A Corsica si canta è si porta propiu bè

Les différents chants traditionnels qui accompagnaient autrefois la vie quotidienne des Corses tels que A tribbiera, U chjama è risponde, I Terzetti, E Nane, I Lamenti et autres n’ont pas été oubliés des répertoires actuels. Après la période du Bel Canto et celle du chant dit folklorique, le Riacquistu des années 70 a permis de leur rendre la place qui était la leur au cœur du patrimoine culturel immatériel de l’île. 

Par Vannina Angelini-Buresi 

Depuis les années 70 le chant culturel et traditionnel se transmet de génération en génération. Canta U Populu Corsu a initié la voie empruntée par de nombreux groupes depuis et si certains se sont perdus et endormis en cours de route, d’autres sont toujours là, d’autres se sont séparés et de nombreux se sont formés. Certains chanteurs ont entrepris des carrières solos mais avec toujours la même foi et passion pour cette culture du chant et de la langue.

Du vinyle à l’album 

Du crépitement des vieux vinyles d’Antoine Ciosi, Tony Toga, Carlu Rocchi, Canta U Populu Corsu, I Muvrini, ou encore I Chjami Aghjalesi, on est passé aux CD aux clés USB et aujourd’hui on peut profiter du son partout depuis les plateformes de téléchargement. Nos chanteurs Nustrali ont su évoluer avec leur temps et s’adapter au mieux pour que nous continuions à les écouter. 

Depuis les années du Riacquistu, certains ont résisté avec leur formation et sont toujours là. Tels ont créé de nouveaux groupes ou sont venus enrichir ceux qui existaient. Tous se sont modernisés, actualisés, adaptés ou perpétués leur propre style peaufiné au fil des années.

C’est le cas di i Surghjenti que l’on reconnaît immédiatement au rythme des ballades et à la douceur de leurs voix puissantes à l’accent suttanacciu. En 2021, ils proposaient un 13e album « A Noscia » qui venait enrichir leurs 40 ans de carrière. Le parler de l’extrême Sud ou encore le Rocchisgianu et celui du Valincu sont mis à l’honneur par nos culturels. Les derniers formés venus étoffer la discothèque du fonds corse sont : Svegliu d’Isula qui sortaient son 4e album en 2016 ou encore Attallà qui compte parmi ses créations, qui ont moins d’une quinzaine d’années, quelques tubes dont l’album « Lettera muta ». Mais aussi un 2 titres sorti en 2019 avec une de leur chanson phare « Eddi ». Elle est considérée comme une des plus belles chansons du répertoire corse tant par le texte, l’interprétation et la mélodie.

Pour nos artistes isulani, le confinement de 2020 aura été créatif et bénéfique. Ils auront pour beaucoup travaillé leurs projets, consacré le temps qu’ils n’ont pas toujours, comme I Surghjenti qui ont ressorti des mélodies qui dataient de 30 ans et attendaient au fond de leurs tiroirs. Les thèmes de leurs textes ont toujours plus ou moins un lien avec la Corse, son identité, sa culture et son passé. C’est un point commun qu’ils ont avec les autres groupes culturels, avec différentes thématiques plus ou moins ouvertes sur la Méditerranée et le monde. « Acqua » comme son nom l’indique est une chanson extraite de l’album « A Noscia » au thème paraissant plus léger mais pourtant si essentiel et alarmant à notre époque. Ou encore un des tubes de ce dernier opus relatant l’histoire quelque peu oubliée des goumiers marocains morts au col de Teghjime durant la Seconde Guerre mondiale pour aider les Corses à libérer leur terre. 

Du militantisme à l’artistique

Bien que le militantisme pour la plupart n’a pas été rangé au fond des tiroirs avec écrits et autres mélodies, le travail créatif et artistique est ce que cherche à mettre aujourd’hui en avant les groupes culturels et les chanteurs. La compétition, la culture musicale et le travail évidemment en sont aussi à l’origine. Quand pour un grand nombre on compte une quarantaine d’années de carrière comme I Muvrini, Canta, I Chjami Aghjalesi, I Surghjenti, A Filetta, I Voci di A Gravona, il est certain qu’ils doivent savoir se renouveler, évoluer et se diversifier tout en tissant leur propre toile musicale et leur propre couleur artistique pour perdurer dans le temps.

I Muvrini a trouvé son style au fil des années et s’est éloigné de ce qu’il proposait au début. C’est dans les années 90 qu’ils ont commencé à varier leur univers musical pour aller vers d’autres sonorités et un style artistique plus ouvert sur la musique du monde avec des thèmes moins ancrés à la culture corse. Les membres de A Filetta se sont attelés principalement au chant traditionnel et plus particulièrement à A Paghjella. Comme d’autres ensembles qui se sont formés plus récemment comme Meridianu, Madricale ou encore Voce di Corsica qui rassemblaient plusieurs membres d’autres groupes pour certains devenus solistes comme le regretté Petru Guelfucci, ou encore Barbara Furtuna séparée à présent. Ces ensembles vocaux ont choisi un style traditionnel basé sur le travail du placement de la voix de mode traditionnel. Plusieurs formations féminines se sont orientées elles aussi vers le chant en polyphonie tel que Isulatine, Soledonna et tant d’autres.

Canta U Populu Corsu a renouvelé ses voix mais certains des anciens veillent toujours par leur présence, le groupe qui a connu quelques scissions aujourd’hui est partagé en deux formations différentes (Canta 73 et toujours Canta U Populu Corsu). 

