L’insertion des jeunes : entre constat et perspectives

Par Pascal Zagnoli, doctorant en sciences de gestion et du management à l’Unité Mixte de Recherche « Lieux, Identités, eSpaces, et Activités » et chargé d’enseignement à l’Université de Corse.

« Ghjuventù l’avvene si tù »… expression connue et reconnue qui octroie à la jeunesse la place qu’elle devrait avoir dans toute société, à savoir : un rôle central dans un projet d’avenir où émancipation et développement sont intimement liés. Et pourtant, les marqueurs sociodémographiques nous incitent à moins d’optimisme. Nous allons donc nous intéresser, sans triomphalisme, ni fatalisme, à la place de cette jeunesse dans notre île et à ses perspectives économiques et professionnelles. Tour d’horizon…

Tout d’abord, il conviendrait sûrement de définir ce qu’est, qu’être jeune. Si beaucoup répondent qu’il s’agit avant tout d’une question d’état d’esprit, les chercheurs en sciences sociales ont tendance à définir cela comme une fourchette entre 15 et 24 ans, tandis que les politiques européennes à destination des jeunes sont quant à elles fléchées en direction des 16-29 ans. Communément, nous aurions tendance à définir la jeunesse comme étant la période de transition entre la fin de l’école, et l’entrée dans le monde du travail des adultes… Il s’agit plutôt d’une réalité sociale plus complexe que d’une simple statistique. Laissant ainsi apparaître des disparités entre le jeune homme de 18 ans sans diplôme essayant de s’insérer professionnellement, et le jeune étudiant de 25 ans finissant sa thèse et aspirant enfin à devenir un adulte en regardant son avenir professionnel. Et si finalement Pierre Bourdieu avait raison en ne considérant la jeunesse comme n’étant simplement « qu’un mot ? ».

État des lieux de la jeunesse…  

En Corse, si le nombre de jeunes continue d’augmenter, ils ne représentent pourtant que moins de 20% de la population totale, faisant ainsi de la Corse la région la plus âgée de France. Cela s’explique par une dynamique démographique qui est exclusivement due à l’apport d’une population extérieure et à un solde naturel négatif. Ce vieillissement de la population représente d’ailleurs un véritable questionnement de long terme sur la pérennité du financement d’un modèle social basé exclusivement sur les actifs. Par ailleurs, cette inquiétude démographique l’est d’autant plus lorsque nous croisons ces données avec celles du niveau de formation et du taux de chômage chez les jeunes. En effet, une première source d’inquiétude réside dans le taux de jeunes sans formation qui est le plus élevé de France avec 13% contre 8% en moyenne en métropole. Cette donnée préoccupante explique sûrement pour partie le taux de chômage chez les jeunes qui au premier trimestre 2025 représente près de 29% des demandeurs d’emploi (cat. A). Si cette hausse considérable du nombre de jeunes chômeurs est pour partie explicable par une conjoncture économique fragile et par les récentes réformes qui ont permis notamment aux bénéficiaires du RSA ou aux jeunes en insertion de s’inscrire à France Travail, il n’en demeure pas moins que se pose la question de l’intégration de ces jeunes dans le monde du travail. Mais également de la possibilité de les former afin de pourvoir aux demandes de nombreux acteurs économiques qui recherchent désespérément de la main-d’œuvre. Si la saisonnalité permet de faire diminuer ce nombre de jeunes chômeurs, notamment grâce à des contrats saisonniers dans les secteurs publics et privés, cela ne demeure que des situations précaires de quelques mois. La faute à une économie fragile, peu diversifiée et à une absence de logique de développement de filières économiques et industrielles dans l’île.

Quelles perspectives ?

De nombreux jeunes ont ainsi choisi l’exil, pour voir si l’herbe est plus verte ailleurs pour poursuivre leurs études ou pour travailler. En effet, plus du tiers des bacheliers insulaires décident, ou sont contraints, de quitter l’île pour suivre un cursus universitaire sur le continent et la plupart d’entre eux en général ne reviennent pas immédiatement et occupent par la suite un emploi sur le continent. Si ces départs sont parfois contraints par l’absence de certaines filières dans l’île, il faut néanmoins avoir quelques motifs d’espoirs incitant nos jeunes à rester chez eux. D’un point de vue académique, tout d’abord, nous observons depuis plusieurs années maintenant l’apparition de nombreuses filières d’excellence sur l’île dans les secteurs des énergies renouvelables, de la gestion, du management, de l’ingénierie, de la production audiovisuelle etc. Par ailleurs, d’autres initiatives existent notamment pour favoriser l’entrepreneuriat des jeunes à travers notamment le développement des coopératives ou des tiers-lieux. Les structures de l’Économie Sociale et Solidaire, soutenues par les acteurs publics, réalisent également un travail considérable en matière de soutien à l’entrepreneuriat et d’aide à l’insertion des jeunes.

Néanmoins si nous souhaitons changer de façon structurelle le rapport à la sous-qualification et au chômage des jeunes, il faudra réaliser de nombreuses initiatives de moyen terme. Tout d’abord il faudra continuer d’adapter toujours plus les cartes de formation post-bac aux réalités économiques du territoire, miser davantage sur la formation continue permettant d’acquérir des savoir-faire sur des modules courts et professionnalisants. Par ailleurs, dans un contexte de digitalisation de la société, renforcée par le développement à grande échelle du réseau de fibre optique, des opportunités nouvelles peuvent apparaître. Le numérique représente ainsi un levier pour dépasser les contraintes de l’insularité, et favoriser également la relocalisation d’activité à distance dans l’île (travail en freelance, télétravail, e-commerce…). Une autre piste consisterait à diversifier notre économie tout au long de l’année en favorisant l’émergence de filières d’avenir qui pourraient être porteuses d’emplois dans une île comme la nôtre. En effet, la blue-economy et la silver-economy notamment représentent deux filières à développer qui auraient du sens compte tenu des caractéristiques démographiques et géographiques de l’île, et qui pourraient générer de nombreux emplois nouveaux et qualifiés.

En conclusion si la jeunesse fait aujourd’hui face à de nombreux obstacles – précarité, exil, sous-qualification – elle incarne aussi, par son énergie et sa créativité, une formidable promesse de renouvellement pour notre île. À condition qu’on lui fasse véritablement une place active, structurée et durable. Investir dans la formation adaptée aux besoins du territoire, soutenir les initiatives locales, libérer les potentiels entrepreneuriaux, tirer parti des atouts du numérique… Ce sont autant de leviers à activer pour transformer les départs subis en choix éclairés, les retours en projets concrets, et les espoirs individuels en dynamiques collectives au service de notre avenir.  

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