Entre Paris et la Corse Et si le blocage permettait enfin la clarification ? 

L’espace de dialogue s’est réduit comme peau de chagrin. Aux annonces volontaristes succédèrent le scepticisme dans l’île et les atermoiements du gouvernement. Et si finalement ces dissensions s’avéraient bénéfiques ? Exagération ? Nullement. Elles pourraient contraindre Darmanin à bannir les faux-fuyants et à la Collectivité territoriale de savoir enfin si le souhaitable qu’elle revendique est possible dans la doctrine présidentielle. 

Par Jean Poletti

Le clair-obscur. Telle est de manière lapidaire définie la situation qui prévaut dans les négociations ouvertes entre Paris et la Corse. La genèse est connue. Elle s’enracine dans le tumulte de la jeunesse qui irrigua les annonces volontaristes du ministre de l’Intérieur. Avec en filigrane, l’annonce tonitruante du concept d’autonomie. Économie, social, culture, différenciation institutionnelle, tout ou presque figurait au programme de la problématique insulaire. Mais ce catalogue exhaustif fut rapidement sérié par des lignes rouges concernant notamment le statut de résident, la notion de peuple ou encore le bien-fondé d’une modification constitutionnelle. 

Dès lors, sans verser dans le jugement de valeur, rien n’interdit de penser que les assertions initiales de Gérald Darmanin n’étaient qu’une réponse circonstancielle, et pour tout dire politicienne, afin de circonscrire le bruit et la fureur de la rue après l’agression mortelle subie par Yvan Colonna.

A posteriori, l’analyse accrédite l’idée d’une certaine crédulité de l’exécutif et au-delà de l’Assemblée de Corse. Mais en contrepoint on peut aussi légitimement dire que les représentants insulaires n’avaient aucune raison préalable de ne pas faire confiance aux assertions du premier flic de France, revêtant les habits de « Monsieur Corse ». Réactualisant à maints égards le parcours qu’emprunta en son temps Nicolas Sarkozy. 

Deux fers au feu

Toutefois l’observateur put avoir la puce à l’oreille en écoutant le discours de politique générale de la Première ministre. Une fois n’est pas coutume elle évoqua dans cette séance d’investiture le « problème Corse ». Une élégante manière de signifier que l’hôte de la place Beauvau n’avait pas la bride sur le cou, mais que Matignon gardait, sinon la main, à tout le moins un œil attentif sur un dossier aux atours de brûlot. 

Une sorte de recadrage qui ne disait pas son nom, mais qui à l’évidence ne pouvait être décidé sans l’aval de l’Élysée, voire à son initiative. 

A-t-on en haut lieu bridé l’allant du missi dominici Darmanin ? Ce dernier à l’inverse joua-t-il sur deux tableaux ? Nous avons dit dans des colonnes que si Janus il est, le talent ne lui fait pas défaut. 

Dans ce droit fil, l’idée s’enracine dans la population qu’il veilla essentiellement à briser la juvénile colère en promettant monts et merveilles. Tout en jouant la carte du pourrissement. Et espérant en ombre portée l’attentisme de l’opposition libérale, mais surtout la plausible division du monde nationaliste. Coïncidence ou stratégie déguisée, cela se vérifia rapidement. Corsica Libera, bannissant l’euphémisme, tire à boulets rouges sur ces discussions qualifiées ni plus ni moins de poker menteur. Comme en écho Core in Fronte flétrit à l’envi ces rencontres prônant même leur mise en parenthèse de la délégation insulaire tant que les cas des prisonniers politiques n’étaient pas réglés. 

Au milieu du gué

Dans le même temps, la droite territoriale sans jouer au front du refus aspire à une clarification et un contenu sur l’avènement d’une éventuelle autonomie. Tout en s’insurgeant sur le fait qu’un tel débat, qui s’inscrit dans le temps, n’occulte pas les dossiers en souffrance et masque l’absence de solutions d’un exécutif qui « ne résout pas des hiatus pourtant prioritaires et qu’attend la population ». 

Une nouvelle fois la Corse est au milieu du gué. Sans doute eut-elle été plus inspirée à se remémorer l’adage de Charles Pasqua « Les promesses des hommes politiques n’engagent que ceux qui les reçoivent. » Bref, la mariée était trop belle et aujourd’hui s’esquisse un divorce à l’italienne à peine tempéré par le fameux « je t’aime moi non plus ». 

Refaire l’exégèse d’un processus relèverait de l’antienne et la fastidieuse redite. Pour autant faut-il reléguer cet ersatz des Lundis de Matignon à une chronique d’échec annoncé ? Cela équivaudrait à aller trop vite en besogne et mettre la charrue du pessimisme avant les bœufs de l’espoir. Certes le débat ouvert sous les meilleurs auspices voit son horizon s’ourler de lourds nuages. D’autant que de manière lancinante, et comme un disque rayé, résonne un éloquent « c’était prévisible » émanant de cette sagesse populaire qui n’a que faire des fallacieux éléments de langage et méthode Coué. D’ailleurs, un récent sondage initié et publié par notre mensuel ne souffre d’aucune équivoque. Les discussions aboutiront-elles à un nouveau statut ? La réponse est non à soixante-seize pour cent. Et à celle consistant à savoir si elles sont proches des préoccupations, là aussi un écrasant quatre-vingt-deux pour cent répond négativement. 

