Piazza San Niculà Le rendez-vous des brocanteurs

CHAQUE DIMANCHE LA MYTHIQUE PLACE DE BASTIA SE TRANSFORME EN MARCHÉ AUX PUCES. CE RITUEL EST PARTICULIÈREMENT APPRÉCIÉ PAR LA POPULATION QUI SE PRESSE EN QUÊTE DE BONNES AFFAIRES. FRIPERIES, OBJETS ANCIENS, LIVRES, TOUT SE MÉLANGE DANS UN SYMPATHIQUE CLIMAT CONVIVIAL. PARMI LES EXPOSANTS, LUCIEN ARRIGHI, PRÉSENT DEPUIS UN DEMI-SIÈCLE.
Propos recueillis par Petru Altiani

Ce dimanche-là, le soleil brille à Bastia. 9 heures du matin, place Saint-Nicolas, l’invitation à venir brocanter sur le marché aux puces est honorée, comme chaque semaine, par une cinquantaine d’exposants. Les étals sont bien garnis et colorés d’objets en tous genres. Les badauds sont bien entendu au rendez-vous. Entre le kiosque à musique et le monument aux morts, un stand ne passe pas inaperçu, celui de Lucien Arrighi, 57 ans, bouquiniste de son état. Cela fait près de 25 ans qu’il partage sa passion des livres dans une ambiance qu’il affectionne tout particulièrement. « Les vendeurs arrivent très tôt le matin, pour pouvoir stationner, avec leur véhicule, au plus près de l’emplacement qu’ils doivent aménager», explique-t-il. «Tout doit être opérationnel pour 6h30. Cette mise en place se fait dans la joie et la bonne humeur. Il y a, entre nous, beaucoup de bienveillance, d’entraide et de liant. D’humanité en somme ! J’adore cet état d’esprit et les gens autour de moi…» Avant de se plonger dans la bouquinerie, Lucien Arrighi était libraire au sein de la Sobadi, devenue par la suite l’enseigne « Album » et faisant partie des commerces emblématiques de la cité génoise. «Un jour, j’ai volontairement décidé de quitter mon emploi pour créer ma propre bouquinerie ! », raconte-t-il, le regard éclairé. « C’est Alain Gilhodes, l’un de mes anciens patrons, qui m’a refilé le virus; lui-même avait ouvert une bouquinerie à Marseille, l’ancienne librairie Tacussel. Quand je lui ai rendu visite sur la Canebière, j’ai ressenti beaucoup d’émotions, à travers l’odeur des livres anciens qu’il proposait dans son magasin. Il y régnait une atmosphère complètement différente de celle d’une librairie. Tous les titres ont une histoire, une âme. Ça m’a littéralement fasciné et, dès que je suis rentré à Bastia, je n’avais plus qu’une idée en tête, celle de tenter, à mon tour, l’aventure. »

Figure tutélaire
« C’est ainsi qu’a vu le jour la Bouquinerie des Jardins, située, en ville, rue des Jardins. Cela a duré une décennie. Ce fut une expérience très enrichissante. J’en garde d’excellents souvenirs. J’ai, hélas, été contraint de fermer mon commerce, à cause de quelques soucis avec mon dos. Mais la passion est restée intacte. C’est la raison de ma présence ici. Je ne peux pas m’en passer. Je suis en continu dans le besoin d’être en contact avec le livre, avec les amoureux du livre. J’ai besoin de leur parler et de les rencontrer chaque dimanche.» Chaleureux, souriant, Lucien Arrighi est l’une des figures du marché aux puces de Bastia. Toujours de bons conseils, il n’hésite pas à « teaser » certains ouvrages, en livrant quelques informations alléchantes. « Je suis là pour ça et dois avouer que je suis mon premier client. » « Il y a des personnes qui se présentent à moi avec des critères de recherche bien précis. Je dois être en mesure de pouvoir les orienter vers le titre qui puisse leur correspondre du mieux possible. » Sur son étal, il y en a pour tous les goûts. Romans, documents, nouvelles, poésies, le bouquiniste compte à son actif plusieurs milliers de références. Son stock est le fruit d’un relationnel tissé depuis plus de 30 ans dans l’univers du livre. « Je fais des achats auprès des particuliers, qui viennent sur mon stand et qui désirent se séparer de vieux livres », poursuit-il. « Il peut s’agir parfois de bibliothèques complètes. Il m’est également arrivé de racheter les stocks de librairies qui ferment ou qui ont un surplus de titres.» Lucien Arrighi ne fait pas la chasse aux jolies pièces. Même s’il est déjà tombé, à maintes reprises, sur de véritables trésors. « J’ai eu par exemple entre les mains une authentique et magnifique Giustificazione della Rivoluzione di Corsica de l’abbé Salvini, qui n’est autre que le plus célèbre manifeste de la période paoliste des Révolutions de Corse. »

