Élysée-moi

EDITO

Par Jean Poletti

Poussez-pas ! Laissez-moi passer ! La course à la présidentielle s’apparente presque aux embouteillages du faubourg Saint-Honoré qui borde le palais de l’Élysée. Candidatures indépendantes ou compétitions des primaires rassemblent d’ores et déjà une trentaine de compétiteurs. Certains ne resteront pas dans l’arène, d’autres seront tentés d’y pénétrer. Scénario rocambolesque aux allures de vaudeville ? Pas vraiment tant il consacre les balkanisations d’un échiquier politique. Dans chaque famille, l’union n’est même plus un combat, mais une notion étrangère et saugrenue. Terrassée ici par les velléités, là par l’ambition personnelle. Partout par cet égo qui habille les impétrants en guides autoproclamés de l’avenir du pays. Parodiant un célèbre slogan publicitaire, ils se lèvent tous pour l’Élysée. Et les sondeurs de s’en donner à cœur joie classant et répertoriant tout ce petit monde dans un palmarès qui s’apparente au hit-parade des chansons. Faut-il rappeler à ces doctes prévisionnistes qu’ils donnaient Giscard largement vainqueur de Mitterrand en 81. Ou l’écrasante victoire de Balladur face à Chirac. Il nous souvient même d’une éditorialiste demander benoîtement à ce dernier quand il allait jeter l’éponge dans ce combat perdu ! On connaît la suite. À cet égard la liste est longue de ces révolutionnaires cathodiques qui veulent, à peu de frais, remuer la plume dans la plaie. Pour tout et n’importe quoi. Mais n’est pas Albert Londres qui veut. Et lorsqu’on croise le fer, il faut que le sujet en vaille la peine. Sinon se profile la vaine philippique au parfum de buzz qui altère la crédibilité journalistique, déjà bien écornée. Scénario similaire cinq ans plus tard où les augures annonçaient avec emphase le duel Chirac-Jospin. Nul n’avait décelé Jean-Marie Le Pen qui se qualifia pourtant au second tour. Renvoyant les oracles à leurs chères études. Autocritique ? Nullement. Ces mêmes messagers de scrutins attestèrent de manière péremptoire que Strauss-Kahn n’allait faire qu’une bouchée de Sarkozy. En l’occurrence, ils purent plaider que nul n’imaginait que le destin du directeur général du Fonds monétaire international allait se fracasser sur ses addictions sans queue ni tête. Et voilà cinq ans, Fillon était l’incontestable champion. Le sacre, une formalité. Lui aussi fut habillé pour l’hiver par une rocambolesque histoire de costumes, offerts par un supposé mécène. Un petit malin qui avait pris soin de conserver les factures pour les brandir opportunément. Cela pour dire tout simplement que dans cette course au mandat suprême, comme dans les autres d’ailleurs, les surprises s’invitent systématiquement à la table des prophètes médiatiques. L’histoire nationale ou locale est jalonnée de résultats qui ravalent les prévisions au rang de la cartomancienne. Ou de la boule de cristal. 

Inciter ces instituts ou commentateurs a davantage de prudence équivaut à prêcher dans le désert. Cette fois encore, on nous sert la qualification Macron-Le Pen. Même si une majorité des électeurs n’adhère pas à cette redite annoncée. En bannissant toute politique fiction, qui peut dire si Zemmour n’a pas déjà amputé les chances de la dame bleue Marine ? Il martèle en effet sous tous les tons « qu’elle ne peut pas gagner ! ». Lui non plus. Alors, d’une hypothèse, l’autre, les postulants de droite dite républicaine, si tant est qu’ils parviennent à se ranger derrière une ou un chef de file, pourraient-ils accroître leur électorat avec une frange du Rassemblement national séduit par le vote utile, afin se défaire du « mondialiste Macron » qu’ils vouent aux gémonies ? L’hypothèse serait saugrenue à condition de se risquer à mettre sous l’éteignoir la glorieuse incertitude des scrutins. Que dire en incidence des gauches dont les écuries présidentielles se réduisent comme peau de chagrin. Elles offrent le spectacle affligeant de parcours individuels, s’ignorant mutuellement. Écrivant, sans en avoir une claire conscience, la chronique d’une débâcle annoncée. Entre la maire de Paris, qui rêve d’un destin capital, Montebourg délaissant ses abeilles pour prôner le remontada, Stéphane Le Foll qui pointe le bout de son nez, d’autres qui sollicitent Bernard Cazeneuve, certains qui veulent faire un tour de piste. Bref la maison brûle, et certains n’aspirent qu’aux éphémères feux de la rampe. Les socialistes s’engagent sur un chemin jonché davantage d’épines que de roses. La déroute inégalée de Benoît Hamon, en épilogue aux nombreux coups de poignards contre Hollande, par ces Brutus qu’il avait fait princes du gouvernement et depuis retournés dans l’oubli, ne servit pas de leçon. Le Jugement vaut à maints égards pour Mélenchon, leader maximo de la Canebière, qui brûle ses derniers vaisseaux dans un combat ultime, sans doute celui de trop, où il est ardu de déceler si à ses yeux le véritable ennemi est l’hôte élyséen ou son ancienne famille. Et que dire du pathétique représentant communiste, pris entre la faucille du rejet électoral et le marteau d’un propos inaudible. Pour parfaire ce pastiche du jeu télévisé « Tout le monde veut prendre sa place », les écolos écartelés entre intégrismes et doctrine soluble rejoueront entre eux à « je t’aime moi non plus ». Tous dans la grande solitude du coureur de fond. La gauche plurielle ? La réponse est d’une touchante unanimité : haïssons-nous camarades. Mitterrand réveille-toi, ils sont devenus fous ! 

Pour l’instant, le Président n’a pas à faire campagne, ses adversaires s’en chargent pour lui. Il peut se consacrer aux commémorations diverses et variées, rôle où il excelle, unissant Élysée et Invalides, façonnant ainsi dans un raccourci saisissant le visage de l’actuelle République. 

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