Elodie Balesi

Une histoire de famille

Portrait

Par Karine Casalta

C’est en effet avec courage et détermination qu’Elodie s’est engagée dans les traces de ce grand-père adoré qui, alors qu’il n’était pas du métier, a eu la lubie de fonder l’établissement dans l’idée de fixer toute la famille au village. 

C’est animé par la volonté de garder dans le giron familial l’établissement fondé par son grand-père, qu’Elodie Balesi a repris en 2009, avec sa sœur Estelle, l’auberge Sole e Monti à Quenza. Une gageure à plus d’un titre pour la jeune fille qui terminait à peine ses études sur le continent et imaginait sa vie ailleurs. 

Inauguré en 1968, l’établissement est repris dès 1973 par son oncle Félicien, venu au départ épauler ses parents. « Par nécessité, et parce que cela se passait mal en cuisine avec les chefs avec lesquels il fallait travailler, ma grand-mère a repris la cuisine. Puis mon grand-père qui n’était pas du tout hôtelier a rapidement demandé à mon oncle de venir les seconder. » Au fil du temps, Félicien qui officiera ainsi durant près de 40 ans, fera du petit hôtel-restaurant une véritable institution. Élaborant en cuisine des plats signatures qui s’attirent les critiques élogieuses du guide Gault et Millau, on y vient alors pour sa table mais également pour l’art de recevoir. Des qualités certaines qui ont su attirer sur l’établissement modestement situé dans le petit village de Quenza une solide réputation. Un emplacement qui toutefois, situé entre Porto-Vecchio et Ajaccio, au cœur de l’Alta Rocca, aux pieds des aiguilles de Bavella et du plateau du Coscione, lui confère aussi un caractère tout particulier.

Une maison simple mais de renommée internationale

Révélé à l’international par un couple d’Anglais, Mr et Mrs Hogg, respectivement écrivain et journaliste, tombés sous le charme des lieux, participeront largement à sa notoriété : grâce à plusieurs articles élogieux parus dans le journal The Guardian pour l’une et plusieurs pages consacrées à l’établissement dans un livre sur la Corse qui connaît un grand succès Corsica the Fragant Isle pour l’autre. L’auberge jouit ainsi bientôt d’une reconnaissance internationale, accueillant tour à tour d’illustres clients britanniques tels que Denis Healy, grand chancelier de l’Échiquier, ou encore Margaret Thatcher (qui n’est pas encore Premier ministre), ainsi que de nombreux ressortissants du Royaume-Uni désireux de découvrir l’île de Beauté. Bénéficiant par ailleurs d’un emplacement privilégié sur le tracé du Tour de Corse, nombre de célèbres pilotes automobiles –de Jean-Claude Andruet, à Michèle Mouton, en passant par Jean-Pierre Nicolas, Gérard Larousse, Bernard Darniche, ou encore Jean Todt, pour ne citer qu’eux – prennent également l’habitude de s’y arrêter à l’occasion de leur participation au rallye.

C’est forte de cette histoire que la nouvelle génération, incarnée aujourd’hui par Elodie et Estelle, va bientôt venir apporter une nouvelle énergie à l’établissement familial.

Le choix de la continuité

En effet, dans la première décennie des années 2000, désireux de prendre une retraite bien méritée, Félicien annonce qu’il arrête et souhaite céder l’établissement. « Là, la question s’est réellement posée pour ma sœur et moi de savoir si nous étions prêtes à ce qu’il sorte de la famille. J’étais alors en stage en Italie, et je n’étais pas vraiment prête à rentrer, mais il a fallu faire ce choix, car il était impensable pour moi de lâcher ce lieu dans lequel on avait grandi. Et ma sœur m’a suivie. »

« Il était impensable pour moi d’abandonner l’œuvre de mon grand- père et de lâcher ce lieu dans lequel on avait grandi. »

