RACONTER DES SALADES 

Par Nathalie Coulon

Je crois bien que c’est en regardant pousser les miennes dans le jardin que m’est venue cette idée saugrenue de vouloir savoir d’où pouvait bien venir cette expression ! Entre trois averses, les salades sont bel et bien sorties de terre, toutes fraîches et craquantes. La pluie de ces derniers jours aura été bénéfique pour la nature même si les plus ronchons d’entre nous pensent déjà aux premiers bains de mer et se dorer la pilule au soleil, dans les villages de l’intérieur de l’île les nuits sous les 15° ont laissé pendant quelques semaines encore s’échapper la fumée par les cheminées. Focu in casa ùn si sentiva d’estate ! 
Revenons à nos moutons (et celle-là alors d’expression, on en parle !) 
Pourquoi dit-on raconter des salades ?
C’est donc une métaphore : on marie les propos qui peuvent être des mensonges, des contradictions, des inventions, des mauvaises excuses, des propos confus, pour donner un tout comme on associe différents ingrédients pour faire une délicieuse salade composée, qu’elle soit avec des légumes ou des fruits.
Des salades, des salades…
La salade dans l’imaginaire symbolise un mélange d’informations. Souvent, les paroles du conteur sont nombreuses, confuses. Ce dernier coincé entre demi-vérités et faux-semblants finit par s’emmêler les pinceaux. À force de mélanges, d’inclusion ou d’exclusion de certaines données, il se perd. Bref, le menteur devient « le serpent qui se mord la queue » à mesure qu’il accumule les informations et se trompe dans son récit.

Mentir, raconter des bobards, raconter des sornettes ! 
Pour raconter des salades, il vous suffit d’un peu d’exagération parsemée de faits invraisemblables, le tout servi d’un air assuré et c’est prêt !
« Paroles, paroles et encore des paroles que tu sèmes au vent ! », quand Alain Delon racontait des salades à Dalida, cela ne passait pas inaperçu ! Mais c’était Delon et Dalida. Plus sexy qu’un Biden et un Macron, moins violent qu’un Poutine qui en raconte tout le temps des salades au peuple qui en gobe de moins en moins ! 
À trop raconter des salades on finit par perdre en crédibilité. 
Les hommes politiques ne sont pas plus menteurs que n’importe quelle profession ayant quelque chose à nous vendre : un publicitaire, un représentant de commerce, par exemple. La plupart des mensonges politiques sont à mi-chemin entre le spot publicitaire manipulatoire et l’aimable boniment d’un vendeur sur la place du marché, un dimanche. Ce qui est important pour les électeurs, c’est donc d’apprendre à détecter les mensonges en politique, pour ne pas se faire arnaquer.
L’exercice me semble bien difficile. Et pourtant !…
Le mensonge, en économie, est une pratique vieille comme le monde. Mais la montée du populisme semble avoir fait entrer les élections dans l’ère de la « post-vérité ». Ment-on plus désormais pour conquérir le pouvoir ?
« Jamais, probablement, un homme ou une femme politique n’a menti autant que Donald Trump. » Cette sentence de la juriste et américaniste Anne Deysine n’est pas une simple opinion. Elle s’appuie sur un décompte du Washington Post, qui s’était donné pour mission de relever le nombre de « déclarations fausses ou trompeuses » proférées par l’ex-président des États-Unis.
D’après le quotidien américain, le bilan – astronomique – s’élève à 30 573 propos mensongers en quatre ans ! Une telle pratique du mensonge a-t-elle permis à Donald Trump de gagner l’élection de 2016 ? Pas si simple. Mais deux constats s’imposent : elle ne l’a pas empêché de se faire élire ; et elle n’a pas été sanctionnée.
Terrible constat que celui-là.
Alors pourquoi se laisserait-on mentir comme ça : 
En 2011, Jonathan Haidt, un psychologue de l’université de New York, a publié dans la revue Psychological Review un article délicieusement intitulé : « The Emotional Dog and its Rational Tail » (Le chien émotif à la queue rationnelle). Il y soutenait qu’au moment de prendre une décision morale, celle-ci est influencée par l’émotion, ou ce que l’on peut aussi appeler l’intuition. Alors que l’on penserait avoir objectivement pesé le pour et le contre, nos décisions seraient ainsi prises bien plus spontanément que ça et les justifications que l’on se donnerait a posteriori ne feraient que refléter nos émotions, à l’instar du chien heureux qui remue sa queue.
Eh bien ! je crois que je vais continuer à regarder pousser mes salades en attendant les jours de soleil cuisant. 
Bel estate à tutti, le monde décidément ne tourne pas rond.

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