Edito

Par Jean Poletti
Où va la Corse ? Insidieusement, elle s’engonce dans un terreau maléfique propice à l’éclosion des fleurs du mal. D’accalmies relatives en violences exacerbées, la voilà au seuil d’une situation s’ouvrant sur un devenir incertain. Comme un point d’orgue malfaisant, une récente journée résume la maléfique spirale. Deux tentatives d’assassinats, des bateaux de promenade brûlés sur le port de Saint-Florent, un incendie criminel à Calvi. Et en toile de fond récurrent, plusieurs véhicules en proie aux flammes en divers points de l’île. Bilan de vingt-quatre heures qui met en exergue la situation qui cloue au pilori des dérives diverses et variées une région orpheline de repères et de lisibilité. Dans une sorte de méthode Coué, certains s’engluent dans le déni de réalité. Dans un discours sirupeux, ils tentent d’ignorer le mal qui s’incruste, privilégiant la confortable posture renvoyant à l’éternelle chanson « Mais à part ça, Madame la Marquise, tout va très bien. » Et ces optimistes patentés de tirer des plans sur la comète évoquant pêle-mêle perspectives d’essor, devenir collectif, lendemains souriants, ou projets bienfaisants. La majorité silencieuse n’est pas dupe. Elle sait confusément qu’une société ne peut s’épanouir quand une minorité agissante fait peser une chape de plomb conjuguant pressions voilées ou explicites, incursions dans divers secteurs d’activité, allumettes coupables et exactions multiples. Tel est malheureusement le chemin de crête où chemine la Corse, risquant désormais la chute vers l’indicible crevasse. Disons-le tout net, les méthodes des voyous gangrènent une communauté déjà fragilisée par la précarité et le chômage, amers fruits d’une économie en jachère. Pis encore, au gré des circonstances des personnes bien sous tout rapport épousent les pratiques du milieu pour régler leurs différends commerciaux. Dissimuler une telle propension équivaudrait à scruter la problématique par le petit bout de la lorgnette. Dans une société où l’argent est quasiment devenu une valeur morale, du paraître et non de l’être, le fric est roi selon la formule de Dominique Bucchini. Il autorise de briser la concurrence, par tout moyen fut-il illicite. La porosité avec le milieu n’est pas seulement circonscrite à l’appât du gain, mais laisse émerger désormais celle qui consiste parfois chez des personnes dites honnêtes à utiliser des pratiques de brigands. Bien sûr ces postulations sont isolées. Sans doute se veulent-elles marginales et isolées. Toutefois nier ou passer sous silence ces pratiques, révèle là aussi de détourner le regard d’une évidence qui altère encore le sombre tableau ambiant. Nul n’infirmera que l’essentiel est ailleurs. Il se nourrit de l’antienne d’un changement radical d’une voyoucratie ayant décidé selon la forme consacrée de vivre et braquer au pays. Rien ou presque ne lui échappe. Ici, la mainmise sur des domaines qu’ils jugent lucratif à l’image de l’immobilier, le tourisme ou la gestion des déchets. Là, l’entrée de gré ou de force dans des sociétés, pour en tirer des dividendes ou blanchir leurs butins. Dans un tel dérèglement sociétal, d’aucuns en appellent à la révolte citoyenne. Initiative partant à l’évidence d’un louable sentiment. Pour autant au sein de la population, nombreux sont ceux qui rechignent à se mettre en première ligne pour se transformer de victimes expiatoires en justiciers patentés. Des réticences inspirées par la peur ? Pas nécessairement. Lors de discussions informelles une majorité souligne que cela est la principale mission régalienne des autorités étatiques et judiciaires. Et d’ajouter que se muer en supplétifs équivaudrait à déresponsabiliser le pouvoir qui en cas d’échec pourrait faire porter la responsabilité sur les citoyens qui malgré leur implication n’eurent pas l’efficience de juguler les dérives. À chacun son métier et les vaches seront bien gardées, dit l’adage populaire. Qui pourrait décemment le rayer d’un trait de plume ? Nous avons dans ces colonnes flétrit à maintes reprises l’accusation de l’omerta brandie par Valls et consorts pour plaider la stérilité des enquêtes. L’argutie est aisée, inepte et injuste. D’ailleurs, étrangement, elle n’est utilisée que pour nous alors que méfaits, racket, empire des caïds sont prégnants sous d’autres cieux hexagonaux. Il serait loisible d’évoquer les Bouches-du-Rhône, la capitale et ses alentours, sans oublier Lyon, Bordeaux ou Grenoble. La liste fort nourrie se doublant de méfaits qui frappent maintenant la ruralité continentale. Mais s’agissant de ces pans entiers de territoire, la fameuse loi du silence est absente dans les propos de ceux qui ont nationalement voix au chapitre. Voilà particularisme outrancier chez une communauté par ailleurs lasse de tant d’accusations infondées. Brisons la parenthèse pour dire simplement que si l’équipe dite du « Petit Bar » fut déférée devant un tribunal, c’est exclusivement par des investigations reposant sur le socle d’une volonté de magistrats et policiers animés de la volonté d’aboutir. Voilà qui a contrario fait pièce à l’omerta comme barrage à tout épilogue probant. À cet égard reviennent en mémoire les conclusions du fameux rapport Glavany. Elles n’étaient pas tendres avec certaines instances officielles et portaient en effigie « La Corse a droit à l’État de droit. » Que ceux qui n’y souscrivent pas hier comme aujourd’hui lèvent le doigt !
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