FRANÇOIS PADRONA : L’ENTRETIEN VÉRITE

Entre inquiétude, rumeur, critique et parfois jalousie, François Padrona ne laisse pas indifférent. En exclusivité pour Paroles de Corse, il a accepté de répondre en toute franchise et sans concession à nos questions

par Jérôme Paoli

La publicité de votre hypermarché à Baléone est, je cite : « Le plus grand, le plus beau, le moins cher. » Votre message ne s’adresse pas qu’aux éventuels consommateurs, c’est aussi un message destiné à vos concurrents ?
Pas du tout, dans quel but ? C’est en priorité un message à tous les consommateurs corses qui vont enfin pouvoir bénéficier d’un espace commercial de dernière génération et de prix parmi les moins chers de France. Je sais que c’est technique mais jamais un hypermarché en Corse n’est descendu à l’indice 90, soit 10% moins cher que la moyenne de tous les magasins de France. Nous faisons partie des 10 magasins Leclerc les moins chers de France sur les 600 que compte l’enseigne.

On vous attribue une rivalité certaine avec Patrick Rocca, propriétaire de l’hypermarché concurrent et voisin. Qu’en est-il véritablement ? (Rien contre Monsieur Rocca) ?

Je suis le successeur de quatre générations de commerçants, je fais ce métier avec humilité depuis plus de trente-deux ans, je respecte tous les entrepreneurs qui travaillent, prennent des risques, et qui se battent sur le terrain loyalement et avec respect.

Votre action n’est donc pas guidée par une guerre d’ego entre vous et Patrick Rocca ? Promis, juré, craché ?
De quelle action parlez-vous ? Le fait d’exercer mon métier comme un vrai professionnel ? Je ne sais faire que ça, je suis un simple épicier, le reste ne m’intéresse pas.

Le lendemain de l’ouverture du Leclerc Baléone, vous avez déclaré, je vous cite, avoir créé «la nouvelle référence mondiale de la grande distribution ». Rien que ça ? 

C’est une réalité, et ce message va résonner bien au-delà de notre île, puisque c’est une réalisation unique au monde ; de nombreux professionnels viennent déjà le visiter régulièrement de France mais aussi depuis l’étranger. Des représentants de grandes enseignes de distribution allemandes et anglaises nous ont déjà visités, le magazine « Sept à Huit » d’Harry Roselmack y a aussi consacré un reportage, c’est un peu la continuité du Drive qui est unique et le plus important en chiffres d’affaires du monde, nous y avons déjà reçu plusieurs nationalités dont les équipes dirigeantes d’Amazon qui se sont déplacées de Seattle, mais ils n’ont pas réussi pour autant à copier notre technologie… secret défense.

Si je vous dis que petit à petit en vous développant vous standardisez la Corse. Une Corse qui devient de plus en plus banale en termes de zone de chalandise, de consommation voire de mode de vie…?
Je viens justement de vous dire le contraire, la grande distribution est un des fleurons de l’économie française dans le monde entier et nous avons la chance ici en Corse, et à Baléone, de montrer que dans un secteur aussi concurrentiel nous pouvons faire partie des meilleurs mondiaux, j’estime que les Corses et nos élus en particulier devraient s’en réjouir. Au-delà de ça il y a une réalité, celle que la grande distribution par ses leviers puissants donne au consommateur un pouvoir d’achat qui serait divisé par 2 au moins avec un autre modèle de commerce plus traditionnel, on ne peut pas tout avoir. La grande distribution reste le seul et unique modèle efficace pour donner à manger aux 7 milliards d’individus qui peuplent notre planète. Par contre, les petits commerces et la grande distribution peuvent faire bon ménage. J’ai dirigé pendant 18 ans un petit magasin au centre d’Ajaccio de seulement 340 m2, je travaillais 12 à 15 heures par jour, ce que je continue à faire. À cette époque, j’étais confronté à des concurrents bien plus grands et puissants que moi qui maîtrisaient tout et en avaient verrouillé le paysage commercial. Ils en ont d’ailleurs bien profité sur le dos des consommateurs corses pendant plus de 30 ans. Malgré tout j’ai su évoluer, car il n’y a pas de fatalité, seul le travail et le professionnalisme expliquent la réussite ; expliquer ou faire croire aux gens que c’est la réussite du voisin qui les empêche d’avancer est faux et irresponsable. Donner plus de pouvoir d’achat aux habitants de cette île avec des infrastructures de qualité n’a rien d’une banalisation, vous ne trouverez nulle part en France le modèle que nous avons construit, alors ne me parlez pas de banalisation, au contraire c’est unique.

Si je vous parle de circuit court, de produit bio, de qualité de vie, d’authenticité ça n’est quand même pas compatible avec des zones commerciales périurbaines ?

Grosse erreur, c’est un très mauvais préjugé. La grande distribution permet juste- ment à de nombreux producteurs d’être rapprochés du consommateur, ainsi la plupart des producteurs y compris les plus petits sont présents dans notre espace commercial. Vous trouverez chez nous dans tous les rayons des produits artisanaux et fermiers de très grande qualité, fruits et légumes, charcuterie, fromages, tous les produits bio possibles. Nous déplorons cependant l’absence des meilleurs vins corses dans notre cave, alors qu’elle est exceptionnelle, voire unique en France ; où trônent fièrement les Pétrus, châteaux d’Yquem et Romanée-Conti. Nos viticulteurs n’ont pas pris la mesure de l’importance et de l’avantage d’être présents dans une telle vitrine, nous espérons que lors de la visite de notre espace, ils changeront d’avis et je ne doute pas qu’ils seront fiers de présenter leurs meilleurs produits au côté des plus grands crus. L’aménagement du territoire a toujours été et reste un enjeu majeur pour la société, la façon de penser cet aménagement reste un grand débat. La construction ces dernières décennies de nouveaux quartiers autour d’Ajaccio a toujours posé des questions, «L’empereur, la Résidence des Îles, les Salines, Pietralba, la Confina, la Rocade, etc. », tout ceci a été très critiqué en son temps, et aujourd’hui on dit que c’est le centre-ville ! Alors bien sûr vous avez bien compris que je ne défends pas le modèle « plan de campagne » qui est obsolète. Notre réalisation est une œuvre architecturale innovante, loin de ce qui se fait habituellement.

Il y a trente ans, les zones commerciales comme Évry II ont vu le jour, aujourd’hui ce sont de véritables zones de non droit. Votre projet ne contribue-t-il pas aussi à créer les futures banlieues corses ?

Vous comparez injustement un modèle qui a trente ans avec non seulement la dernière génération de centres commerciaux de l’enseigne Leclerc, mais surtout avec une réalisation originale, audacieuse et novatrice à tout point de vue. Je vous le disais plus haut c’est une œuvre architecturale, un écrin exceptionnel, unique en Europe et de plus avec un niveau de service et de commerce exceptionnel. Je vous rassure aucun risque pour que Grand Ajaccio Baléone devienne une zone de non droit, au contraire notre réalisation aurait plutôt tendance à remonter le niveau d’intérêt et de sécurité de cette ancienne zone industrielle. Je vous rappelle quand même que l’emprise foncière, que nous occupons, était une ancienne friche industrielle, passée par le stade de décharge sauvage sur plus de 15 hectares et promise à un avenir peu glorieux avec le projet de construction d’une nouvelle prison. Aujourd’hui, les enfants jouent dans les jets d’eau et s’émerveillent devant l’aquarium, avouez que c’est un petit peu mieux comme environnement, non ?

(…)

  Retrouvez la suite de cet article dans votre mensuel Paroles de Corse du mois de septembre

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