Plaine orientale: Une réalité qui dérange

Par Jean-Pierre Nucci

« Ce n’est pas la Corse ! Non, notre île ne ressemble pas à cette caricature, où sont passés nos valeurs morales, la solidarité, l’honneur, le respect ? » On se le demande en effet en visionnant la série Plaine orientale sur la chaîne de télé Canal+. Il est vrai que jusqu’ici les œuvres cinématographiques ou télévisuelles (Le Royaume, Le Mohican, Une Vie Violente, Mafiosa…) dévoilaient la violence qui sévit sur notre terre de manière acceptable dans la mesure où les voyous restaient corses. Là c’est différent, le monopole s’effrite, une concurrence s’installe. Le personnage principal est moitié corse, moitié arabe, enfin maghrébin. Une identité difficile à porter. Imaginez, c’est déjà compliqué pour la diaspora, alors pour les étrangers…

Pierre Leccia, le réalisateur, démontre, peut-être inconsciemment, que l’ascenseur social fonctionne aussi pour les immigrés ou les fils d’immigrés. Et dans tous les domaines de la société, celui de la voyoucratie compris. On ne compte plus les réussites dans le sport, Zidane, Cherki, la justice, nombre d’avocats et de magistrats sortent de l’immigration nord-africaine, la science, le journalisme de même, le dernier prix Goncourt est franco-algérien et… la pègre. Et voilà que la découverte de ce tableau nous rend nostalgique et l’on regrette à tort le temps où sévissaient dans nos pièves les bandits d’honneur. Des bandits oui, mais de chez nous ! Aujourd’hui, ce n’est plus d’actualité. Selon les services de police, plusieurs affaires attestent du poids grandissant pris par le milieu gitan et maghrébin sur l’île. Misère.

Mais que fait la police ? Elle agit à sa mesure. Il faut du temps pour coffrer les malfrats. L’enquête débouchant sur le procès de la bande « du Petit Bar » est là pour nous le rappeler.1 Dans ce type d’affaire pénale, les policiers cherchent à qualifier les faits, puis à connaître leurs auteurs, ils compilent les indices, recueillent des témoignages, rassemblent des preuves pour les confondre… L’instruction succède à cette phase préliminaire. Le magistrat instructeur en charge du dossier approfondit l’enquête, il opère avec minutie, porte de l’attention à chaque pièce du dossier, agit avec persévérance, convoque les prévenus, enregistre leur version des faits, entend les témoins, confronte les protagonistes… Ces formalités sont incontournables pour mieux se rapprocher de la vérité. Dès lors que l’épaisseur du dossier est insuffisante, le Parquet peut exiger un complément d’enquête afin de l’étayer. Puis quand l’instruction se termine, soit ce juge renvoie les auteurs devant la juridiction compétente, soit il prononce un non-lieu2. Dans le premier cas, le procès fait suite. À l’audience l’accusation s’oppose à la défense. Chacun joue son rôle ; le procureur incrimine, les parties civiles réclament réparation, les avocats s’escriment à démontrer l’innocence de leur client, désignent les failles de l’enquête, attirent l’attention du jury sur l’absence de preuves formelles, usent de leur talent d’orateur afin de convaincre les juges de l’innocence de leurs clients. Rien n’est donné au hasard, tout est décortiqué, pesé, analysé et quand le verdict tombe, il n’en est que plus juste. Si l’une ou l’autre des parties est insatisfaite du résultat, elle a la possibilité d’interjeter appel. L’affaire est alors portée devant la Cour d’appel qui rendra un nouveau jugement.

Ainsi fonctionne la Justice française. Elle répond aux exigences de l’État de Droit. Sans cela la démocratie s’effondrerait et laisserait place à l’autocratie. C’est le vœu des populistes, contester les décisions de justice pour mieux berner le peuple, car, selon eux, lui seul possède la légitimité pour apprécier ce qui est juste : « Vous avez juridiquement tort, car vous êtes politiquement minoritaires ! »3 s’exclamait avec effronterie le député socialiste André Laignel à l’Assemblée nationale en 1981. Les mauvais réflexes refont surface. On observe ce type de dérives dans la bouche des élus radicalisés. La contestation de la condamnation de Marine Le Pen en est l’illustration même.