Ces deux groupes enflamment toujours les scènes insulaires avec leurs tubes de l’époque et leurs nouvelles créations inspirées de leurs thèmes de prédilection : l’attachement à la terre, la défense de la langue, ou bien l’injustice. I Voci di A Gravona ont quant à eux remplacé leurs « têtes » mais sont restés des « continuateurs » comme ils aiment le rappeler, voulant tendre ce fil entre passé et présent, tout en restant dans la démarche initiée par les fondateurs du groupe dans les années 70. Ils nous ont proposé eux aussi en 2021 un album éponyme avec une pochette similaire à la toute première du groupe, clin d’œil aux premiers pas di I Voci. Le tout dans un souci d’harmonie artistique sans trahir leurs anciens tout en inscrivant leur démarche au temps présent.

En 2020, c’est un nouveau groupe A Pasqualina qui présentait son premier album « Fà Mondu », né d’un atelier de chant au centre culturel Natale Luciani de Corti quelques années plus tôt. De nombreux étudiants, chanteurs et musiciens, proposaient de nouvelles compositions issues d’un travail abouti aux arrangements musicaux proches de ceux de leurs aînés de Voce Ventu. Ce groupe aux nombreux tubes compte aujourd’hui plus de 25 ans, 5 albums dont le dernier date aussi de 2021, pour célébrer leurs 25 ans d’existence il proposa 25 chansons. L’album « À U Ritimu Di E Sperenze » annonçait la couleur avec son titre et sa pochette : E sperenze di i corsi, di i membari di u gruppu, mais aussi les espérances des autres peuples. Les guitares sur la pochette, pour annoncer la tonalité musicale. Le groupe Voce Ventu doit son nom à un des tubes des fameux Chjami Aghjalesi. Les membres du groupe sont pratiquement tous ajacciens ou des alentours, ils ont fréquenté la célèbre Scola di Cantu in Aiacciu de Natale Luciani. Scola furmatrice, incontournable pour les Ajacciens amateurs et passionnés, nombreux y sont passés et encore aujourd’hui cet atelier hebdomadaire a toujours autant de succès. 

Tous en scène

L’Arcusgi, groupe issu pour la majeure partie de la région bastiaise, monte sur scène depuis 1985. Dernièrement, ils ont intégré à leur formation de jeunes voix et d’autres musiciens. Ils ont enregistré de nombreux albums, se sont diversifiés au niveau musical en ajoutant d’autres instruments avec de nouvelles sonorités mais chantent toujours comme à leur début, la lutte du peuple corse et des peuples opprimés. 

L’instigateur du groupe Louis Franceschi est toujours là, il nourrit depuis très longtemps une amitié culturelle et musicale avec le Pays Basque. Le groupe Diana di l’Alba avec son Capimachja Antone Marielli s’était séparé assez tôt en 1980, deux ans après sa création et refondé 13 ans plus tard. Le groupe met en musique la poésie notamment de l’instigateur de Diana Di l’Alba, mais aussi des textes traditionnels le tout très rythmé par des instruments de musique anciens, des instruments traditionnels du monde et le violon endiablé de Jean-Yves Casalta ou encore celui de José Ersa qui nous invite à la danse. 

Écoutés religieusement avec souvent une grande émotion, applaudis dans des salles enflammées, nos artistes savent faire et sont habitués à un public très réceptif mais la danse ne s’y prête pas toujours.

Rock nustrale 

Les derniers nés, les après-Covid, ont vu le jour ces trois dernières années : « Core Timpesta » c’est le titre du premier opus d’Eppò, il est sorti en 2021, certains des membres ont fait leurs classes ailleurs comme bien souvent, ils sont issus notamment des Varants, un groupe de rock nustrale séparés aujourd’hui. L’album du groupe ne pouvait que nous faire danser, il est très rythmé aux couleurs méditerranéennes et aux accents de musique napolitaine, autrefois très appréciée en Corse. Eppò ne nous propose finalement rien de nouveau car ils sont eux aussi très attachés à un style alliant tradition et culture avec des arrangements très actuels, mêlant la musique méditerranéenne et le folk.

Si 2020 et 2021 ont été riches en sortie musicale, 2022 l’est d’autant plus et l’année débute avec Contraversu qui propose son deuxième album « Alchimia », s’il était question de folk avec Eppò, on est dans le rock&folk avec Contraversu qui puise sa source dans la culture et la tradition. Le groupe excelle dans le traditionnel revisité et nous porte du coup où nous n’imaginions pas aller musicalement parlant. Le groupe allie instruments traditionnels, percussions, violons, guitares basses et électriques, en osant entre autre s’approprier le répertoire de la chanson corse grivoise et ses nombreuses créations, dans un style très électrique et éclectique, comme leurs compères d’Erin. Erin, groupe incontournable de rock in lingua corsa, officie sur la scène insulaire depuis quelques années leur troisième album est sorti à la fin de l’année 2021 : « Vogliu » qui s’inscrit dans le droit fil de ce que d’autres avant eux avaient initié comme Zia Devota, I Cantelli et d’autres cités auparavant. Cet ensemble de la région ajaccienne se démarque toutefois par l’interprétation de la plupart de leurs chansons, par la voix féminine de Sabine Casanova Mancini qui chante aussi en anglais.

Peu importe le style, la couleur musicale et les arrangements, ce qui réunit dans son ensemble la création musicale actuelle et celle d’hier ce sont les thèmes qui ne varient pas beaucoup mais qui sont sublimés par les plumes de leurs auteurs et transcendés par les mélodies composées. Qu’ils s’inscrivent dans un univers musical dit plus traditionnel qu’ils proposent du rock, du folk, des musiques aux accents sud-américains ou d’autres, l’engagement et l’enracinement sont ce qui en ressort.

La suite de cet article est à retrouver dans Paroles de Corse #117 février 2023 en vente ici

Les commentaires sont fermés, mais trackbacks Et les pingbacks sont ouverts.