Richard Toix

L’art de sublimer l’instant

Perché sur les hauteurs de Porticcio au cœur du domaine Bella Vista, le restaurant Le Charlie a décroché, moins d’un an à peine après son ouverture, sa première étoile au Michelin. Une reconnaissance fulgurante qui salue le parcours du chef Richard Toix, 61 ans, aux manettes en cuisine avec la passion chevillée au corps. Une passion nourrie d’exigence et de curiosité mais toujours guidée par le respect du terroir.

Par Karine Casalta

Aux commandes des cuisines du Charlie depuis mai 2024, Richard Toix savoure d’autant plus ce succès que le restaurant est né dans des conditions assez rocambolesques « Maintenant, on a fait des travaux, mais l’année dernière, on a vraiment travaillé que sur une terrasse, avec une cuisine de bric et de broc, une salle un peu pareille, presque avec deux réchauds et dix tables de camping », plaisante-t-il. Si l’anecdote prête à sourire, l’étoile tombée en mars 2025 vient saluer le parcours exceptionnel de ce chef autodidacte. « Je n’appartiens pas à un courant, explique-t-il, je suis un cuisinier qui s’est fait tout seul dans ses propres maisons. »

Autodidacte et perfectionniste

Né en 1964 à Perpignan Richard Toix n’a jamais rêvé d’autre chose que de cuisine. « J’ai eu mon CAP en 1981, et j’ai eu la chance de pouvoir travailler chez les frères Roux à Londres pour mon premier poste. Puis, j’ai très vite été propulsé chef de cuisine dans différentes petites maisons avant de m’installer. » C’est ainsi qu’en 1993, à l’âge de 30 ans, il ouvre son premier restaurant, Le Champ de Foire, dans la Vienne. S’il reconnaît avoir pu être inspiré par des figures comme Joël Robuchon ou Alain Ducasse, son parcours est avant tout jalonné de travail acharné, de remises en question, et d’une insatiable curiosité. « J’ai eu la chance de pouvoir travailler chez de grands chefs. Pendant très longtemps, ma femme partait en vacances avec nos enfants et moi je partais faire des stages dans des grandes maisons, à Paris surtout, où j’ai travaillé dans des 2 ou 3 étoiles Michelin. Donc je suis régulièrement allé me perfectionner sur ce qui, pour moi, me manquait dans ma cuisine. » Son parcours, il le forge ainsi à force de travail, soutenu en salle par sa femme Laure, son indéfectible binôme depuis près de 30 ans. « On a toujours travaillé ensemble. Elle ne cuisine pas, non. Et c’est mieux ainsi, plaisante-t-il. Mais elle est la maîtresse de maison, elle orchestre l’accueil et veille au moindre détail. »

« Ce métier est un métier passion.Si on n’est pas véritablement passionné, ce n’est même pas la peine d’y penser. En dehors de ma famille, je vis et je respire cuisine. »

De la Vienne à la Corse, en passant par le Vietnam

Quinze ans après l’ouverture de ce premier restaurant, le couple crée Passions et Gourmandises à Saint-Benoît, près de Poitiers. Et déjà, décroche une étoile au Michelin neuf mois à peine après l’ouverture. L’aventure corse commencera quelques années plus tard après une escapade asiatique au Vietnam où il signe la carte du Jardin des Sens à Saigon pour les frères Pourcel. C’est l’envie de se rapprocher de leurs deux fils, qui amène le couple à rentrer et à s’installer sur l’île. « La Corse, c’est une longue histoire d’amour initiée il y a plus de 15 ans à l’occasion d’un tournage avec Romuald Royer pour “Des Racines et des Ailes. Elle s’est transformée en attachement familial. On a continué à venir régulièrement. Et nos enfants, anciens cuisiniers reconvertis dans l’élevage de chèvres du côté de Propriano, y ont élu domicile. Donc on a voulu se rapprocher des nôtres. » Et quand l’occasion s’est présentée, Richard et son épouse ont posé leurs valises pour de bon sur l’île de Beauté.

Un lieu pensé comme une expérience.

C’est ainsi que l’aventure du Charlie a commencé à Porticcio. Dans cet écrin suspendu entre ciel et mer, qui offre une vue imprenable sur les îles Sanguinaires, Richard Toix propose avec brio une cuisine du marché, ultra-saisonnière, construite autour d’un terroir qu’il magnifie avec finesse.

Au Charlie, pas de fraises en hiver ni de tomates hors saison. « Je suis un ayatollah de la saisonnalité. La quasi-totalité des produits viennent d’un rayon de 20 kilomètres. Mes poissons viennent du golfe, mes légumes de la plaine Saint-Jean ou de Cauro, le miel vient de Tizzano, et les fromages… ce sont ceux de mes fils, sourit-il, et d’autres producteurs qui sont également dans la microrégion… ici, il ne nous manque pas grand-chose. La seule chose qu’on est obligé d’aller chercher sur le continent, ce sont les pigeons. Mais aujourd’hui, que ce soit pour le veau, le bœuf, l’agneau, les légumes, les poissons, les agrumes, le safran, les fleurs et les herbes, on a tout autour de chez nous ! » Ainsi sur la carte, pas de plat signature figé mais une cuisine ancrée dans le moment, au plus près du produit « Un produit, une garniture, un jus. Et terminé. Ensuite, il y a quelques petites choses qui arrivent dans l’assiette, de l’acidité, du croquant, du croustillant. Mais avant tout, je veux que, quand je vous dis que vous allez manger du denti avec des petits pois, vous sentirez vraiment le goût du denti et des petits pois. » À cette mise en valeur du produit dans une simplicité assumée, s’ajoute une attention aux détails, soignés par son épouse. Dès l’accueil, une fleur emblématique de l’île de Beauté vous plonge dans l’univers sensoriel du Charlie. Même la vaisselle est fabriquée localement. Tout ça permet de créer du lien : « On a beaucoup de choses à expliquer aux clients. Les serveurs ne se contentent pas de servir : ils racontent et partagent une histoire. » Ainsi bien plus qu’un restaurant, le Charlie offre une véritable expérience. « Venir manger chez nous, c’est une aventure ! »

« Je suis un ayatollah de la saisonnalité. La quasi-totalité des produits viennent d’un rayon de 20 kilomètres. »

Une étoile qui ne va rien changer, ou presque !

Une philosophie qui le guidera cette saison encore. « L’étoile ne changera rien, sauf qu’on fera encore plus attention qu’on ne pouvait déjà le faire. Parce qu’on l’a et qu’on souhaite la garder, confie-t-il. Pas d’augmentation de prix, pas plus de couverts, simplement une exigence renforcée et l’envie de faire durer l’enchantement. La terrasse a été transformée en salle chaleureuse, la cuisine s’est ouverte sur la salle et une cave de 450 références a vu le jour, célébrant les vignerons de proximité autant que les grands crus. Mais on reste les mêmes. » Ce qui changera certainement, c’est l’engouement suscité par cette récompense. « Le Michelin attire, dit-il, c’est une évidence ! » Mais le chef ne se laisse pas griser. Ce qu’il souhaite avant tout, que les clients repartent en disant « Quel bon moment vous nous avez fait passer. »

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