Santé sexuelle en Corse : une stratégie régionale portée par C3S
En Corse, un collectif de 38 acteurs réunis autour de l’association C3S, sous la présidence d’Arnaud Gallais et la coordination de Paule Maerten, construit une stratégie régionale inédite de santé sexuelle. À l’intersection de la Coordination, prévention, de la lutte contre les discriminations, de la justice et de la recherche, leur approche s’ancre dans le réel, loin des modèles importés. Leur objectif : bâtir une société plus juste, plus inclusive, où chacun et chacune peut accéder à une vie affective et sexuelle épanouie, quel que soit son âge, son genre ou son parcours.
Par Anne-Catherine Mendez
La santé sexuelle ne se pense plus uniquement depuis Paris. Elle se construit désormais sur le terrain, au plus près des besoins des populations. Sous l’impulsion du C3S (Corse, Stratégie Santé Sexuelle), des acteurs associatifs, de la santé, du médico-social, de la justice et de la société civile se sont regroupés pour décliner localement les grands axes de la Stratégie Nationale de Santé Sexuelle (SNSS), avec une ambition forte : bâtir une feuille de route adaptée au territoire insulaire, à ses réalités sociales et culturelles en vue de la création du CoReSS (Comité de Coordination Régionale en Santé Sexuelle)
Briser le silence
Derrière cette dynamique, une conviction partagée : les inégalités d’accès à la santé sexuelle sont encore trop nombreuses. Le collectif cible l’ensemble de la population, mais agit particulièrement en direction des publics les plus exposés aux discriminations : les personnes en situation de précarité, les femmes, les personnes LGBTQIA+, les travailleur·se·s du sexe, les personnes migrantes ou en situation de handicap. À leurs côtés, C3S entend briser les silences, démanteler les stéréotypes, et garantir à chacun un égal accès à l’information, à la prévention et aux soins.
Les actions du territoire
Quatre grands axes structurent cette stratégie régionale. Le premier consiste à mieux faire connaître les ressources disponibles en Corse : cartographier les offres de soins, renforcer leur visibilité, et créer des outils numériques inclusifs pour rendre l’information plus accessible.
Le deuxième enjeu est celui de l’accès effectif aux services de santé sexuelle. Trop souvent, les structures sont éloignées, les démarches complexes, les publics mal orientés. C3S veut agir pour fluidifier les parcours de soin, notamment en renforçant l’offre dans les zones les plus isolées.
Le troisième axe s’intéresse à la dimension juridique et sociale de la santé sexuelle. Le collectif plaide pour un travail transversal entre les secteurs de la santé, du social et de la justice. Formations, outils de repérage, dispositifs d’écoute : tout est pensé pour mieux accompagner les victimes, en particulier celles de violences conjugales, sexuelles ou intrafamiliales.
Enfin, C3S mise sur la recherche et l’innovation sociale pour faire émerger de nouveaux modèles d’action. Une cellule scientifique composée d’experts, d’usagers et de partenaires académiques est au travail, notamment sur l’amélioration du parcours sanitaire des victimes mineurs de violences sexuelles, l’amélioration du parcours sanitaire et administratif des personnes en variation de genre.
Au-delà de cette structuration, le collectif ambitionne aussi de jouer un rôle fédérateur, en animant des partenariats, en facilitant la co-construction de projets, et en mobilisant des financements pour donner corps à ces idées. La lutte contre le VIH/sida, les hépatites, la promotion de la santé reproductive ou encore la sensibilisation aux enjeux de genre sont autant de priorités portées par cette dynamique collective.
Paule Maerten, à la coordination d’un engagement collectif
À la tête du pilotage régional de C3S en Corse, Paule Maerten incarne la colonne vertébrale de cette stratégie ambitieuse. Coordonnatrice rigoureuse et engagée, elle joue un rôle de chef d’orchestre dans un paysage associatif et institutionnel parfois morcelé. Dotée d’une solide expérience dans la santé publique et l’intervention sociale, elle sait faire dialoguer les acteurs, faire émerger des consensus, et surtout, maintenir le cap sur l’essentiel : l’accès à une santé sexuelle, affective et reproductive digne et équitable pour tous.
Sur le terrain comme dans les espaces de concertation, Paule Maerten agit avec finesse et conviction. Elle défend une vision inclusive, ancrée dans le réel, et accorde une importance centrale à la co-construction des projets avec les publics concernés. Son travail, souvent de l’ombre, est pourtant essentiel : il donne sa cohérence à l’ensemble de la stratégie régionale, tout en garantissant qu’elle reste fidèle aux valeurs de solidarité, de justice sociale et d’ancrage territorial.
Jérôme Wiart, au plus près du terrain, en première ligne mobile
Opérateur de terrain du dispositif « En Voiture NINA & SIMON.E.S », Jérôme Wiart est bien plus qu’un chauffeur de caravane. Il est l’un des visages de ce projet itinérant qui traverse la Corse pour aller au plus près des habitants et libérer la parole autour des violences sexuelles et des inégalités de santé. Présent sur chaque étape, à bord de ce van rebaptisé « NINA & SIMON.E.S », il est un facilitateur de lien, un passeur de confiance entre les structures, les professionnels et les personnes concernées. Son engagement est concret, quotidien, profondément humain. À chaque arrêt, Jérôme crée un espace d’écoute, de respect et d’ouverture, souvent là où le silence règne encore. « En Voiture NINA & SIMON.E.S » n’est pas seulement un projet de sensibilisation, c’est un symbole de mouvement, de présence, de dialogue.
