« Adolescence »

Une série instructive à bien des égards.

Des millions de spectateurs ont suivi et plébiscité cette série britannique sortie sur Netflix le 13 mars dernier. Le réalisateur, Philip Barantini, apporte une dimension saisissante avec un choix audacieux : filmer chaque épisode en une seule prise continue. Ce procédé accentue la tension dramatique et plonge les spectateurs au cœur de l’action, rendant l’expérience encore plus réaliste et oppressante.

Par Jean-Pierre Nucci

Le récit fascine car il nous renvoie à notre propre turpitude. Que raconte-t-il ? Rien de très insolite, l’histoire d’un jeune garçon soupçonné de meurtre. La victime, une jeune fille de sa classe est retrouvée morte sur un parking à proximité du collège. Sept coups de couteau lui ont été portés sur tout le corps. Un fait divers comme on en constate trop régulièrement de nos jours. C’est triste, mais banal. Et c’est là que le réalisateur fait preuve de tout son talent pour sortir de cette banalité avec sa caméra au poing en nous guidant étape après étape au plus près de l’action, depuis l’arrestation musclée, c’est le moins que l’on puisse dire, au domicile de ses parents, jusqu’à la veille du procès, en passant par la garde à vue, l’enquête au collège, etc. Rien n’est épargné au téléspectateur, ni la procédure, ni les humiliations subies par le jeune ado, ni l’hébètement des parents, surtout du père, ni l’enfermement, la scène de la mise en cellule est poignante, mais ce n’est pas tout, la caméra s’arrête sur la famille, renseigne sur l’angoisse qui les étreint, les questionnements qui les taraudent, les agressions extérieures subies, de la part des camarades de classe envers la sœur – la visite du collège est édifiante quant à la perte d’autorité des enseignants dans cet établissement de la banlieue londonienne – la perte d’emploi du père… La difficulté de surmonter les épreuves qui s’accumulent est immense, la méchanceté crasse et gratuite insondable à laquelle ils doivent faire face est nauséeuse. La mort violente d’une adolescente est dramatique et injustifiable, le lynchage d’une famille innocente tout autant.

« Mon Dieu. Cela pourrait nous arriver ! »  

Et ce qui se passe ici est le pire cauchemar d’une famille ordinaire… 

Oui, c’est de cela dont il nous faut parler maintenant. Tous coupables car démissionnaires. C’est plus aisé de s’affronter à ses ennemis qu’à ses amis, encore plus à ses enfants. Les parents devraient s’interposer avec fermeté quand leur enfant ferme la porte de sa chambre afin de s’isoler. Seul face à son écran, tout peut arriver. L’accepter c’est prendre le risque de le perdre. C’est ce que nous enseigne cette mini-série. Alors qu’ils le pensent à l’abri, « Jamie », c’est le prénom du gamin, explore le monde depuis son clavier et se heurte aux pires dangers qui soient. L’emprise des influenceurs n’est jamais loin, l’agression de même.

Depuis quelque temps « Jamie » est ridiculisé par une jeune fille qu’il trouve jolie « malgré qu’elle soit plate !!! » Des photos postées à son insu sur la toile reflètent son absence de poitrine. Cela fait rire autour d’elle, surtout au collège, ne sachant comment répondre à cette injure, elle se venge en insultant « Jamie » avec des codes précis compris par les initiés. C’est le choc, la tension monte, lui qui s’identifie à son père, et non à sa mère, laisse gronder sa colère, jusqu’à commettre l’irréparable. Et d’un !

Dans la dernière étude en date, publiée il y a plus de dix ans, les élèves scolarisés dans un établissement avec uniforme obtenaient les mêmes résultats que ceux scolarisés dans un établissement sans uniforme, et le climat scolaire ne différait pas entre les deux établissements.

Combien de fois le port de l’uniforme règlementaire a-t-il été évoqué comme la solution miracle par une partie de la classe politique française pour éradiquer les maux de l’école. Pourtant les études sérieuses concluent globalement à l’absence d’effet sur la réussite et le climat scolaire. Pour aller plus loin, de nombreuses recherches montrent que les enfants sont capables de détecter l’origine sociale des autres sur la base de nombreux indices, comme la façon de se tenir et de parler.

La scène de la visite du collège est édifiante de ce point de vue-là. Il règne dans cet établissement une atmosphère délétère. Outre l’absence de discipline, le désordre ambiant, la démission des professeurs, au détour d’un jeu de caméra on observe l’un des élèves se faire traiter de « rat » car il est issu d’un milieu social défavorisé. Uniforme ou pas, l’humiliation est omniprésente, la violence sous-jacente, telle est la réalité de nos établissements scolaires. Et de deux !

« Jamie » est humilié par une jeune fille qu’il apprécie par ailleurs sur les réseaux sociaux. Son orgueil est piqué, la pression exercée par les autres élèves du collège devient insupportable, il doit y mettre fin pour recouvrer son honneur. Il s’empare d’un couteau dans le but de l’intimider, face à son déni, il lui assène sept coups. D’où lui vient cette agressivité ? Après enquête, on constate que la famille est non violente, le père se laisse aller à quelques énervements, mais jamais rien de bien méchant, mais le gosse est colérique, il s’emporte quand on le contredit, l’épisode avec la psychologue est riche en informations, la confrontation sidérante tournera à l’avantage de cette dernière. De qui donc tient-il cette agressivité ? C’est la question. Du père peut-être ? Ou de sa facilité à laisser enfler sa colère, bien que des témoignages le contestent. De la fatigue accumulée à la suite de trop nombreuses heures face à son écran ? Oui il y a aussi de cela mais plus sûrement de l’emprise des réseaux sur sa propre personnalité. « Jamie » est un enfant gentil avec ses parents, agressif avec les autres.

Le cocktail est explosif, la combinaison de l’absence de discipline scolaire avec l’excès de liberté sur le net doublée de la démission parentale, promeut la mauvaise éducation. Pour l’adolescent, les repères sont faussés, le virtuel agit sur le réel de façon négative, le passage à l’acte s’en trouve encouragé.

Samuel Paty est mort à la suite d’un appel au meurtre lancé par le père d’un élève sur les réseaux sociaux. Nous devrions tous nous en souvenir.

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