Stonde corse in Praticalingua Corti

Ou comment réintroduire (enfin) la langue corse dans la société.

Par Diana saliceti

Di sittembre 2016, una squadra di Bastiacci passiunati di lingua è di cultura corsa anu lanciatu « Praticalingua ». St’associu prupone un locu di vita, di scambiu è d’amparera induve tuttu si passa in lingua nustrale per via di u sistema di l’immersione. Sta rientrata quì, dui altre scole stampate « Praticalingua » sò nate : una in piaghja è l’altra in Corti. Un locu duve a lingua corsa ripiglii fiatu è avvene.

Praticalingua est une association née à Bastia qui propose à ses adhérents un lieu de vie et d’apprentissage où tous les enseignements et les échanges se font en langue corse, des ateliers de photographie aux cours de musique, en passant par les séances de création littéraire ou les visites patrimoniales. Le concept a essaimé et voici depuis la rentrée deux nouveaux lieux estampillés « Praticalingua ». Poussons la porte du nouvel espace cortenais…

La grande majorité des interviews a été réalisée en langue corse mais il a été choisi de les retranscrire en français afin de donner l’envie à un maximum de personnes de rejoindre cette aventure linguistique et sociale !

« Da 3 à 93 anni ! »

Nous sommes lundi, il est près de 19 heures. Dans les rues du centre cortenais, on entend le bruit sourd des rideaux de commerce fermant leur porte. La ville va prendre, peu à peu, ses quartiers de nuit. Dans une petite rue parallèle au cours Paoli, se trouve au rez-de-chaussée du nouveau bâtiment de l’Ephad u Serenu : Praticalingua. On y entre par la porte ouverte avec, pour nous y accueillir, Nicolas Battini, l’animateur de la structure cortenaise. « L’idea d’un Praticalingua curtinese in u filu di quellu di Bastia hè sbucciata in u capu d’Antea Gallet, Petr’Antone Filippi è di Petru Santu Menozzi, eo sò affaccatu dopu ! » Ce jeune étudiant en Master 1 d’études corses au sourire franc et « cù a barretta bell’incalfata » irradie de passion : « Sò più chè cuntentu chì ne simu à 80 scritti, da 3 à 93 anni ! »Sur ces 80 inscrits, une bonne cinquantaine a pu commencer à suivre les différents ateliers, certains cours ayant besoin de quelques participants de plus pour être lancés. « Il faut que chaque atelier initié soit viable », explique Nicolas Battini qui s’exprime uniquement en langue corse. Une exigence économique à souligner dans une association qui, certes, doit son existence à l’opération subventionnée de la Collectivité de Corse intitulée « Case di a lingua » (voir encadré) mais qui n’en garde pas moins la nécessité de fonctionner également grâce à ses recettes. D’ailleurs, ici, animateurs et formateurs sont rémunérés. Si les ateliers sont divisés en groupe de niveau musical, les générations et le niveau en langue corse se mélangent gaiement et sans problème aucun.

« È avà hà da parlà u corsu ! »

Ce soir, c’est Antoine-Marie Leonelli qui dispense des cours de guitare et de mandoline. Christian arrive avec sa mandoline sous le bras. Sexagénaire natif de Corte, il vient au cours de mandoline de 19h30 mais arrive plus tôt et s’assoit avec plaisir avec d’autres élèves dans l’entrée pour échanger et rigoler « in lingua corsa »,et ce, sur pléthore de sujets.Sillonnant les villages et les villes dans le cadre de son travail, Christian témoigne avec malice du changement d’époque et de mœurs. « Avant, je passais à Saint-Joseph à Bastia et on sentait les odeurs de cuisine en se demandant s’il s’agissait des lentichje ou des fasgioli, maintenant si vous passez on n’entend que le “ding” du micro-ondes. » Entre deux macagne, une assertion historique et quelques souvenirs de cortenais, le temps passe agréablement au son d’une langue qui est ici maîtresse des lieux. Djeneba suit le cours de guitare d’Antoine-Marie dans une des salles vitrées dédiées aux ateliers. Cette jeune femme qui travaille dans le monde de l’enfance parle déjà cinq langues. « È avà hà da parlà u corsu ! », commente Antoine-Marie. En effet, le professeur s’adresse à elle en corse et c’est à ce moment précis que l’on saisit combien Praticalingua bouleverse les codes. Le non locuteur peut tranquillement mener une conversation entre corse et français, sans se sentir jugé ou repris intempestivement. « Tu as fait des progrès en corse en deux semaines déjà », lui confie le guitariste. « C’est très agréable d’aller d’une langue à l’autre », explique Djeneba en rangeant sa guitare, « j’espère que j’irai toujours en m’améliorant ! ».À ses côtés, Davia termine également ce cours où a été abordé le blues et ses harmonies : « Eo, per contu meu, parlu u corsu ma vengu per a chitarra è truvà ghjente cun quale sunà è parlà ! » Tout le monde semble trouver son compte quel que soit son niveau et ses objectifs, en témoigne la bonne ambiance qui règne dans cet immense local d’une centaine de mètres carrés. À côté des deux salles de « cours », un petit espace comptoir permet aux adhérents de partager un verre en échangeant les dernières nouvelles. « Si nous avons un seul mérite, glisse Nicolas Battini, c’est de créer un lien social dans cet espace ouvert sur la rue. Il y a une vraie demande, un besoin de se retrouver ! »

« Creà una cumunità»

Il est 19h30 et le cours de mandoline débute. Christian montre à Petr’Antone ce que le grand-père de ce dernier avait l’habitude de jouer sur les places cortenaises. Là encore, deux groupes sont créés selon le niveau mais la langue du professeur est invariablement le corse. Après avoir testé le cours de guitare d’Antoine-Marie Leonelli, de nouveaux adhérents, conquis, sont au bureau d’accueil et s’inscrivent pour le semestre. Il leur en coûtera une centaine d’euros. Nicolas Battini enregistre les adhésions méticuleusement. Une question survient : « Ma chì serebbe a filusufia di issu locu o Nico ? »

« T’aghju da dì què in qualchì fundamentalu o Dià :

1. Pedagugia immersiva.

2. Inserisce u corsu ind’è e famiglie.

3. Esse capace di risponde à tutti i nivelli di cursufunia.

4. Mette l’aderenti in cunfidenza.

5. Creà una cumunità. »

Hè detta. À quelques mètres de Nicolas, le cours de mandoline se déroule dans la même décontraction que l’atelier guitare, Antoine-Marie Leonelli a tissé un lien entre son intervention à Praticalingua et le festival de mandoline qu’il organise à Corte au mois d’août : Mandeo. Il ne serait d’ailleurs pas étonnant d’entendre les adeptes de Praticalingua y jouer à la prochaine édition…

« Dà un sensu à a nova sucetà corsa » 20h20, le docteur Pierre Ghionga entre dans les locaux de l’association, il vient de terminer sa journée au Serenu dont il est le président. « La langue corse fait partie des choses qui peuvent redonner un sens à la nouvelle société corse. Nous n’utilisions pas ce rez-de-chaussée et il nous est paru évident que Praticalingua avait toute sa place ici ! », explique le praticien également élu de la CDC et fervent défenseur de la langue corse pour laquelle il signe bon nombre de rapports. Et de rajouter : « Un lien très intéressant se fait d’ailleurs entre nos pensionnaires et l’association. »En effet, certains séniors n’hésitent pas à descendre au rez-de-chaussée pour échanger avec l’équipe et les élèves de cette école immersive.

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