Figlioli di sta terra

« Hè fattu di lume un paisanu, quandu in celu u sole si move, quandu spunta u sole luntanu… Hè fattu di lume un paisanu. »

Cusì Canta u Populu Corsu in u so titulu dedicatu à lomi di a terra chì sanu stà à sente u so locu, lanimali è a natura. Cultivà a terra hè spessu statu cunsideratu cum’è un attu di militante da e mosse pulitiche. Forse chi oghje, laffare ùn sò scambiate chì lagricultura ferma una sfida di pettu à a pressione immubiliaria è u pesu di ladministrativu ancu s‘elli ci sò i mezzi dati à quelli chì si danu di rimenu. Paroles de Corse hè andatu à scuntrà à ghjovani chanu fattu a scelta di campà allevendu o cultivendu. 

Trè ghjovani, trè lochi ma una sola passione.

Par Diana saliceti

En 2018, en Corse, environ 140 dossiers dinstallation de jeunes agriculteurs étaient en cours dinstruction et 49 installations effectives étaient aidées*. Sur les 187 000 hectares dédiés à lagriculture sur l’île, les agriculteurs âgés de moins de 40 ans font leur place avec lenvie de produire bien, de vivre au vert et dinventer leur liberté. Paroles de Corse a suivi trois jeunes agriculteurs. Derrière les deux lettres de lacronyme JA se cachent des profils et des parcours variés. Arrêt prévu dans trois installations agricoles situées en Haute-Corse à la rencontre de trois jeunes exploitants qui, dès laurore, donnent corps à leurs rêves et surtout à leur réalité. 

U pecuraghju di Baliri in Corti : Jordan Leduc 

Corte s’offre à nous mais sous un nouveau jour. En effet, nous sommes derrière la citadelle, au pied de la vallée du Tavignanu. Des terrasses très bien entretenues d’anciennes vignes et dont les murs imposants ne sont pas tombés, de l’herbe verdoyante, des chiens qui font la fête au visiteur. On peut avoir l’impression de rentrer dans un monde parallèle et pourtant c’est bien la réalité quotidienne de Jordan Leduc, pecuraghju curtinese. Ce dernier élève ses brebis le long du Tavignanu dans un havre de paix où le fromage est produit de novembre à juillet. Les brebis, quant à elles, y vivent sur un parcours mélangeant herbe grasse, chênaies, maquis les menant sur des chemins sinueux jusqu’aux hauteurs de Corte comme sur la Punta di Zurmulu qui culmine à 936 mètres. 

Il est 7h00 et les brebis de Jordan sont sur le quai de traite, un bouton actionné distribue du maïs à ces dames. Le bruit de la trayeuse fraîchement installée ne couvre qu’en partie les bêlements du troupeau. Emmitouflé dans une veste chaude, ce grand gaillard s’active devant son quai de traite qui a succédé, il y a peu, à l’ancien pot trayeur. « Chaque jour, je passe à la traite mes 160 brebis, je tourne selon la saison et les périodes entre 60 et 100 litres que je transforme », explique le berger qui procède méticuleusement à l’installation des tireuses à lait sur les mamelles de ses bêtes qu’il traie deux fois par jour. En cette saison, il transforme un jour sur deux et fabrique fromages, tommes ainsi que du brocciu AOP, une gamme de produits vendus sous le nom de « Casgiu Lertucciu ». Si le jeune homme de 27 ans transforme son lait pour faire fromages et autres brocci depuis 2018, c’est en 2011 qu’il se lance dans l’élevage avec quelques brebis de réforme. 