Ce travail, C3S le mène avec lucidité et pragmatisme. En Corse comme ailleurs, les institutions avancent parfois lentement. Mais sur le terrain, les besoins sont urgents, les réalités complexes. Pour faire bouger les lignes, l’association mise sur une valeur simple, mais essentielle : le respect de la dignité de chacun.
Rencontre avec Arnaud Gallais
Président de C3S, anthropologue engagé contre les violences sexuelles faites aux enfants
Figure incontournable de la lutte contre les violences sexuelles en France, Arnaud Gallais mène depuis plusieurs années un combat à la fois personnel et collectif. Anthropologue de formation, président du Collectif C3S et de l’association Mouv’ Enfants au niveau national, il s’investit sur le terrain, en Corse notamment, où il voit « un laboratoire d’humanité et d’action concrète ». Nous l’avons rencontré.
Vous êtes président de C3S. Comment s’est noué ce lien avec la Corse ?
Mon premier contact remonte à 2023, lors d’un colloque à Ajaccio sur la lutte contre les violences sexuelles faites aux enfants. De là, on a lancé une caravane de sensibilisation qui a parcouru Bastia, Porto-Vecchio, Ajaccio… Cinq jours d’échanges, plus de 250 personnes rencontrées : victimes, professionnels de la santé, de la justice, forces de l’ordre. C’était fort.
Ce territoire m’a marqué. On y trouve une force humaine incroyable, une capacité à accueillir, à écouter. Il y a quelque chose de très vrai, de sincère. Ce n’est pas parfait, mais c’est vivant.
Qu’est-ce qui ressort de ces rencontres en Corse ?
Un constat évident : les violences sexuelles sont une réalité partout, mais ici comme ailleurs, les moyens sont parfois insuffisants, notamment en période estivale. Ce qui fait tenir, c’est la mobilisation citoyenne et associative.
En Corse, les gens sont ancrés dans la solidarité. J’ai vu un vrai souci de n’oublier personne, même les publics souvent laissés de côté, comme les personnes neuroatypiques, ou vivant en milieu rural. Ce qui m’a frappé, c’est cette volonté d’agir ensemble, malgré les lourdeurs institutionnelles.
Vous parlez souvent de « réparation collective ». Que signifie ce concept ?
C’est fondamental. Neuf victimes sur dix disent qu’on ne les a ni crues ni protégées. Il faut aller au-delà de la réparation individuelle : reconnaître publiquement ces échecs, créer des espaces où la société dit « on vous croit », « on vous soutient ». C’est ce que nous faisons avec C3S qui annoncera prochainement l’arrivée de Mouv’Zitelli (déclinaison corse de Mouv’Enfants) que porte C3S.
Votre combat est aussi personnel. Vous avez brisé le silence…
Oui. J’ai été victime d’inceste entre 8 et 12 ans. Le silence m’a abîmé, mais la parole m’a reconstruit. Quand j’ai témoigné publiquement, j’ai aussi découvert la violence institutionnelle : j’ai reçu une lettre de licenciement, alors même que je n’avais jamais eu de sanction. Pourquoi ? Parce qu’il y avait écrit « victime d’inceste » sur un document administratif.
Ça montre combien notre société n’est pas prête à entendre vraiment la parole des victimes. Il y a un ordre du silence qui persiste. Et ça, il faut le déconstruire.
Vous avez été membre de la commission indépendante sur l’inceste. Que nous disent les chiffres ?
La commission a recueilli la parole de 33 000 personnes. Un chiffre inédit. Ce qu’on a appris est clair : quand un enfant est cru et soutenu, les séquelles psychiques sont nettement moindres. Mais dans 70% des cas, les enfants n’ont ni été crus ni protégés, et les conséquences sont dramatiques : tentatives de suicide, addictions, isolement.
Et votre regard sur les politiques publiques ?
Il y a des plans d’action, des déclarations. Mais les moyens suivent rarement. Les ARS, les collectivités, les associations… tout le monde avance, mais il manque une feuille de route claire et une vraie coordination.
Ce que je défends, c’est une approche qui parte des territoires. À Paris, on a parfois du mal à entendre que des choses intelligentes se construisent ailleurs. Pourtant, en Corse comme dans d’autres régions, il y a des actions remarquables qui méritent d’être reconnues et reproduites.
Qu’est-ce qui vous motive aujourd’hui ?
Continuer à faire bouger les lignes, faire entendre les voix qu’on a trop longtemps réduites au silence. Et montrer que la société peut évoluer, si on s’en donne les moyens.
Arnaud Gallais est un activiste des droits de l’enfance. Cofondateur de « Prévenir et protéger », et fondateur de Mouv’Enfants, Il se joint en 2021 au collectif #MeTooInceste. La même année, il est nommé membre de la Commission Indépendante sur l’Inceste et les violences faites aux Enfants, la CIIVISE. En 2022, il cofonde BeBrave, une déclinaison française d’un mouvement international de survivants de violences sexuelles dans leur enfance.
Acteur associatif depuis plus de quinze ans, il se bat pour toutes les victimes oubliées, enfermées dans le silence et dans l’indifférence, sous une chape de plomb qui a volé leur enfance et piétiné leur avenir.
Des chiffres glaçants
- 160 000 enfants subissent chaque année des violences sexuelles, tandis qu’un enfant meurt tous les 5 jours sous les coups de ses parents.
- L’Église reconnaît après deux années d’enquêtes, être responsable depuis 1950 de 330 000 victimes,
- Un Français sur 10 déclare avoir été victime d’inceste. On estime qu’il concernerait de 2 à 3 enfants par classe de CM2.
- À ce jour, seules moins de 1% des plaintes pour viol aboutissent à une condamnation en cour d’assises.
- 4% des enfants, victimes de viol portent plainte. Sur ces 4%, 0,3 va aux assises.
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