A la une – Avril 2015

Parti  pris

Les leçons  du Doubs

Par  Vincent de Bernardi

 

A l’approche des élections départementales, il y a fort à parier que l’on va entendre reparler du Ni-Ni, « ce nuisible » qui en février a fait pas mal de ravages à l’occasion d’une législative partielle. Mais quelle partielle ! Elle a fait couler un peu d’encre avant et beaucoup après.

 

Raison de l’engouement dans le Doubs ? Il s’agissait de la circonscription de Pierre Moscovici, parti à Bruxelles au risque de faire perdre la majorité absolue au PS à l’Assemblée nationale.  La campagne s’est pourtant déroulée dans une relative indifférence. Et pour cause. Qui se préoccupait de ce scrutin alors que la France rassemblée était encore sous le choc des attentats des 7 et 9 janvier ? Il aura fallu un premier tour éliminantle candidat de l’UMP et promettant un match  serré entre le FN et le PS. Et là, la politique a repris ses droits.

A droite, on a justifié la défaite par la mauvaise qualité du candidat investi par un parti à trois têtes, faute de pouvoir donner une analyse plus sérieuse ! A gauche, sans fanfaronner, on a battu le rappel pour faire revivre l’esprit du 11 janvier et combattre un Front National arrivé second à 4 points derrière le PS.  Et c’est Manuel Valls et Bernard Cazeneuve qui s’y sont attelés, non sans talent. Il fallait au moins ça pour remobiliser un électorat sceptique voire apathique. Et donner l’illusion de l’enjeu.

Pendant ce temps, à l’UMP, la ligne a eu bien du mal à se dessiner, comme si chacun avait été pris de cours et que le retour d’un chef n’avait permis d’imposer aucun leadership. Les partisans du front républicain ont tiré les premiers, avant les défenseurs du « non choix ».

 

Attitude  irresponsable

Ce fameux « Ni Ni », qui pour des responsables politiques a quelque chose d’irresponsable. Quand au front républicain. Il est sensé faire barrage à tous ceux qui ne seraient pas républicain. Or, l’appliquer à des partis autorisés à participer à des élections, cela semble quelque peu incohérent. Soit ils sont républicains, et le terme même de front républicain est impropre, soit ils ne le sont pas et dans ces conditions, ils sont interdits. En réalité, il serait plus juste de parler de front contre les extrêmes.  Cette pratique de donner des consignes de vote apparaît de plus en plus dépassée et se heurte aujourd’hui à une forme d’autonomisation et de volatilité de l’électorat. Elle témoigne surtout d’une perte très nette d’audience et de crédibilité des partis politiques associée à une défiance à l’égard des élites.

Revenons dans le Doubs pour éclairer cette situation ; beaucoup de commentaires sont venus obscurcir une réalité qu’il n’est pas inutile de rappeler. D’abord, cette circonscription n’est pas un fief socialiste. Pierre Moscovici l’avait arrachée d’une courte tête à la droite en 2007 et a de nouveau gagné en 2012 dans une triangulaire contre l’UMP et le FN.  C’est aussi une circonscription populaire à composante ouvrière où le poids de la religion est resté fort dans une terre réformée. Dès la fin des années 80, le FN y fait  déjà de bons scores. C’est donc l’histoire d’une lente progression du vote pour l’extrême droite sans pour autant atteindre les niveaux que le parti frontiste enregistre dans le Nord ou dans le Sud-Est.

 

L’arroseur arrosé

Le Doubs incarne l’exemple d’une fusion avancée des électorats de l’UMP et du FN. En tirer des conclusions pour le reste du territoire serait hâtif. Mais il existe bien d’autres circonscriptions où le FN renforcé par un électorat composite issu de la droite mais aussi, dans une moindre mesure de la gauche, est en capacité de remporter une élection au scrutin majoritaire à deux tours.

Désormais, on le voit à la faveur de cette élection partielle, le siphon s’inverse au profit du Front National. C’est une évolution assez nouvelle. La stratégie « buissonnière » de siphonage des voix du FN serait en train de se retourner contre ceux qui l’ont imaginée et appliquée. Dès que le FN passe devant l’UMP dans un scrutin, une fraction importante de l’électorat UMP bascule dans une sorte de reflexe de vote utile. Un modèle statistique a montré que près 49% des électeurs de droite auraient voté pour le candidat du Front National lors du second tour dans le Doubs. Dans cette hypothèse, l’UMP est face à un problème majeur dont dépend sa survie. Il n’a d’autres choix que de combattre le FN sur tous les terrains et en particulier sur celui du refus du conservatisme et du repli. Sans quoi il ne pourra endiguer les alliances de fait avec le FN qui se passeront localement, scrutins après scrutins. La seule solution  est donc le retour à l’esprit de l’UMP, parti de la droite et du centre.  Ou la disparition.

 

Ephémères boucliers

Pour la gauche, l’enjeu tout aussi important. Seule la menace du danger Lepéniste parvient encore un peu à mobiliser un électorat déçu. Mais pour combien de temps ? L’esprit de Charlie ne pourra être brandit éternellement pour empêcher la montée du FN. La tactique lui permettant d’être présent au second tour va finir par s’effondrer. Il doit opter pour une nouvelle stratégie qui ne peut plus se résumer à la seule diabolisation.

Contrairement à son père  qui  adoptait une posture  tribunicienne Marine Le Pen  ne cache pas son désir d’accéder au pouvoir suprême.  Elle a policé  le discours et s’implique résolument dans les problématiques sociétales.  Paradoxalement on  le retrouve  en première ligne pour défendre la laïcité.  Populisme ?   Mais les thèmes  trouvent échos  favorables. Et les formations classiques semblent à court d’arguments  pour  s’y opposer de manière crédible et audible.

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