prenait plaisir à ses jeux. La désillusion a succédé à cette béatitude. Il n’y a pas de jeux et la réalité est souvent tragique. Ne trouvant plus goût aux joutes politiques, les gens finissent alors par s’adonner aux joies de la consommation au point de rêver à une extension sans limites du pouvoir d’achat. En fait, on ne fait que d’aller d’une illusion à une autre voire d’une horreur à une autre, celle du grand soir qui n’a jamais d’autre matin que le totalitarisme à celle de la jouissance consommatrice qui ne peut que se révéler aliénation de l’esprit voire de la personne entière.

Géants romantiques

C’est ainsi que les lumières s’éteignent, que la raison tranquille s’efface pour avoir trop cru aux éclairs et orages de la passion romantique. N’oublions jamais que c’est le romantisme qui a toujours porté les politiques extrêmes qui sont indistinctement de droite et de gauche au point que l’une et l’autre se confondent comme Doriot, le communiste, et Laval, le socialiste, finissent par soutenir en collaborant la folie nazie nourrie de tout le romantisme allemand. Seuls deux géants romantiques peuvent nous instruire pour éviter le désastre de la libération du sentiment et de l’exaltation de la passion : un Allemand, Goethe et un Français, Hugo car l’un et l’autre savent que dans la littérature du rêve romantique l’ironie est maîtresse. Goethe regrettera d’avoir écrit Les Souffrances du jeune Werther et son second Faust est un retour à la Grèce antique. Quant à Hugo qui voulait « être Chateaubriand ou rien », le républicain qu’il était comprit bien vite combien le romantisme de son premier modèle était porteur de malheurs.

L’ironie et le rire de Voltaire peuvent faire grincer des dents mais si les Rêveries de Jean-Jacques Rousseau préparent le romantisme, sa grande pensée politique, celle de son Contrat social, ouvre la voie à la Terreur de Robespierre et aux totalitarismes futurs. Pour que les vieux démons ne renaissent pas, il nous faut revenir à la raison tranquille des Lumières, tant celles d’un Montesquieu que d’un Condorcet pour lutter contre le retour de l’obscurantisme et ne plus oublier que la pensée libérale est d’abord une pensée politique avant d’être économique. 

Monstres politiques 

Certes, cette pensée ne soulève pas de grands rêves que ce soit ceux de la grandeur de la Nation ou de ceux des lendemains qui chantent de la Révolution. Rêve de grandeur et illusion de la Révolution en se rejoignant donnent naissance à des monstres politiques comme le russe Poutine pour qui l’injonction « gauche, droite » est celle du pas cadencé du « une, deux » militaire.

Les commentaires sont fermés, mais trackbacks Et les pingbacks sont ouverts.