A la une – Juin 2015

Parti Pris

Ailleurs l’herbe est plus verte

Partir, ne pas revenir

 

L’exil des Français s’accélère, sans inquiéter outre mesure les responsables politiques qui évitent habilement d’évoquer ce phénomène désormais massif. Pourtant, voilà trois ou autre ans quetous les signaux d’alerte clignotent.

Par Vincent de Bernardi

D’abord, il y a ceux qui, partis il y a quelques années, ne veulent plus revenir. Ils sont 40% dans ce cas. Et ce n’est pas uniquement pour des raisons fiscales. C’est aussi un état d’esprit que les expatriés ne veulent pas retrouver en rentrant au pays.  Jusqu’à présent, l’exil économique était souvent  consécutif à de catastrophes, aux famines, aux persécutions, aux guerres. La Corse a connu ce phénomène pendant des décennies. A la fin de la deuxième moitié du XIXème siècle, le solde migratoire de l’île devient négatif de façon durable jusqu’à  qu’aux années soixante.  Cela a d’ailleurs été l’une des raisons de son sous-développement. La diaspora  qui s’est constituée, est restée attachée à sa terre mais n’y est guère revenue et y a peu investie. Sans être de même ampleur et pour des raisons différentes, ce phénomène « d’exil » se reproduit aujourd’hui alors que les circonstances historiques sont très différentes.  C’est l’insécurité économique orchestrée et entretenue par les responsables politiques qui s’est substituée à l’insécurité tout court.

Matraquage fiscal, moral en berne, manque d’énergie, alimentent une forme de « désamour » des Français pour leur pays.  Les cadres, les entrepreneurs, les jeunes quittent la France parce qu’ailleurs, l’herbe est plus verte, parce qu’ailleurs tout est possible.

L’expatriation  en marche

Les jeunes diplômés n’ont jamais autant ressenti l’appel du large. Selon une enquête récente Ifop pour le cabinet Deloitte, ils sont 27 % à envisager leur avenir professionnel hors de France. C’est deux fois plus qu’il y a un an! Pour ceux qui sortent des grandes écoles, l’expatriation est désormais une démarche naturelle pour ne pas dire incontournable. La population des Français établis à l’étranger est estimée de 1,5 à 2 millions de personnes. « Plus qualifiée et plus active que la moyenne nationale », elle a augmenté de « 3 % à 4 % par an au cours des dix dernières années (soit environ de 60 000 à 80 000 personnes par an) ». Dans le même temps, la population française croissait de 0,6 % en moyenne. Pour les partis politiques, elle est devenue une cible électorale de choix. La gauche comme la droite cherchent à la séduire sans vraiment s’interroger sur les raisons de cet exil.

Jacques Attali dénonçait récemment cette ignorance des politiques dans une chronique de l’Express intitulée « la France se vide, qui s’en occupe ? ».  A entendre le Gouvernement, le pays n’a jamais été aussi attractif. Il demeure la première destination touristique au monde. Il va accueillir des évènements géants comme l’Euro de football en 2016. Laplanète à les yeux fixée sur Cannes ou sur Roland Garros. Et pendant ce temps-là, le reste du monde avance, décide, entreprend et attire toujours plus de Français qui se désolent de l’incapacité de leurs responsables politiques à changer.

Lente hémorragie 

Comment envisager l’avenir sereinement quand la moindre cession d’entreprise à un groupe ou des investisseurs  étrangers – on se souvient de l’affaire Dailymotion –  fait polémique ? A-t-on encore les moyens de brandir la bannière du patriotisme économique quand on fait tout pour dissuader les entreprises d’embaucher, d’investir, de se développer ?    A l’instabilité fiscale s’ajoutent les rigidités du marché du travail, et les discours pro business ne remplacent pas les actes en faveur des entreprises. Stimuler l’économie à coup de crédits d’impôts, de labels à la modeFrench Tech et d’emplois aidés n’a jamais fait une politique économique ambitieuse surtout en y ajoutant des obstacles comme celui de la pénibilité ou des normes supplémentaires. Pas étonnant dans ces circonstances que les sièges sociaux quittent le pays pour n’y laisser qu’une façade, que les jeunes diplômés s’expatrient en nombre. Mais qu’importe ! Le mythe de la France éternelle est toujours vivant. Pour  Jacques Attali cette situation s’apparente à une lente hémorragie « comme quand quelqu’un se coupe les veines : au début, c’est sans douleur, et puis il s’endort, et puis il meurt. C’est lentement que la France mourra du départ de ses forces vives ».

Tentation du repli

Mais en attendant, le pays est en train de se couper en deux. Il y a celui de l’extérieur, qui refusant le déclin, entreprend, agit, s’épanouit et celui de l’intérieur, sclérosé, endormi pour ne pas dire rabougri, inquiet qui s’appauvrit. Bien sûr, on trouvera toujours des combattants de la fatalité, qui relocalisent, qui prônent le « made in France ». Ils sont minoritaires et peu encouragés. Ils sont face à ceux, de plus en plus nombreux, qui plaident pour l’isolement, le repli protectionniste, ceux qui font de l’Euro et de l’Europe les responsablesde tous nos maux. Comme si tout n’était qu’affaire de déficit de souveraineté ! C’est surtout une affaire de volonté et de courage politique. Ca nous manque cruellement aujourd’hui.

Exergue  « A gauche comme à droite on ne s’interroge pas sur les raisons de cet exil »

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