Nouveau mode de scrutin municipal

Les urnes de la discorde

Aux prochaines municipales, ce sera aussi parité et interdiction de panachage pour les communes de mille habitants ou moins. L’idée peut paraître séduisante en théorie. Dans la réalité en Corse où de nombreux villages souvent exsangues et ne comptant qu’une poignée d’électeurs cela risque d’être un remède pire que le mal. D’autant qu’en ombre portée l’engagement communal ne fait plus recette et que des maires veulent rendre leurs écharpes.

Par Jean Poletti

Sur les trois-cent-cinquante-neuf communes insulaires, un bon tiers n’atteint pas cent habitants et les vingt-trois plus petites n’en totalisent que cinq-cents. En Castagniccia, le Niolu ou le Boziu, une étude déjà ancienne émanant d’un directeur de l’Équipement parlait déjà de désert démographique. En Corse-du-Sud, le panel est similaire, et l’on peut citer sans verser dans l’énumération exhaustive Cardo Torghja, Zerubia ou Mela. À l’aune de ces quelques chiffres, il n’est pas usurpé de dire que les constitutions de listes dites « Chabadabada », en référence au film de Lelouche Un homme et une femme, ne sera pas sinécure. Et faute de combattants, élaborer une opposition aux sortants relèvera de la gageure. Pour ne pas dire des coulisses de l’exploit.

Soyons réalistes, demandons l’impossible dirent les législateurs. Avaient-ils en mémoire le poème d’Aragon La femme est l’avenir de l’homme ? Pour autant dans un village d’une quarantaine d’âmes, ce qui n’est pas exceptionnel chez nous, cela relèvera souvent du casse-tête chinois. Une sorte de péril jaune sur le chemin des urnes.

Certains édiles voient cependant d’un bon œil cette mutation. D’autres faisant contre mauvaise fortune bon cœur disent que cela est le fruit d’une nécessité. Il en est qui ruent toutefois dans les brancards. Ils s’opposent non pas à l’idée, au demeurant puisée dans l’équité, mais sur son application tant les postulants sont déjà peu nombreux à vouloir accéder à une fonction élective. Les détracteurs avancent l’argument que rien n’interdisait naguère au sexe dit faible de faire acte de candidature. Mais rechignent à ce que cela devienne obligation battant en brèche les véritables vocations.

Loi au forceps

À l’heure où bon nombre de maires veulent ici aussi jeter l’éponge, ou maints conseillers municipaux ne le furent qu’après de pressantes sollicitations et de manière triviale « pour faire plaisir », imposer la stricte mixité ajoutera aux difficultés.

D’ailleurs, cette loi ne fut pas un long fleuve tranquille au Sénat. Les représentants des territoires validant d’une courte tête le nouveau dispositif. L’un d’eux affirmant « On va bouleverser des règles qui donnaient globalement satisfaction au profit de règles quasiment inintelligibles pour les citoyens. » Et sa collègue Kristine Pluchet du groupe Les Républicains de dénoncer « Une parité au forceps, ni avisée ni respectueuse des réalités locales. » Tonalité différente à l’Assemblée nationale où le projet passa comme une lettre à La Poste. Et sa présidente Yaël Braun-Pivet, du haut de son perchoir, d’affirmer « La parité ne doit plus être une exigence mais une évidence. Il est temps que les femmes prennent toute leur place dans la politique locale. » Qu’en termes élégants ces choses-là sont dites !

Cerise sur le gâteau, le fameux panachage sera interdit. Il permettait de rayer certains candidats et les remplacer par d’autres. Même s’ils n’étaient pas en lice. De plus, il n’était pas rare que le leader d’une liste victorieuse soit, dans le respect d’un pacte, promulgué maire par ses colistiers dont certains avaient engrangé davantage de suffrages que lui. Et que dire d’une personne qui n’ayant pas fait acte de candidature pouvait se retrouver élu tant son nom figurait en lieu et place, d’autres rayés d’un trait de plume !

Tir aux pigeons

D’aucuns y voyaient une sorte de démocratie directe et une liberté offerte par les codes et les règles. « Tir au pigeon », rétorque Ange-Pierre Vivoni, président des maires de Haute-Corse. Jeux dangereux. Scrutins dénaturés. Lui est favorable aux normes qui ont désormais force exécutoire. À ses yeux, la parité s’impose, et se veut le reflet d’une reconnaissance étouffée par une sorte d’oppression. En corollaire, il flétrit le sacro-saint panachage. Une faculté qui illustrait souvent des antagonismes personnels ou des rancœurs individuelles ne devant rien à la politique. Ainsi même si la liste répondait à leurs options, nombre d’électeurs en excluaient purement et simplement certains « Pour des raisons souvent dérisoires, subalternes et annexes ou simplement parce qu’ils ne leur plaisaient pas. » Nul doute que le maire de Sisco adhère pleinement à l’adage de Molière « La parfaite raison fuit toute extrémité et veut que l’on soit sage avec sobriété. »

Nul besoin toutefois de recourir au sondage pour affirmer que maints électeurs diront qu’ils sont amputés d’une liberté, d’adouber ou d’exclure au gré de ses envies. Même si elles sont irrationnelles, exagérées et répondant au bon plaisir offert par un bulletin qui s’accompagnait du stylo rageur permettant le veto. Une interrogation affleure. Pourquoi un tel empressement qui s’apparente à la précipitation ?

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