« Rien ne me prédestinait à ce métier à la base, puis un jour après un accident comme je ne pouvais pas aller à l’école à plein temps à cause d’un bras cassé, mon père m’a conseillé d’aller voir chez un berger, Jo Sabiani, comment ça se passait. Le premier soir de ce stage improvisé, auquel je suis pourtant allé un peu en traînant les pieds, je savais ce que je voulais faire dans la vie : berger. » Le jeune homme prend alors très vite quelques brebis. « Au début, c’était vraiment pour me faire la main et apprendre de mes erreurs tout en passant en parallèle le Brevet professionnel responsable d’exploitation agricole (BPREA) au lycée agricole de Borgu. J’ai également appris ensuite à faire de la tome chez Ilda Penciolelli »,raconte Jordan. Installé grâce au soutien de la Chambre d’agriculture qui propose aux moins de quarante ans un parcours d’installation une fois leur BPREA en poche, Jordan bénéficie d’un accompagnement pour s’installer. 

Tout jeune agriculteur qui reçoit la dotation a ensuite cinq années pour s’installer, produire et surtout tirer un revenu au moins du niveau du Smic. Et ce, sous peine de devoir rembourser les sommes perçues.

Il est 9h15, le jeune berger rentre dans le laboratoire installé dans sa cave où le lait de la vieille chauffe pour bientôt fabriquer la tomme, un fromage à pâte pressée. Ensuite, c’est au tour du fromage d’être fait. Sel, pressure, les gestes se répètent au quotidien avec un savoir-faire qui permet de se passer des balances, l’œil étant devenu aiguisé ! Avant que ne sonne 10h, c’est au tour du petit lait de la tomme d’être mis sur le feu. Une marmite de 70 litres où sont ajoutés petit lait, lait et sel : voici en partie la recette du brocciu de Jordan qui fait des émules à Corte mais pas que ! « La dizaine de brocci que je produis tous les deux jours part très vite, il ne m’en reste jamais sur les bras entre les commandes de particuliers et les épiceries ! », sourit l’agriculteur rejoint par son père qui apporte un café chaud. Ce dernier seconde son fils au quotidien dans les tâches de l’exploitation, de la conduite du troupeau, à l’élevage des agnelles en passant par l’approvisionnement en foin ou encore les livraisons. Le constat est le même pour les deux hommes : « Il faut que l’agriculture vive, sans agriculteurs : il n’y a plus rien ! » Pour le père de Jordan, c’est l’indivision qui est le principal frein d’un développement plus franc de l’agricole insulaire. « Parfois des terrains sont abandonnés mais conservés juste pour garder un lien symbolique avec l’île ou le village », explique Christian qui s’apprête à aller chercher du foin sur Bastia. « Et le Covid dans tout ça ? » « Au premier confinement, les gens ont joué le jeu, ils consommaient beaucoup local même des choses qui normalement sont tombées un peu en désuétude comme le fromage frais, j’en ai vendu jusqu’à 70 en une journée », se souvient Jordan. « S’il y a eu un essor des demandes au printemps 2020, je m’y attendais, cet engouement est un peu retombé ensuite. Mais le plus dur reste la suspension des foires qui représentent pour moi un énorme potentiel de vente directe. »

Il est 11h10, le nuage crémeux du brocciu vient de monter. « Cette odeur du brocciu, je ne m’en lasse pas ! », sourit le berger. Il le récupère délicatement pour le coucher dans des faisselles lorsqu’il ne le fait pas dans la quinzaine de fattoghje en jonc qu’il possède et qu’il peine d’ailleurs à remplacer. « Les formes des fromages sont tellement plus belles ainsi et ça doit également avoir son influence sur le goût ! », souligne le jeune homme. Pense-t-on à arrêter lorsque l’on s’est lancé dans une vie d’agriculteur ? « Parfois, quand je cours après les brebis et qu’elles m’énervent, je me demande un peu ce que je fais ici puis deux minutes après tu te calmes et tu te dis : On est pas bien là ? Un seul point positif et toutes les contraintes disparaissent ! »

*(source DRAAF – SRAF 2018)

E ghjalline di Flavie Guerrini : Da Loriani à Ponte Novu 

« Plus les poules bénéficient d’ensoleillement, plus elles pondent ! », indique Flavie Guerrini, une jeune femme dont les cheveux bruns tranchent avec la clarté de ses yeux. « Je viens donc le plus tôt possible leur ouvrir et je les ferme à la tombée du jour. » Fille d’agriculteur, cette jeune femme, même si elle prend toujours part aux activités castanéicoles de sa famille, a pris son envol dans la profession avec une centaine de poules qu’elle a installées sur un terrain acquis à Ponte Novu en 2019.