Fractures d’indifférence

Bien sûr on ne gère pas exclusivement avec les études d’opinion. Sans elles non plus. Et voilà que ressurgit le grand précepte de Jean-Jacques Rousseau affirmant qu’on ne rend pas un peuple heureux malgré lui. En prolongeant quelque peu cette pensée se dessine l’idée de la relative indifférence populaire à l’égard d’une éventuelle Corse autonome. 

Parler de dichotomie serait sans conteste exagéré. Il n’empêche qu’au gré des conversations informelles rares sont eux qui perçoivent, pour des raisons parfois radicalement différentes, une hypothétique réforme institutionnelle comme le remède miracle et la thérapie idoine à tous nos maux. 

En effet dans une coalition de forces contraires certains affirment que cela va trop loin et d’autres pas assez. Rien de nouveau sous ce vent mauvais. Une histoire revisitée des Statuts octroyés sous l’ère Mitterrand, ou certains parlaient de toboggan vers l’indépendance et d’autres d’avancée insuffisante. Tandis qu’à droite, chez les radicaux et communistes, on criait à l’effeuillage de l’unité nationale, le FLNC, alors uni, plaidait l’indépendance résumé dans un texte martelant « Il n’y aura pas de troisième voie. » 

Éternel recommencement même si les approches différentes sont cette fois plus feutrées entre réfractaires et partisans ? Sans doute. En toute hypothèse, fut-ce à son corps défendant, Darmanin fait son miel de fractures qui traversent la classe politique et au-delà la société. Il peut tout à loisir illustrer à son profit son tango médiatique, proche de la danse du scalp, en suggérant qu’une absence de consensus des forces insulaires rend sa tâche particulièrement ardue. C’est de bonne guerre. Et tant pis si une île est victime sur l’autel d’une volonté étatique à géométrie variable au gré des circonstances. 

Le temps des suspicions 

Seuls le béotien ou le disciple patenté croiront sans réserve que la dialectique ministérielle est marquée du sceau de la totale sincérité. Elle affiche officiellement sa volonté d’arrondir les angles et d’ouvrir la route aux salutaires remèdes, mais les faits sèment le doute. Ses services n’ont-ils pas adressé au procureur de la République antiterroriste une note, révélée par nos confrères de Corse-Matin, dans laquelle au-delà d’un pensum sur la lutte de libération nationale sont évoqués les cas Ferrandi et Alessandri. N’est-il pas question dans cette missive qu’un aménagement de peine constituerait un risque de trouble à l’ordre public ?

Vous avez dit apaisement ? En réfutant tout procès d’intention, il eut été à tout le moins honnête intellectuellement que Darmanin s’expliquât aussitôt sur l’initiative d’un de ses services, en l’occurrence le renseignement intérieur. Sinon, de manière inconsciente ou fondée, l’idée du coup de Jarnac ou de la duplicité ne pourra que nourrir les esprits, donnant du grain à moudre à ceux qui accusent depuis quelque temps déjà le double jeu du ministre. 

Voilà la situation. Quelle que soit son évolution, la suspicion s’est installée. Le pire n’est pas sûr. En politique notamment les anicroches sont souvent oubliées, laissant place à une nouvelle écriture. 

Nœud gordien

Pour autant si la montagne accouchait d’une souris, il ne faudrait pas évoquer la malchance ou l’impossibilité mais sérier les responsabilités factuelles ou volontaires qui aboutirent à une impasse. Expliquer sans fards mais avec la lucidité, que commande l’enjeu, quelle maléfique spirale fit se déliter au fil des mois la promesse de lendemains qui chantent en symphonie inachevée. Presque en requiem.

Là est le nœud gordien. Celui qu’il faut impérativement trancher pour éviter le pire. Si cela est encore possible. Que la puissance étatique soit hostile à une avancée institutionnelle ne peut en soi être condamnable. Ce qui l’est en revanche réside dans l’artifice de faire croire à un assentiment des revendications et feindre d’adhérer à une démarche tout en la sabotant à bas bruit. Voilà ce qui ravale le credo politique au rang de forfaiture. 

Car si rafraîchir quelque mémoire embuée s’impose, convenons que c’est durant le courroux qui embrasa la jeunesse insulaire que Gérald Darmanin fit les annonces que l’on sait. Une déclaration alliant problèmes sociétaux et en point d’orgue de lâcher à la surprise quasi-générale le mot d’autonomie, jusqu’alors taboue. 

Soyons magnanimes et acceptons l’idée que le chapeau soit trop grand pour lui. Dès lors l’alternative est d’une simplicité claire comme l’eau de roche. Soit il passe la main au bénéfice de Matignon, ce qui relève de l’utopie. Ou bien le président Macron entre dans le débat et annonce à haute et intelligible voix les opportunités et les limites qu’il fixe pour la Corse. 

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