Océane Court-Mallaroni
La matière vivante du théâtre
Océane est une femme de 38 ans, originaire de Serra di Scopamena, dans la microrégion de l’Alta Rocca, là où le décor fait de paysages ouverts est bel et bien vivant. Attachée au village de Sotta, et son hameau de Valavo, elle y a ancré sa compagnie de théâtre, Pegasus collectif.
Par Laura Benedetti
Elle débute le théâtre à tout juste 7 ans, et n’a jamais cessé depuis. Animée par le métier de comédienne, elle a intégré pendant deux ans le Cours Florent de Paris. Cette expérience, contre toute attente, a chamboulé ses convictions au point où elle s’est demandée si elle était finalement faite pour ce métier. Un jour, alors qu’elle accompagne une amie passer un concours d’entrée dans une école supérieure en Suisse, le Jury lui propose de passer le concours à son tour : « Je n’avais quasi rien préparé. J’ai eu le premier tour puis le second tour du concours ; et j’ai donc été admise à la Manufacture – Haute École des arts de la scène, à Lausanne. C’était en 2010. La formation a duré 3 ans. » Océane évoque cette anecdote comme « une chance infinie ». Là, elle y rencontre une pluralité d’artistes aux côtés de qui elle apprend à aiguiser son regard sur le monde et à déployer sa pensée. « La Suisse a été, pour moi, un eldorado culturel et une grande découverte du théâtre et de ce qu’il générait en moi. », nous livre-t-elle.
« On dit que le cheval est un animal qui fait le lien entre le monde des morts et des vivants. Cette question de l’invisible est quelque chose qui me hante – sans mauvais jeu de mot. »
Océane, au sujet du nom de sa compagnie.
Son attachement au théâtre est aujourd’hui sans failles. Elle s’y sent chez elle. Le théâtre est son refuge depuis l’enfance, ce temps qu’elle passait à peindre des décors de théâtre sur de grands draps et à préparer des spectacles dans les greniers : « J’aime cette manière de fabriquer les récits, travailler en collectif, prendre le temps de la recherche et de la création. Travailler sur une matière dite vivante, toujours en mouvement. Comme la pensée. J’aime la richesse des écritures, des langues avec lesquelles on peut travailler, la richesse des possibles… »
Le théâtre lui procure des émotions très fortes, aussi en tant que spectatrice. Elle aime la joie et l’enthousiasme dans lesquels un spectacle la submerge, suscitant toujours plus chez elle, le désir de créer. Océane se dit fascinée par les danseurs et le travail de plateau ; cet art qui engendre une conscience aigüe de son corps. Pour ses prochaines créations, son souhait est de réaliser davantage de ponts entre les arts. « J’aime l’idée d’envisager le travail de façon “travail horizontal” et transversal – chacun amenant son savoir-faire, son artisanat, son univers ; mettre en commun pour inventer ensemble un langage nouveau. À l’instar de la création d’A Rimigna 24 : faire se rencontrer des anthropologues, des scénographes, imaginer des « master class » avec un maître de conférence en sciences du langage, travailler avec des pâtissiers, des charcutiers… Derrière le mot “collectif” se cache une notion politique : comment faire société à l’endroit de la création ? Comment être attentif au commun ? Comment laisser une place à chacun ? Comment faire circuler la parole, la pensée ? Comment écouter les bruissements du monde ensemble ?… Et c’est loin d’être évident. C’est un jeu d’équilibriste de faire cohabiter l’individu et le collectif. »En 2020, Océane a tourné le film Entre la nuit ; elle a créé la pièce Vania en 2023, une adaptation d’un classique de Tchekhov. Et, en 2024 A Rimigna 241. Tout dernièrement, elle a travaillé aussi avec Julien Colonna autour du casting du film Le Royaume.
La liberté dans la création
À travers, notamment, la création de Vania, elle s’est confrontée à « toucher » à une œuvre classique, Oncle Vania de Tchekhov, ce qui est toujours une prise de risque. Mais elle y est allée, avec beaucoup de détermination et de courage : « Une pièce telle que Oncle Vania est un monument et chacun a son idée de l’esthétique qu’une pièce de Tchekhov doit être. Dès qu’on touche ses fondements, on s’expose aux critiques parfois virulentes. Ce fut d’ailleurs mon cas. Mais j’ai eu envie de prendre ma liberté, de casser ce que j’avais pu voir de Tchekhov. J’ai eu envie de m’affranchir de ce monument, sans dénaturer le texte et son auteur. Nous devons désacraliser certaines œuvres, les triturer pour aller chercher des choses nouvelles. Tout doit être en mouvement même des textes qui nous viennent des siècles derniers. Je me vois un peu comme une exploratrice. J’aime sortir des sentiers battus. Je crois que c’est ce que font les artistes – en tout cas ceux et celles dont j’aime le travail. »Ces artistes pluriels qu’elle évoque, n’ont cessé et ne cessent encore de déstructurer les codes de pensée et de création, de renouveler les flux d’un art à un autre créant aussi une perméabilité entre les arts. Une hospitalité. « Je pense à Caroline Guiela Nguyen, Jeanne Candel, Rebecca Chaillon, Adama Diop, le Munstrum… Je suis fascinée par des performeuses comme Marina Abramović, Sophie Calle ou encore Pippa Bacca. Je lis beaucoup d’ouvrages tournés sur la philosophie du vivant et des morts – comme Vinciane Despret ou encore Jennifer Kerner. J’aime la langue de Cécile Coulon ou encore Guillaume Poix. Pour le cinéma, je suis une fan absolue du travail d’Alain Cavalier – j’ai vu des tonnes de fois son merveilleux Thérèse. »Pour Océane, les frontières n’existent pas entre les arts. Au cœur de cette grande porosité, l’esprit danse. Et, où il y a de la danse, du mouvement, il y a de la rencontre et du mystère.
Pegasus collectif

Océane a choisi le cheval ailé de la mythologie grecque pour nommer le collectif. Le cheval est devenu en quelque sorte son animal totem : « Il y en avait un dans mon film, qui s’appelait Focu. Il n’avait absolument pas la grâce d’un étalon mais il était si présent si connoté à nous, à son environnement. Je l’ai aimé instantanément. Il était si bouleversant sur au milieu de l’immensité du plateau du Cuscionu. » Elle poursuit en dévoilant ce qui, pour elle, lui confère une dimension sacrée :« On dit que le cheval est un animal qui fait le lien entre le monde des morts et des vivants. Cette question de l’invisible est quelque chose qui me hante (sans mauvais jeu de mot). Le théâtre met en scène les morts, la mort, les fantômes, ce qu’on pense voir, ce qui ne se voit pas, des langues cachées. Le théâtre a la puissance de faire apparaître l’invisible. Le théâtre détient tant de secrets : le théâtre crée un temps présent absolu (dans lequel cohabite le passé et le futur). Le théâtre est une temporalité à part entière. Et c’est dans ce rapport au monde et au temps que je me sens bien. »
Ces projets en cours ou à venir s’inscrivent dans une variété de registres. Elle œuvre à sa prochaine création en collaboration avec la danseuse Laura Desideri ; elle jouera prochainement dans un nouveau film. Enfin, elle retournera à l’école – La Comédie de Saint-Étienne – pour passer le diplôme d’état d’artiste enseignant – qui lui tient à cœur. Ce qui est admirable dans la recherche d’Océane, c’est son travail sur la matière, le respect de l’artisanat et les relations humaines.
- A Rimigna est en tournée, le 27 mai à Ajaccio, le 8 juin à Corte et le 20 juin à Bastia.
@pegasuscollectif
@a_rimigna_24
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