 « Chaque jour, j’ai environ 70 œufs que je livre dans la région selon un carnet de commandes qui me permet d’écouler toute ma production. » Ici, encore, un petit coin de sérénité à deux pas de la T20 : des chevaux, des chiens joueurs et des poules qui ont de l’espace pour gambader entre deux séjours au nichoir. « Je leur ai planté un parcours en orge et en blé mais en ce moment en raison de la grippe aviaire je dois les garder enfermées dans le parcours grillagé devant le poulailler », regrette la jeune éleveuse. « À la saison des châtaignes, nous leur donnons tout ce qui reste de la transformation castanéicole », raconte-t-elle. Car Flavie a littéralement grandi à l’ombre des châtaigniers, apprenant avec son père ce métier où il faut savoir avant tout s’armer de beaucoup de patience et ne jamais brûler les étapes. « C’est un métier technique dans lequel je m’épanouis aux côtés de mon père et j’en apprends vraiment tous les jours ! » Alors pourquoi avoir choisi aussi les poules pondeuses ? « Après un BTS ACSE dans le Sud-Ouest, j’ai pensé à m’y installer également en me diversifiant avec les poules, une activité très développée là-bas et qui m’intéressait ; et puis en m’occupant d’elles le matin tôt et le soir, elles me laissent quand même pas mal de temps dans la journée pour m’adonner à d’autres activités, que ce soit dans l’agricole ou pas ! », raconte cette jeune femme qui s’est également inscrite en Master 1 à l’Université de Corse pour devenir guide conférencier. Car des projets, Flavie Guerrini en a beaucoup : redynamiser son village de Loriani avec notamment des visites patrimoniales de sa région, prendre la suite de la production de farine de châtaignes mais également réussir l’implantation d’un abattoir pour des poulets de chair. « Le but serait de garder l’élevage sur Ponte Novu pour ensuite abattre et transformer au village », explique la jeune active qui est également accompagnatrice de tourisme équestre. « Pour le moment, je me suis installée toute seule avec l’aide des miens, mais pour ce projet d’abattoir je pense rentrer dans le parcours jeune agriculteur même si l’administratif que ça représente me fait peur ! » En effet, il n’est pas rare que les porteurs de projet peinent un peu pour constituer leur dossier et tenir la distance administrativement. Le montant de la dotation jeune agriculteur (DJA) varie de 25 000€ à 65 000€ selon le lieu du siège d’exploitation. La dotation comprend un montant de base (25 000€ pour les agriculteurs à titre principal) et des majorations selon des critères. Pour l’instant, Flavie n’a pas sollicité d’accompagnement et a investi ses propres deniers dans son poulailler dont les plans anticipent une éventuelle conversion en bio dans le futur. « Je dois avouer que les dossiers me font peur, il y a beaucoup de comptes rendus et d’échéances », confie la jeune agricultrice pour qui le premier mot qui vient à l’esprit quand on lui demande de résumer son activité est : liberté. « C’est d’autant plus difficile lorsque l’on veut comme moi faire de la polyactivité. Moi, je ne veux pas décider de me lancer dans une seule chose imposante, je préfèrerais par contre avoir diverses petites activités qui se complètent bien et s’accordent dans mon emploi du temps. Ma vision est peut-être utopique mais j’y crois. » Il est l’heure pour l’éleveuse d’aller livrer environ soixante-dix œufs frais du jour. Un carnet d’adresses bien rempli, un héritage familial enraciné dans le rural, des envies, des idées : Flavie Guerrini est assurément une source de projets d’avenir et de développement pour sa région et le Centre Corse. 

