Papa Francescu era qui in casa soia
Il aura honoré la Corse de son ultime déplacement officiel. Sa venue suscita un engouement majeur, réunissant selon le célèbre poème d’Aragon « celui qui croyait au ciel, celui qui n’y croyait pas ». Le pape François sut donner à sa visite en terre ajaccienne une dimension sociétale qui rassembla tout un peuple baignant dans cette Méditerranée qui lui tenait tant à cœur.
Par Jean Poletti
La mort du souverain pontife se produisit le lundi de Pâques, jour de la résurrection. Certains n’y virent que coïncidence. D’autres crurent déceler comme on dit chez nous U segnu di una manu superiore. Papa Francescu, tout au long de sa journée ajaccienne, semblait avoir remisé le protocole étriqué, laissant ainsi libre cours à la spontanéité populaire. « So in casa mea », dit-il comme pour signifier sa joie d’avoir choisi la Corse en auguste escale. Il est vrai que sa décision froissa maintes éminences de la curie, et au-delà le président de la République. Ils espéraient ardemment qu’il opte pour Paris, où se déroulaient les cérémonies de la réouverture de la cathédrale Notre-Dame. Le faste des inaugurations n’était en quelque sorte pas la bible de ce jésuite, qui avait fait vœu de pauvreté. Et se dressait contre la misère et l’ostentation, fut-elle d’essence chrétienne. Aussi est-ce par une formule comminatoire et quelque peu irritée qu’il refusa les sollicitations par un double et retentissant « no andro a Parigi, no andro a Parigi ».
La Corse en exemple
La messe était dès lors dite. Au grand dam d’Emmanuel Macron qui limita son accueil au Saint-Père à l’aéroport de Campo dell’Oro. François le réfractaire ? Sans doute. Il préféra en conscience les bains de foule de la place Miot ou du Casone, se recueillir devant la statue de la Madonuccia ou bénir des nombreux enfants qui lui étaient présentés le long du parcours. Il s’en réjouit et le dit à plusieurs reprises « Avete vistu tanti bambini ».
Chez nous, terre de spiritualité et de foi, son message rencontra un écho à nul autre pareil. La mondialisation de l’indifférence, le sort des migrants, l’importance des périphéries, l’identité comme richesse, la Méditerranée comme trait d’union. Autant de thématiques de son pontificat qui parlaient comme un livre ouvert de notre spécificité. D’autant que le pape François désigna la Corse comme un exemple européen à suivre dans son dialogue constant entre Église et institutions. Ce qu’il nommait en termes génériques la piété populaire ou encore la laïcité apaisée.
Ses mots résonnent encore dans les cœurs et les esprit d’une communauté. Son décès raviva le message pétri d’altruisme et de solidarité.
Naturelle empathie
« E Mortu Papa Francescu. » Voilà ce qui perçait sur maintes lèvres. Les commentaires qui suivirent, spontanés ou réfléchis, transcendaient fréquemment l’aspect religieux, pour atteindre les rivages d’un hommage reflétant l’humanisme et la proximité. Son testament ne dérogea pas à sa règle de conduite. Il voulut des obsèques sobres, et reposer non pas dans la sublime basilique Saint-Pierre, mais dans celle plus modeste de Sainte-Marie-Majeure. Sur sa tombe, il indiqua que soit simplement inscrit François. Mieux que longues digressions ses ultimes volontés témoignent des qualités qui l’accompagnèrent. Suscitant l’empathie et pour tout dire, dans nos communes sans doute plus qu’ailleurs, l’impression diffuse de le connaître intimement.
Aussi dans le villes et les villages, du littoral à l’intérieur chacun sait déjà que sa visite marquera d’une pierre blanche notre histoire contemporaine. Celle qui rehausse la dignité collective et met l’humain au centre du monde.
Sa venue prit les atours d’un appel à la paix et à la concorde. La Corse en a tellement besoin. Reste à savoir si une telle adjuration permettra d’ouvrir enfin les portes d’un avenir plus serein. Bannissant la violence, les animosités et l’emprise des forces du mal. Puisse cette présence en ce quinze décembre écoulé ne pas être simple parenthèse aux attraits de communion, mais s’ancrer dans la mémoire collective et faire société.
Au nom de l’héritage
Vue de l’esprit ? Travers qui ne cesseront pas ? Oubli de ces vœux revenant en leitmotiv lors d’un moment mettant l’harmonie sur un piédestal ? Les fidèles parlent d’espérance, les profanes, athées et libres-penseurs de l’avènement de la sagesse. Qu’importent les creusets différents, ils se rejoignent dans le secret espoir que l’avenir insulaire ne sera plus ourlé de lourds nuages noirs.
Pour l’heure, chacun se souviendra d’un pape, proche des gens, qui faisait lui-même ses emplettes, pourfendant le libéralisme sauvage qui broie et exclut. Se dressant face à l’injustice.
D’ores et déjà bruissent les noms du successeur. Sera-t-il dans le droit fil du briseur de codes ? S’inscrira-t-il dans le cycle de réformes initiées ? Les interrogations n’agitent nullement la Corse. Elle veut garder l’image de ce pape Argentin qui avait su trouver les mots justes et le ton affable pour parler à une communauté et souligner son particularisme.
En cela, la visite de François doit être saluée non seulement pour sa dialectique pastorale, mais également parce qu’elle apporta un supplément d’âme qui irrigua et rassembla toutes les générations.
Terre vaticane
En douze années de règne, Papa Francescu imprima un style, modula un parcours original. Il était à maints égards hors norme. Ne craignant pas de dire la vérité sans fards ou circonvolutions diplomatiques. Voilà sans doute ce qui accentua l’attachement qui lui fut porté chez nous. Car chacun sait depuis le philosophe Hegel que la vraie grandeur n’existe que dans la sobriété.
Au risque de s’attarder plus que nécessaire, il convient de répéter que rares sont ceux qui ici ne furent pas pleinement séduits par ce missionnaire qui porta haut et clair son ministère de la parole. L’indéniable adhésion qu’il draina démontre à l’évidence que même celui qui a le qualificatif de sainteté put et sut être un pape parmi les hommes. Sa communication sortant des sentiers battus tissa un fil d’union avec ceux qui vinrent de toute la Corse ou le virent et l’écoutèrent, rivés devant leurs postes de télévision. Il parla des problématiques spécifiques, relata en filigrane inquiétudes et espoirs. Et ce langage paraissait s’adresser non pas indistinctement à la foule mais à chaque individu. Presque sur un ton amical et de la confidence.
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