En Europe ce mal progresse, nombre de pays ont choisi de mettre à leur tête un autocrate, Hongrie, Pologne… La propagation de démocraties dites illibérales inquiète. C’est quoi ce truc ? Comme le Canada Dry4, la démocratie illibérale à la couleur et l’odeur de la démocratie, mais n’en est pas une. Certes des élections sont organisées, mais l’existence du suffrage, composante fondamentale du système politique, est marquée d’incomplétude. Pour garantir une bonne démocratie il faut l’État de Droit et l’Économie de Marché. Contester, comme le font les populistes en France les décisions des tribunaux, est irresponsable, car seule la préservation de l’État de Droit garantit notre bien le plus précieux : la liberté.

Plaine orientale. Comme autrefois dans le bâtiment où les entrepreneurs recrutaient des journaliers étrangers à même le trottoir, en patrons absolus les voyous corses recrutent les jeunes Maghrébins pour écouler leur stock de drogue. Mais, au fil des épisodes, on devine qu’une inversion des rôles peut advenir et l’on se remémore le film de Jacques Audiard Un prophète où à la fin ce sont les Arabes qui gagnent : « C’est le monde à l’envers. » Et ce n’est pas tout. L’une des juges en charge de l’enquête est, elle aussi, maghrébine. Mais où sont les Corses, bon sang ? Et nos plages paradisiaques ? Nos belles montagnes ? Notre charcuterie ? Rien de tout cela, ou si peu, les principales scènes de tournage se déroulent à Lupinu. Une banlieue de Bastia bétonnée où la moindre parcelle de maquis est absente. Comme si Pierre Leccia souhaiterait éveiller nos consciences sur l’existence d’une sordide réalité. Sans doute ce sera-t-il inspiré du film de Thierry de Peretti Les Apaches pour mieux marquer le changement qui s’opère. Dans ce film, les Maghrébins sont cantonnés à résidence dans des quartiers austères de Portu-Vecchiu, des réserves indiennes, d’où le titre du film, où la peur du méchant corse les tétanise. La série Plaine orientale démontre que ce temps-là est révolu, la peur s’est évanouie, les jeunes issus de l’immigration maghrébine se sont émancipés de la tutelle des insulaires jusqu’à, pour certains d’entre eux, faire partie intégrante de la pègre locale. Il faudra à l’avenir compter sur cette évolution : « Déjà que ce n’était pas facile avec les nôtres, maintenant il faut se coltiner ceux-là. »

Eh bien non ! Cela ne doit pas être une fatalité. Certaines consciences sont déjà à la manœuvre, l’association A Maffia Nò, A Vita Iè ou le collectif Anti Maffia Massimu Susini luttent contre l’existence de la criminalité. Leur action a conduit à la fin du déni. Il faut les en féliciter.

Plus près de nous, la dernière visite du ministre de la Justice démontre l’intérêt grandissant du gouvernement actuel d’éradiquer ce fléau. Des outils juridiques vont renforcer ceux existants afin d’accroître l’efficacité du système policier et judiciaire. Déjà l’aménagement d’ateliers pédagogiques sur le temps scolaire éveille les jeunes aux dégâts causés par les organisations criminelles. Reste la complicité ancrée dans les esprits insulaires. Une forme de solidarité condamnable dans laquelle se vautrent les Corses depuis toujours. Pourtant le constat est dramatique, la mafia qu’elle soit corse ou maghrébine, qu’importe un voyou reste un voyou, détruit les valeurs humaines. Il faut en sortir comme l’ont fait les Siciliens aux dépens de la Cosa-Nostra. Ce système mafieux coupable de bien des malheurs a été éradiqué par la volonté populaire et celle de l’État. Il faut suivre cet exemple et faire en sorte que dans chaque foyer, chaque association, au café, à la plage, n’importe où, les honnêtes citoyens méprisent les voyous, sans culpabiliser, car ces derniers ont choisi de leur plein gré la mauvaise voie.

Pour finir, l’opération Mani Politu a démantelé les principaux systèmes de corruption italiens. Nombre de politiques et de chefs d’entreprise ont été condamnés à des peines de prison et de lourdes amendes. Les Transalpins sont parvenus à éradiquer cette lèpre, une preuve que l’objectif peut être atteint. Indignons-nous, non seulement contre l’accomplissement des actes barbares, mais aussi contre les discours qui les crédibilisent.

La violence n’est pas une culture.

  1. Le Parquet a fait appel du prononcement du jugement du procès de la bande dite du « Petit Bar » pour 7 des 24 prévenus.
  2. Non-lieu : abandon d’une action judicaire en cours de procédure.
  3. André Laignel (né en 1942), à l’attention de Jean Foyer, Assemblée nationale, 13 octobre 1981.
  4. Canada Dry : boisson non alcoolisée.

Les commentaires sont fermés, mais trackbacks Et les pingbacks sont ouverts.