César Campinchi, l’autre député corse opposé à Pétain

Par René Santoni
Un parlementaire empêché de voter
L’histoire a retenu le nom de Paul Giacobbi comme le seul parlementaire corse à avoir voté contre les pleins pouvoirs au maréchal Pétain le 10 juillet 1940. Mais un autre député corse, César Campinchi, fut lui aussi un farouche opposant à l’armistice et à l’abandon de la République.
Assigné à résidence à Marseille par le pouvoir pétainiste, il fut empêché de participer au vote décisif de Vichy. César Campinchi n’aurait pas voté les pleins pouvoirs à Pétain !
14-22 juin 1940 : la semaine où tout bascula
Alors que des millions de Français fuient sur les routes, les troupes allemandes entrent dans Paris le 14 juin 1940. Le gouvernement de Paul Reynaud, dont Campinchi est ministre de la Marine de guerre et De Gaulle sous-secrétaire d’État à la Guerre et à la Défense nationale, se replie d’abord sur Tours, puis s’installe à Bordeaux le 15 juin.
Le 16 juin, Paul Reynaud démissionne, miné par le conflit entre les partisans de la poursuite du combat et ceux favorables à l’armistice. Philippe Pétain est alors nommé chef du gouvernement et forme aussitôt un nouveau cabinet, dans lequel Campinchi et De Gaulle hostiles à l’armistice n’ont plus leur place.
Dans la nuit, Pétain demande leurs conditions d’armistice à l’Allemagne et à l’Italie par l’intermédiaire de l’ambassadeur d’Espagne et du nonce apostolique.
Dès le lendemain matin, De Gaulle, n’ayant plus de fonctions ministérielles, s’envole vers Londres, où le lendemain (le 18 juin) il lancera son célèbre appel à la Résistance.
Dans la journée du 17 juin, Pétain dans un discours à la radio française demande aux Français de cesser le combat !
Le piège du Massilia et l’assignation à résidence de Campinchi
Dans l’urgence et la confusion, le Conseil des ministres évoque le transfert du gouvernement en Algérie, alors département français. Un paquebot, le Massilia, est réquisitionné par le nouveau pouvoir. Il pouvait embarquer jusqu’à 1 000 passagers, mais en raison des contre-ordres et du changement précipité de lieu d’embarquement (Le Verdon au lieu de Bordeaux), seuls une centaine de hauts fonctionnaires et 27 parlementaires accompagnés de leurs familles, dont César Campinchi et son épouse Hélène, prennent la mer le 21 juin 1940, direction Alger via Casablanca.
Le 22 juin, alors qu’ils sont en mer, les passagers apprennent la signature de l’armistice à Rethondes. Ayant compris qu’ils avaient été piégés, certains demandent au capitaine de rebrousser chemin. Celui-ci refuse, faute d’ordre officiel.
À leur arrivée, ils sont assignés à résidence et discrédités comme «fuyards» ou «déserteurs» par le nouveau pouvoir, la presse pétainiste ne manquant pas de rappeler que Mandel, Mendès France ou Zay étaient juifs.
Les poursuites du régime de Vichy
Plusieurs figures embarquées sur le Massilia sont poursuivies. Pierre Mendès France, Jean Zay, Pierre Viénot et Alex Wiltzer sont arrêtés dès août 1940 à Casablanca, ramenés en métropole et traduits devant le tribunal militaire de Clermont-Ferrand pour « désertion devant l’ennemi ».
D’anciens ministres comme Édouard Daladier et Georges Mandel sont accusés d’être responsables de la défaite. Ils seront jugés au procès de Riom en 1942, mis en scène par Vichy pour justifier l’armistice.
Zay et Mandel seront finalement assassinés par la Milice en 1944.
César Campinchi, mort prématurément en février 1941, échappa à ces procès iniques.
Son épouse Hélène poursuivra le combat en s’impliquant dans la Résistance, ce qui lui vaudra par la suite la médaille de la Résistance et la Croix du Combattant Volontaire de la Résistance.
Plus tard, elle concrétisera le projet de son mari sur la refonte de la justice des mineurs avec l’ordonnance de 1945.
César Campinchi, un visionnaire face au nazisme et au fascisme
Né à Calcatoggio en 1882, avocat brillant, conseiller général puis député radical-socialiste de la Corse, Campinchi fut une grande figure de la vie politique de l’entre-deux-guerres. Très tôt, il alerta sur les dangers du fascisme et du nazisme.
Dès 1933, il dénonça la « barbarie » du régime hitlérien. Le 24 janvier 1936, dans un entretien à L’Univers israélite, il fustigea l’idéologie de la « race pure », cita Renan pour rappeler que « faire reposer la politique sur l’ethnographie, c’est la faire reposer sur une chimère », et condamna la soumission de la justice allemande à Hitler.
Ministre de la Marine : préparer la guerre
Nommé ministre de la Marine en 1937, puis de nouveau en 1938-1940, Campinchi engagea un vaste programme de modernisation navale.
Sous son impulsion, la France mit sur cale les cuirassés Richelieu et Jean Bart, lança la construction de porte-avions et de sous-marins, et modernisa les bases stratégiques d’Aspretto (Ajaccio) et de Mers el-Kébir.
Convaincu de l’inéluctabilité de la guerre, il fit de la puissance maritime un pilier stratégique de la défense française.
À la veille de l’armistice, la marine de guerre française était l’une des flottes les plus puissantes du monde. Elle se situait au 4e rang derrière les États-Unis, le Japon et la Grande-Bretagne.
À la veille de la capitulation, alors qu’une grande partie de l’armée française était en déroute, elle était invaincue et prête au combat.
Un homme de guerre aux côtés des alliés
Pendant la « drôle de guerre », Campinchi siégea au Comité de guerre avec Daladier, Paul Reynaud, Georges Mandel et Jean Monnet.
Il participa aux négociations avec l’Angleterre pour renforcer la coordination des forces alliées et fit partie du Conseil suprême interallié avec les Britanniques.
Winston Churchill lui rendit un hommage appuyé dans ses mémoires (The Gathering Storm, 1948) :
« Je me suis fait une haute opinion de cet homme. Son patriotisme, sa fougue, sa vive intelligence et surtout sa détermination à vaincre ou à mourir font mouche. (…) Ce Corse coriace n’a jamais bronché ni échoué. »
Une mémoire à réhabiliter
Mort en 1941, César Campinchi ne connut pas la Libération. Mais son refus de la soumission, son combat contre le nazisme et son rôle de stratège naval en font l’un de ceux qui avaient « vu venir la tempête ».
Le 10 juillet 2025, à l’occasion du 85ᵉ anniversaire du vote des pleins pouvoirs, le Premier ministre François Bayrou a rendu hommage aux 80 parlementaires qui dirent non à Pétain et aux passagers du Massilia, réhabilitant symboliquement la mémoire de César Campinchi.
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