La poule jupitérienne

Edito

Par Jean Poletti

Information, que de bêtises on relate en ton nom! Dans un fâcheux glissement qu’alimentent les réseaux sociaux, la presse classique se détourne de sa vocation pour tenter à son tour de faire le buz. Rares sont ceux qui échappent à cette dérive qui devient loi implicite et foule aux pieds les élémentaires doctrines du journalisme. Confidences enregistrées au téléphone portable et retranscrites sans l’once d’une retenue dans les médias. Documents d’enquêtes publiés au mépris du secret de l’instruction. Nom d’une personne dévoilée avant même sa mise en examen. La liste est longue de cette nouvelle méthode qui confond allègrement carte de journaliste et carte policière. Dans une triste confusion des genres qui devient monnaie courante tout fait ventre et tout fait vendre.

Une anecdote significative vint récemment encore nourrir cette spirale. Certes elle n’est pas de portée juridique, ou sociétale. Mais elle s’insère dans l’air du temps et rejoindrait le vaudeville si l’Elysée n’était pas concerné. Lors de sa visite au salon de l’agriculture le président reçut en cadeau une poule. Banal et insolite à la fois. Elle fut prénommée Agathe. L’histoire qui aurait dû demeurer au stade du non évènement devint pourtant un feuilleton artificiellement entretenu par des cellules grises de l’allée du pouvoir. Un conseiller alerta plusieurs rédactions. La belle cocotte, dont la lignée était minutieusement détaillée, avait pondu un œuf à 15h28 ! Précis comme une horloge suisse. Cocorico ! La nouvelle extraordinaire valait bien une telle exactitude. Dès le lendemain plusieurs quotidiens relayèrent l’évènement avec le sérieux et l’implacable rigueur qui sied à une annonce perçue comme cardinale. Nos confrères cette fois s’en tirent aux faits. Pas d’éventuelle recherche en paternité. Nulle investigation pour savoir si l’œuf finit en cocotte, brouillé, ou couvé afin de permettre une auguste descendance. Mais soyons rassurés. L’histoire n’est peut-être pas terminée, et rien n’interdit de penser d’affirmer que comme dans tout bon feuilleton il y aura une suite au prochain numéro. Une commedia dell’arte nous doit bien cela.

Au-delà de cette parenthèse à plume et à coquille, l’esprit cartésien se crispe et l’élémentaire bon sens vacille. Dans le Palais qui abrite la stratégie d’un pays, un éminent salarié, sans doute de la lignée des cranes d’œufs, prit temps et peine pour alerter avec une minutie d’orfèvre la prouesse du volatile, à la minute près. En corolaire il convient de s’interroger sur le large écho donné dans les colonnes de plusieurs quotidiens.   Non di diou a sans doute lâché le brave paysan auteur du présent, tant les mots lui manquaient en apprenant la destinée de son animal de basse-cour.

Mais il faut bien admettre que l’Elysée est aussi devenu un centre d’intérêt animalier. Précédemment en effet nous eûmes droit à un article, forcément de fond, sur les pensées qui assaillent le chien d’Emmanuel Macron ! Sans aboyer plus que de raison ou mordre de manière épistolaire les auteurs de cette recherche psychologique canine, disons en guise d’humour que l’intimité de nos amies les bêtes est étalée au grand jour, sans que leur accord soit demandé. Et les droits des animaux. Attention à la riposte des associations !

Faisons notre mea culpa. Arrêtons de dire qu’entre le chant du coq et celui du cygne il n’y a qu’une octave. Finalement cette péripétie Elyséenne devrait requérir toute notre attention. Elle renvoie implicitement au débat existentiel qui taraude l’humanité : Qui est né avant l’autre, la poule ou l’œuf ?

Jupiter réveille-toi ils sont devenus fous !

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