Un choix loin d’être évident donc pour la jeune fille car à l’inverse de son grand-père, ses parents l’avaient en effet toujours poussée à faire autre chose. C’est donc vers des études de gestion qu’elle s’est orientée au départ. Diplômée d’un DUT en Gestion des Entreprises et des Administrations et d’une licence professionnelle, elle réalise bientôt que ce n’est pas sa voie. Et attirée par l’hôtellerie, elle rejoint alors l’Institut Paul Bocuse, sur lequel elle lorgnait depuis plusieurs années. Une formation d’excellence« Sur un coup de tête, je suis donc repartie faire trois ans d’hôtellerie qui m’ont fait rêver. »

« Il est vrai qu’à ce moment-là, j’ai souffert de rentrer, car je ne sais pas pourquoi j’avais toujours pensé qu’il y avait beaucoup plus de choses à faire ailleurs. »

Ouvrir un nouveau chapitre 

La reprise marque donc un nouveau départ, tant pour la vie de l’établissement que pour celle des deux sœurs. L’hôtel-restaurant vieillissant depuis quelques années, le besoin de rénovation se faisait sentir et tout était à recommencer« II a fallu redonner un coup de jeune à l’hôtel, refaire les chambres et relancer le restaurant qui était fermé, en veillant, c’était essentiel pour nous, à conserver l’âme des lieux. (…) Il a fallu du temps pour remettre la machine en route, on a connu des périodes difficiles au début, essuyé des difficultés qui finalement ont été un mal pour un bien. Car cela nous a obligées à faire des choix stratégiques, à réfléchir à des solutions optimales pour y arriver au mieux. Cela nous a permis d’être mieux armées pour l’avenir. On sait aujourd’hui qu’on peut s’en sortir, même en cas de coup dur. »

Alors qu’Estelle, diplômée de l’IDRAC Business School à Lyon, s’occupe plutôt de la gestion de l’hôtel, tout en menant en parallèle une activité d’agricultrice-éleveuse, Elodie enfile le tablier de cheffe« Très vite, on s’est retrouvées dans l’obligation de faire. Je n’avais pas de formation en cuisine. Chez Bocuse, j’avais suivi un cursus de management. Mais il fallait bien se lancer pour faire revivre le restaurant. Ça s’est fait dans la douleur au départ, mais j’y prends du plaisir désormais. » Aux commandes du restaurant, la jeune femme mise beaucoup sur la qualité des produits et une cuisine qui met le terroir corse à l’honneur. Une cuisine généreuse avec des plats orientés par ses souvenirs d’enfance, et par les recettes de sa grand-mère qu’elle revisite avec brio et qui fait à nouveau aujourd’hui la joie des gourmets.

Fière du chemin parcouru

L’auberge qui emploie jusqu’à 15 personnes en saison accueille ainsi de mai à octobre une clientèle locale qui vient s’y restaurer, ainsi que des touristes de passage désireux de découvrir le sud de l’île depuis l’intérieur. Sans compter aussi sur une fidèle clientèle d’habitués, sensibles à l’accueil et l’esprit de convivialité des lieux, avec lesquels de vrais liens ont été créés, qui reviennent chaque été. Une activité saisonnière qui demande néanmoins un investissement tout au long de l’année. « Nous avons un réel travail de préparation, d’anticipation, que ce soit pour les achats, la gestion du personnel, la comptabilité, les travaux d’entretien à réaliser, mais aussi en cuisine, où nous prévoyons les recettes et travaillons sur les plats et la carte des vins. Chaque année, nous essayons d’améliorer les choses. » Une vie qu’elle apprécie aujourd’hui. « En fin de compte, ce parcours que j’ai vécu au départ un peu dans la souffrance me rend fière aujourd’hui. Je suis heureuse de vivre au village, fière d’avoir réussi à rentrer pour reprendre l’établissement, et fière d’y arriver, parce que c’est tous les jours qu’on y arrive finalement… »

Et l’aventure est loin d’être terminée. Ce n’est même certainement qu’un début. En attendant, une chose est sûre, l’auberge Sole e Monti des sœurs Balesi est un endroit où il fait bon vivre.

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