Vouloir le Monde Diplomatique, Acheter Closer, par Vincent de Bernardi

Crise oblige, les Français en ont marre des mauvaises nouvelles. Ils veulent de l’espoir, de belles histoires et comprendre le monde dans lequel ils vivent. A en croire leurs réponses aux questions posées chaque année, par TNS Sofres dans le baromètre de confiance dans les media, ils ne s’intéressent qu’aux sujets sérieux, aux enquêtes approfondies qui les éclairent.

Ce baromètre, année après année, en dit long sur les paradoxes de la « consommation » d’information d’un peuple qui critique volontiers ses media et ceux qui les font.

 

Premier de ces paradoxes : les Français se disent intéressés par l’actualité. Ils sont près de 7 sur 10 à déclarer suivre l’actualité avec intérêt, une proportion relativement stable depuis 20 ans. Pour autant, ils ne sont guère près à payer pour assouvir leur appétit d’informations. La situation économique de nombreux media en témoigne.

 

A la lumière de ces difficultés financières, on décèle un deuxième paradoxe. Pour doper une diffusion en berne ou gonfler les audiences afin de revaloriser leurs espaces publicitaires, les media cherchent le sensationnel et l’exploitent jusqu’à la corde. Et quand il le trouve ça marche. Dernier exemple en date, en publiant les photos des escapades du Président à quelques dizaines de mètre de l’Elysée, Closer a révélé une liaison perturbant la vie privée du premier personnage de l’Etat et doublé ses ventes dépassant les 300 000 exemplaires. L’audience de son site internet a bondi de 800%. Et tous les autres media, rebondissant sur ce scoop,  en ont profité. Ils ont aiguisé la tentation de leurs lecteurs ou spectateurs qui pourtant disent répugner à « consommer » ce type de sujets. Il y a fort à parier que dans la future livraison du baromètre l’année prochaine, ils seront une majorité à dire que les media ont « trop parlé » (un peu comme eux) de cette affaire.  En 2013, ils ont regretté la place trop importante accordée à l’épisode Leonarda et au cas Cahuzac. En revanche, ils ont estimé que les media n’avaient pas suffisamment traité de l’adhésion de la Croatie à l’Union européenne ou de la réforme fiscale. C’est vrai. Jérôme Cahuzac a fait davantage de « Unes » que la Croatie. Il a sans aucun doute fait vendre beaucoup plus.

 

Le troisième paradoxe, c’est celui de l’incrédulité partagée.  Si plus d’un Français sur deux  considèrent que la télévision, la radio et la presse écrite racontent les choses telles qu’elles se sont réellement passées, ils sont plus sévères à l’égard d’Internet. 37% seulement estiment crédibles les informations qui y sont diffusées.  Ce scepticisme est partagé par 40% des internautes eux même. Jugement intéressant dans un contexte où la consommation d’informations  sur le net ne cesse de progresser et est de plus en plus partagée via les réseaux sociaux donnant une viralité supplémentaire à des données jugées peu ou pas crédibles.

 

Enfin dernier paradoxe, celui de la dépendance acceptée. Les deux tiers des Français pensent que les journalistes sont soumis à des pressions des partis politiques et du pouvoir. Ils estiment également dans des proportions similaires qu’ils ne sont pas indépendants face aux pressions financières.   L’édition 2014 du baromètre enregistre même une nette accentuation de cette soumission par rapport à la dernière mesure datant de 2012.  Les journalistes apparaissent comme une catégorie doublement sanctionnée, critiquée pour appartenir à une élite de plus en plus décriée, mais aussi comme « vendue » aux pouvoirs et à l’argent. Par ces jugements excessifs alimentés eux mêmes par des excès de compromission élevés au rang de généralités, les journalistes font les frais des angoisses et des rancoeurs d’un peuple inquiet d’une montée des extrêmes, des haines et du repli sur soi.  Pourtant, les Français n’ont jamais autant consommé d’information, été aussi attentifs à l’évolution de la société, appelé leurs media à les éclairer.

Antoine de Saint Exupéry, écrivait « une fois pris dans l’événement, les hommes ne s’en effraient plus. Seul l’inconnu épouvante les hommes.».  Le meilleur antidote contre l’inconnu c’est l’information. Voilà la vraie mission des media, le vrai pouvoir des journalistes. Et c’est au fond ce que révèle ce baromètre sur la confiance des français dans leur media.

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