Au portillon des opportunistes

Edito

Par Jean Poletti 

« Je retourne ma veste, toujours du bon côté. » La chanson humoristique de Jacques Dutronc rejoint la réalité. On joue des coudes toute honte bue. Poussez pas. Laissez-moi passer. J’veux une place. Triste spectacle des responsables de formations politiques qui jettent leurs doctrines par-dessus les moulins pour se rendre à Canossa. Droite, gauche écologiques unies dans une démarche qui s’apparente à un ralliement en rase campagne. Marchandages pour des circonscriptions. Danse du ventre afin de séduire le prince élyséen dans l’espoir d’une mansuétude ministérielle. Oubliés les serments électoraux. Banni l’élémentaire programme brandi tel un drapeau lors de la campagne. Aux orties les philippiques mutuelles et pléthoriques. Par une sorte d’alchimie au parfum de mystère, les ennemis d’hier deviennent alliés aujourd’hui. Complices demain. Folleville pas mort. Les velléités de s’asseoir, fut-ce en bout de table au banquet de l’illusoire pouvoir, annihilent toute considération, bannissent la dignité, laminent les crédos. Dans la sphère gouvernementale, les trois coups de l’après-Macron ont d’ores et déjà été frappés. Les appétits s’aiguisent. Les dagues sont sorties. Dans les allées du pouvoir, les Brutus aux petits pieds s’agitent. Plutôt que d’en découdre ouvertement, ils feignent l’union de façade. Jurant main sur le cœur de se soutenir, comme la corde de pendu. François Bayrou marque à la culotte Édouard Philippe. Les jeunes loups Marcheurs surveillent ce duo comme le lait sur le feu. Bruno Le Maire et quelques autres patientent en une vigilante position de repli. Sarkozy dans un théâtre d’ombre veut jouer les deus ex machina. Le bon peuple rigolard et dépité observe ces luttes sournoises qui préfigurent la prochaine présidentielle. En incidence ralliements de circonstance et alliances hypocrites ne peuvent colmater dans l’opinion publique le sentiment d’une course à l’échalote. Elle atteint en onde de choc le microcosme parlementaire avec ses transfuges surprenants qui suscitent d’intenses turbulences au sein du parti les Républicains. Il n’est qu’à écouter son président Christian Jacob pour s’en convaincre aisément. Dans l’opposition, le clair-obscur est aussi de saison. Jean-Luc Mélenchon, fort de son score à la présidentielle, joue au Lider Maximo. Toute la gauche soumise aux insoumis ! L’ultimatum ne souffrait pas de compromis. Tous derrière son panache, ses idées, sa vision du monde, et sa relative laïcité. Socialistes, écolos, communistes le doigt sur la couture du pantalon, acquiescèrent. Dans un sauve-qui-peut général, ces formations préférèrent préserver quelques postes de parlementaires au risque de perdre leurs âmes. Certes, des personnalités ruèrent dans les brancards. Bernard Cazeneuve, ancien Premier ministre, déchira sa carte. Mais d’autres qui voulaient sans doute prolonger leur contrat électif à durée déterminée foulèrent aux pieds les idées de Jaurès. 

François Mitterrand, qui subit une série de revers, disait en leitmotiv que « si l’on tombe du côté où l’on penche, on se relève toujours. Dans le cas contraire on reste au sol, souvent pour toujours ». N’est-ce pas cette chute contre-nature que vient d’acter le transparent patron de l’ex rue Solferino ? Dans cette sarabande échevelée, certains réalisent un triple salto ponctué d’un rétablissement digne des meilleurs virtuoses. Le champion toutes catégories est l’insubmersible Manuel Valls. Après avoir affublé Macron de tous les noms d’oiseaux, il partit bâtir des châteaux en Espagne. Rêveries brisées. Le pâle Don Quichotte revint au bercail. Il s’incrusta aux premières loges lors de la fête présidentielle au grand étonnement des convives. Deux passes de muleta plus tard, il n’obtint pas les oreilles et la queue d’une faena réussie, mais un lot de consolation et l’auguste accord du retour au bercail. Lui qui eut des mots tranchants comme le diamant à l’endroit de la Corse. Et plus généralement optait pour le ton de Saint-Just ne souffrant nulle compromission a mis beaucoup d’eau dans sa sangria. Député n’a pas de prix, même s’il a un coût. Olé ! 

Finalement à l’orée de ce quinquennat, Jupiter n’est déjà plus César. La succession est ouverte. Elle sera alimentée par des luttes d’influence, commencées au fleuret moucheté dans les allées de l’État mais aussi au palais Bourbon. « Celui qui quitte votre parti pour aller dans un autre est un traitre. Celui qui vient d’un autre parti pour rejoindre le vôtre est un converti. » La formule est de Clemenceau. Elle est d’une brûlante actualité.

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