Au bonheur des amateurs

Parmi les ouvrages les plus anciens qu’il propose actuellement à la vente, une édition de 1736 de Storia d’Italia de Francesco Guicciardini, qui relate l’histoire de l’Italie de 1492 à 1532, et dont la date de publication originale remonte à 1561. «C’est, certes, très enthousiasmant», confie-t-il, «mais ce n’est pas ce qui guide mes pas de bouquiniste. Ma plus belle récompense c’est de voir
quelqu’un dégoter sur mon stand le livre qu’il cherchait depuis très longtemps et que son visage s’illumine. Ce sont ces émotions que l’on peut vivre tout au long d’un marché qui me donnent envie de continuer. L’aspect pécuniaire en devient même secondaire…» Car Lucien Arrighi est animé par la volonté de démocratiser la lecture. « Il faut savoir que les gens qui viennent sur le marché aux puces n’ont généralement pas les moyens d’acheter 4 ou 5 livres par mois et sont très heureux d’ainsi pouvoir s’en procurer à des prix attractifs. » C’est notamment le cas de Sandrine, une cliente fidèle. «Je m’intéresse à la spiritualité sans dogme religieux. Je cherche tout ce qui peut avoir un rapport avec la psychologie, la psychiatrie, la spiritualité ou encore la Corse.» Pour cette dernière, la perle rare, en ce jour ensoleillé, s’intitule Un corps sans âge, un esprit immortel: Se sentir plus jeune et vivre heureux du docteur hindou Deepak Chopra. De son côté, Aurélie, jeune lectrice passionnée, a jeté son dévolu sur le hard-boiled Rock béton de Luc Vernon paru, en 1983, aux Éditions Gallimard. «Je ne cherchais pas un livre en particulier. C’est la couverture assez intrigante de ce roman qui a suscité chez moi de la curiosité.» Dans le cadre de la bouquinerie de Lucien Arrighi, l’éclectisme n’est pas un vain mot. Les amateurs n’ont certainement pas fini d’y trouver leur bonheur et d’écrire de nouvelles pages à son histoire… PDCAu bonheur des amateur
quelqu’un dégoter sur mon stand le livre qu’il cherchait depuis très longtemps et que son visage s’illumine. Ce sont ces émotions que l’on peut vivre tout au long d’un marché qui me donnent envie de continuer. L’aspect pécuniaire en devient même secondaire…» Car Lucien Arrighi est animé par la volonté de démocratiser la lecture. « Il faut savoir que les gens qui viennent sur le marché aux puces n’ont généralement pas les moyens d’acheter 4 ou 5 livres par mois et sont très heureux d’ainsi pouvoir s’en procurer à des prix attractifs. » C’est notamment le cas de Sandrine, une cliente fidèle. «Je m’intéresse à la spiritualité sans dogme religieux. Je cherche tout ce qui peut avoir un rapport avec la psychologie, la psychiatrie, la spiritualité ou encore la Corse.» Pour cette dernière, la perle rare, en ce jour ensoleillé, s’intitule Un corps sans âge, un esprit immortel: Se sentir plus jeune et vivre heureux du docteur hindou Deepak Chopra. De son côté, Aurélie, jeune lectrice passionnée, a jeté son dévolu sur le hard-boiled Rock béton de Luc Vernon paru, en 1983, aux Éditions Gallimard. «Je ne cherchais pas un livre en particulier. C’est la couverture assez intrigante de ce roman qui a suscité chez moi de la curiosité.» Dans le cadre de la bouquinerie de Lucien Arrighi, l’éclectisme n’est pas un vain mot. Les amateurs n’ont certainement pas fini d’y trouver leur bonheur et d’écrire de nouvelles pages à son histoire…

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