Eau rage, eau désespoir

Edito

Par Jean Poletti

La question a la sécheresse d’un coup de trique. Allons-nous manquer d’eau cet été ? Les analystes évoquent pêle-mêle les nappes phréatiques qui n’affichent pas complet. La neige qui a couvert les sommets avec parcimonie. Tels voient la bouteille à moitié vide et d’autres à moitié pleine. Mais dans cette pluie de digressions et d’hypothèses, un fait probant demeure. Se réveillant aux beaux jours. Il coule de source dans les conversations. Pénurie ou pas ? 

L’an dernier, l’alerte fut chaude. Aux mesures de restrictions agricoles s’ajoutaient les appels à économiser la consommation dans les foyers. Ubu roi, des spécialistes incitaient à uriner lors des douches afin d’éviter de tirer la chasse des toilettes ! De l’anecdote à la problématique de fond, la lisière est ténue. Elle abreuve les discours qui évoquent le changement climatique, ou l’usage parfois immodéré de cette ressource naturelle que l’on crut longtemps intarissable. Ces discours légitimement alarmistes paraissent prendre leur source dans une fatalité en tant que telle implacable. Pourtant ce n’est pas révéler un secret de dire que notre île n’a qu’une lointaine parenté avec le désert de Gobi. Ici, bon an mal an, les précipitations oscillent annuellement autour de huit milliards de mètres cubes. Une bonne moitié s’infiltre dans le sol. Sans faire de compte d’apothicaire un simple calcul permet de dire que quatre milliards sont théoriquement disponibles. Leur utilisation ? Trois ou quatre pour cent sont dévolus à l’usage domestique. Et moins d’une centaine de millions sont dédiés à la production hydroélectrique. Et le reste, soit l’essentiel, d’incessants flots vont se perdre dans la mer. Si ce n’est pas du gâchis, cela lui ressemble étrangement. Le béotien pense spontanément que l’édification de barrages serait la solution. Construire des ouvrages modestes mais en nombre, ou bien en édifier peu mais de grande envergure. Telles sont les options divergentes émanant de responsables politiques ou de spécialistes. Mais le bon peuple est fondé à dire qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse. Son souhait est d’ouvrir le robinet ou arroser son potager. Au risque d’insister nous ne sommes pas sous les latitudes du Sahel et autre Burkina Faso. Ici, l’équation est radicalement différente. Les potentialités existent, il convient de les rentabiliser. Il est vrai que depuis des décennies ce dossier n’eut que rarement voix au chapitre. Bâtir une retenue relevait souvent du parcours du combattant pour les initiateurs. Entre recours administratifs et coûts importants, il fallait avoir la foi du charbonnier pour aboutir à l’épilogue souhaité. Désormais nécessité fait loi. Sauf à accepter cette épée de Damoclès à chaque retour des beaux jours, il convient d’initier une stratégie volontariste et efficiente pour que cette période soit un long fleuve tranquille. Retour vers le futur. Il fut un temps où l’idée avait germé de vendre le surplus de notre eau à la Sardaigne qui en avait un cruel besoin. Depuis l’eau coula sous les ponts. Et l’île voisine a réalisé les infrastructures nécessaires pour subvenir à ses besoins. D’ici à ce qu’elle nous propose de nous ravitailler, il n’y aurait pas loin de la coupe aux lèvres. En incidence, l’exemple d’Israël s’avère à maints égards édifiants. Les maraîchers font pousser leurs cultures en étudiant scientifiquement la quantité d’eau nécessaire. Chez eux, la chasse au gaspi n’est pas un simple slogan. D’ailleurs une délégation insulaire put le constater de visu et en prendre de la graine. Là-bas on arrive à viabiliser des orangeraies au cœur du Sinaï. Changement de cap en Corse. Tout porte à le croire. La prise de conscience affleure. Un schéma adopté voilà deux ans par la Collectivité territoriale se conjugue avec le plan Acqua Nostra. Cinq cents millions d’euros ont été alloués afin qu’émerge une véritable politique de l’eau et poser les jalons de projets structurants. Voilà, au-delà des annonces et subventions, le signe patent et salutaire que ce fait de société n’est plus dans les esprits des décideurs assimilable à l’eau qui dort. Sans verser dans la vaine philippique force est de reconnaître que c’est sous la houlette de l’actuelle majorité dirigée par Gilles Simeoni qu’un tel sujet fait actualité. En contrepoint, cela souligne que les diverses mandatures précédentes furent peu ou prou aux abonnés absents, laissant perdurer et s’amplifier un hiatus au point qu’il prenne un caractère d’urgence. Qui a dit que gouverner c’était prévoir ? Il n’empêche chacun comprend aisément que cette question de l’eau, qui en son temps manqua de prospective, draine en incidence de néfastes conséquences sur de nombreux pans de l’activité économique. À commencer par l’élevage et le tourisme. Des propriétaires acheminant des citernes pour abreuver tant bien que mal leurs troupeaux assoiffés. Des vacanciers parfois priés d’être précautionneux dans les salles de bains. Ajoutons à cela les recommandations de couper régulièrement les climatisations dans les maisons qui en disposent. Tel était le scénario de l’été écoulé. Bis repetita ? Quoi qu’il en soit la Corse baptisée de château d’eau sur la mer doit désormais veiller à ne plus usurper ce qualificatif. 

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