Di cavalli, d’uspitalità è di vacca corsa : a sfida di Romain Provent in Teghjime 

Grand soleil sur Teghjime, on roule le long d’une piste cernée par le maquis qui semble avoir que la mer pour terminus. Bienvenue au « Tragulinu » : voici Romain Provent en train de préparer et d’amender la terre de ce qui sera son futur jardin potager. « Lorsque mes clients sont à la table d’hôte, je ne veux qu’il mange que des produits de chez moi ! »,annonce le jeune homme qui nous propose de monter dans son 4×4 orange afin d’aller voir quelques-uns de ses chevaux. C’est un grave accident de moto qui a mis Romain, formé initialement en hôtellerie, sur la voie agricole. « L’élevage équin est ma première activité, je me suis d’abord installé en tant qu’éleveur de chevaux corses, j’étais d’ailleurs le premier à en faire mon activité principale, il y a douze ans. J’ai débuté avec cinq chevaux », souligne le jeune homme. Chevrier pendant un temps, Romain Provent a dû depuis arrêter pour se diversifier avec les vaches, les poules, le jardin… Cela fait 5 ans qu’il exploite ce grand domaine. Un beau lieu ouvert sur la mer Tyrrhénienne et qui faisait déjà rêver cet agriculteur enfant. « Mon père me raconte que lorsque nous passions en voiture, je disais qu’un jour je travaillerais dans cet endroit et que j’allais finir avec des chevaux et des ânes», sourit Romain tandis qu’il manipule avec tendresse une jument qui mettra bientôt bas. « Alors, j’ai d’abord installé mon ranch à Farinole, le village de ma mère pour ensuite développer mon activité agricole ici dans les hauteurs de Bastia, juste en dessous du col de Teghjime. Grâce à l’acquisition de ce foncier, j’ai pu renforcer mes activités et me diversifier », raconte ce trentenaire qui sait encore malgré les jours qui passent admirer la vue exceptionnelle qu’offre son emplacement : « Tu as vraiment l’impression d’être au-dessus de Bastia ? Pas question pour autant d’abandonner le littoral et Farinole puisque Romain y possède toujours son ranch pour y donner toujours des cours (en langue corse et en français) d’équitation, proposer des balades pour petits et grands ainsi que d’autres activités comme l’Acqua Poney. Dans sa chambre d’hôte, au cœur du domaine agricole, Romain accueille des hôtes à l’année, une dizaine de places dans des chambres décorées par ses soins et avec goût. Ici, rien ne dénote. Un beau comptoir et un poêle à bois invitent le visiteur à revenir bientôt bien accompagné pour une grande balade à cheval qui se terminerait par un bon repas et pourquoi pas quelques chansons.

 « J’ai voulu créer un lieu de retrouvailles en famille ou entre amis, autour de notre terroir », résume le jeune homme en allumant sa cigarette près d’une cheminée qui nous demanderait de rester là pour profiter de son âtre et de la paix qu’elle inspire. Des selles traditionnelles Santu Petraccia, des dessins d’élèves, des photos de famille, le lieu qui était encore une ruine à l’arrivée de Romain a été entièrement rénové. Un album photo qui retrace les travaux permet de croire à ce petit miracle. 

C’est à cru et en licol, sur deux chevaux corses, que l’on découvre la châtaigneraie également exploitée par le jeune actif. L’eau court sur cette propriété et un vieux bassin témoigne du passif agricole de ces lieux : « J’ai retrouvé des archives mentionnant jusqu’à onze personnes travaillant ici », relate l’agriculteur vissé avec une décontraction déconcertante sur son étalon noir nommé Cumpagnu. Le temps semble s’arrêter alors que Romain Provent passe voir, toujours à cheval, son troupeau d’une vingtaine de vaches et veaux corses. Sa compagne arrive, son frère lui passe un coup de fil, il faudra livrer un cheval dans l’après-midi. La vie suit son cours dans cette montagne où jaillissent les sources et les projets. Impétueux et libres. On aurait tort de ne pas s’en inspirer. 

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