Décentralisation COMMUNAUTÉ ? VOUS AVEZ DIT COMMUNAUTÉ ?

Le 11 mars au siège du ministère de l’Intérieur, une délégation d’élus de la Corse, composée de quatre élus autonomistes et quatre de droite, a adopté à une très large majorité, avec l’assentiment du ministre, la dernière version d’un texte ouvrant la voie à l’insertion dans la Constitution, d’un « statut d’autonomie au sein de la République » pour la Corse.

Par Emmanuelle de Gentili

Son 1er alinéa a été repris en les mêmes termes par l’Assemblée de Corse : « La Corse est dotée d’un statut d’autonomie au sein de la République, qui tient compte de ses intérêts propres liés à son insularité méditerranéenne et à sa communauté historique, linguistique, culturelle ayant développé un lien singulier à sa terre.» Transmis au Sénat, ce texte sera ensuite examiné par l’Assemblée nationale. Une querelle a pris corps sur la reconnaissance d’une «communauté», le terme étant pour ses opposants, une menace à l’unité de la République. Bien évidemment dans le contexte international et national fort chaotique, communauté est reliée à communautarisme et communautarisme à communautarisme islamique après les massacres tragiques du Bataclan, de Nice, de Charlie Hebdo et de l’assassinat des enseignants Samuel Paty et Dominique Bernard. Cette querelle est cependant tranchée depuis 40 ans: la communauté historique, linguistique et culturelle de la Corse est reconnue par la loi, sans préjudice pour l’unité de la République.

Pas de tornade constitutionnelle

En effet, l’article 1er de la loi n° 82-214 du 2 mars 1982 portant statut particulier de la région de Corse disposant que «l’organisation de la région de Corse tient compte des spécificités de cette région résultant, notamment, de sa géographie et de son histoire» a été validé par le Conseil constitutionnel qui déclarait conformes à la Constitution « son insularité et ses spécificités historiques ». (Décision 82- 138 DC). Il en a été de même pour l’article 40 organisant «la sauvegarde et la diffusion de la langue et de la culture corses», c’est- à-dire la reconnaissance de la «spécificité culturelle de l’île ». Ainsi la juridiction suprême n’a pas trouvé de forces centrifuges de nature à éloigner la Corse de la République, dans cette notion de communauté. Pour mémoire, c’est la mention de «peuple corse, composante du peuple français» qui a été censuré au motif qu’elle portait atteinte à «l’unicité du peuple français». Cette notion de communauté n’a pas donné lieu à des surenchères dans l’Hexagone. Pas plus d’ailleurs que les notions de «peuples d’outre-mer » puis, de « populations d’outre-

mer» inscrites en 2003 dans la Constitution, n’ont entraîné de surenchère dans les départements et régions d’outre-mer, ni que la reconnaissance d’un peuple kanak, après l’accord de Nouméa de 1998, n’a conduit ce territoire à l’indépendance. L’acceptation de la diversité en tous ces territoires, Corse comprise, n’a jamais provoqué une tornade constitutionnelle menaçant la 5e République.

Identités revendiquées

L’appel du président de la région Bretagne pour que les différentes identités de la France soient respectées n’est pas une conséquence de la réforme du statut de la Corse. Cette région fait régulièrement des propositions de traitement de ses spécificités en demandant un régime dérogatoire et la question de l’identité bretonne, posée depuis longtemps est récurrente. La région Alsace profite avec la Bretagne des annonces du gouvernement pour promouvoir la reconnaissance des spécificités de régions à forte identité. Cette démarche correspond d’ailleurs à l’esprit de la décentralisation menée depuis 1982, qui confie plus de gouvernance à l’échelon local, tout en préservant l’unité nationale. C’est également la position du congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe, principale organisation de défense des droits humains du continent, fondée en 1949, qui a créé la Convention européenne des droits de l’homme ou CEDH.Depuis 1999, le Conseil de l’Europe affirme que la reconnaissance de statuts particuliers représente une réponse appropriée des États à l’existence de situations culturelles, linguistiques, historiques et géographiques spécifiques sur une partie de leur territoire.

L’unité dans la diversité

Le Conseil mentionne ensuite que l’octroi de statuts particuliers constitue un moyen d’éviter que la diversité culturelle au sein d’un État soit considérée comme une menace pour celui-ci, et que l’État soit perçu comme une menace par chaque minorité se trouvant sur son territoire, le tout contribuant au maintien de son intégrité territoriale. L’obstination sur des positions jacobines me paraît inappropriée au 21e siècle, car le statut d’autonomie permettra à la Corse d’avoir un développement économique et social adapté à sa situation d’île montagne.

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