Et si l’abstention annonçait une nouvelle norme de conscience civique ? par Vincent de Bernardi

Loin de Corse, de l’autre côté de la mer, élection municipale après élection municipale, la participation baisse, inexorablement depuis 1983. En 30 ans, l’abstention a quasiment doublé. Et depuis, la classe politique déplore cette désaffection des Français pour la politique sans véritablement y apporter des réponses convaincantes, sans anticiper les mouvements à l’intérieur des différentes catégories de la population et en particulier les classes moyennes inférieures et les jeunes. A cet égard,  la Corse est une terre d’exception où le vote demeure l’expression forte d’un acte civique.

Les politologues  qui analysent ce phénomène « continental » à la lumière d’études d’opinion approfondies et d’examen des scrutins, ouvrent un certain nombre de pistes de réflexion. Elles pourraient inciter les partis à en tirer des conclusions et des idées d’actions.

Ainsi, François Miquet-Marty, fondateur de l’institut Via Voice décrit deux situations frappantes. D’une part l’amplification d’une abstention de lassitude dans certaines grandes villes comme Strasbourg ou Toulouse, où la participation est bien plus faible qu’elle ne l’est habituellement. Il s’agit de villes où la droite et la gauche se sont succédées au pouvoir, et l’abstention y témoigne d’une usure face à l’alternance. D’autre part, l’abstention est tempérée par une participation bien plus forte qu’au niveau national dans des zones de protestation comme dans le sud-est ou le nord où l’extrême-droite fait de très bons scores. Autrement dit, les partis modérés au pouvoir pendant des années ne parviennent plus à mobiliser leur électorat traditionnel. Et c’est du côté des classes moyennes inférieures, négligeant davantage les urnes, que l’on observe une plus forte mobilisation pour  exprimer un vote protestataire en faveur de l’extrême droite s’exprimant sur d’anciens terreaux communistes.

Anne Muxel, directrice de recherche au CEVIPOF, s’est quant à elle intéressée aux jeunes et observe que leur rapport au vote a profondément changé depuis quelques années. Si l’augmentation du taux d’abstention aux élections touche l’ensemble des classes d’âge, chez les jeunes cela a une incidence différente. Elle s’inscrit dans une modification profonde du modèle de la citoyenneté. « Nous sommes face à de jeunes citoyens plus informés, plus critiques mais aussi plus défiants à l’égard de la classe politique et des institutions. Et ils vont probablement faire un usage alterné du vote et de l’abstention sur le temps long de leur vie citoyenne ». Donc l’abstention s’inscrit de façon plus forte et plus durable que les générations précédentes.  Anne Muxel ajoute que l’idée commune d’une dépolitisation de la jeunesse est fausse. « Socialisés au désenchantement et à la défiance politique, porteurs des désillusions de leurs parents, les jeunes trouvent les chemins de la politique sur la base d’un nouveau paradigme d’engagement, réconciliant une intransigeance sur les principes et un souci de pragmatisme, une exigence sur les valeurs et une demande d’efficacité concrète ». Pour autant, la jeunesse n’est pas un groupe homogène, ni socialement, ni politiquement. Le diplôme est un facteur discriminant. La jeunesse scolarisée et étudiante participe davantage aux élections mais aussi aux protestations dans la rue. Elle vote en grande majorité pour la gauche socialiste. Les jeunes peu diplômés et actifs votent moins et manifestent peu. Ses choix électoraux se portent davantage vers la droite, et même l’extrême droite. En clair, les fractures sociales provoquent des fractures politiques.

Ces analyses permettent de comprendre l’émergence de mouvements citoyens, utilisant la puissance de l’Internet et des réseaux sociaux pour mobiliser des troupes engagées et responsables, et les inciter à agir, de manière civique, en marge des représentations politiques. L’appel « aux actes citoyens ! » lancé par Alexandre Jardin en est une première illustration et une réponse à l’impuissance de la classe politique. Troisième voie entre le vote protestataire et l’abstention, elle a tous les attributs d’un mouvement civique qui s’exprime sans avoir recours au vote et  préfigure une mutation de l’exercice de la démocratie représentative vers une démocratie participative. Elle occupe un territoire désormais ouvert à une concurrence citoyenne.

 

 

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