Maria-Francesca Valentini et Gérôme Bouda

L’AVENTURE EN ILLIMITE

Quand on rencontre Maria-Francesca et Gérôme, une idée nous vient en tête et devient le fil rouge de notre interview : ils sont à l’écran comme dans leur vie privée : connectés. Leur relation pourrait refléter aussi celle d’un couple légendaire du cinéma… Mais leur écran n’est pas celui que l’on croit. Ils ne sont pas devant la caméra, mais bien souvent derrière et sont aujourd’hui à la tête d’Allindi, la plateforme de SVOD (vidéo à la demande) au service de la production cinématographique insulaire. Leur objectif est à la fois simple et terriblement ambitieux : offrir au plus grand nombre, l’imaginaire de la Corse en illimité.

De leurs expériences multiples, différentes, professionnelles et personnelles, ils gardent ancré au plus profond d’eux-mêmes un rapport fort à l’identité, au territoire sur lequel ils ont décidé de vivre aujourd’hui.

Interview croisée.

Propos recueillis par Anne-Catherine Mendez

D’où venez-vous, quelle est votre identité ?

Gérôme : J’ai 39 ans, je viens d’Île-de-France, je vivais à la campagne, mais j’ai effectué toute ma scolarité à Melin, une zone d’éducation prioritaire de la grande banlieue parisienne. Parallèlement, je participe avec mon père musicien, à tous les bals de la région et d’ailleurs. Ma première rencontre avec la Corse s’est faite à cette période, lors d’une tournée estivale à laquelle mon père participait.

En 1999, tout naturellement, je m’inscris à l’Université de Corse en 1re année Arts et Spectacles. En 2004, j’obtiens un master d’études corses et méditerranéennes, en même temps, je fréquente les cours de cinéma, d’audiovisuel à l’université. Très vite, je travaille dans ce domaine, j’écris, je réalise des documentaires avec quelques sociétés de production corses. En 2005, je m’inscris en thèse, je vais mettre 6 ans avant de pouvoir la soutenir. Le sujet : Les esthétiques révolutionnaires, en particulier sur le courant de la propagande d’extrême droite. J’ai un grand intérêt pour la Corse, pour sa richesse culturelle et patrimoniale. Je suis consterné par le comportement de ceux, originaires de l’île, qui grandissent et vivent ici, et qui se tiennent à l’écart de leur culture, de leur langue. Je suis moi-même convaincu que notre double appartenance, doit nous permettre de vivre debout ici et partout dans le monde.

Ce paysage personnel lié à la complexité identitaire est d’ailleurs au cœur de ma création cinématographique, c’est le fil conducteur de mes trois films et de ma série.

Maria-Francesca : J’ai 43 ans, je représente le pur produit de ceux qui à 18 ans ont voulu quitter la Corse. Le bac en poche, je suis partie à Montpellier en Histoire de l’art. De multiples allers-retours entre l’île et le continent, ne sachant pas trop vers quel domaine me diriger. Des expériences de boulots loufoques, notamment à Paris, je travaillais pour un musicien de verre et de cristal (rires). À mon retour, le continent m’avait dégoûté de l’image, du dessin, de la photo. Et sur l’île, la mer m’a sauvée. Lors d’un boulot d’été au centre des Glénans à Bonifacio, je découvre la navigation, la voile, la Méditerranée salvatrice. J’embarque peu de temps après avec Patrice Franceschi sur la Boudeuse pour un périple d’environ deux ans. Je rentre, je passe un diplôme de la marine marchande, persuadée que je vais en faire mon métier. Et puis je donne naissance à un petit garçon, et je cultive mon jardin au sens propre comme au figuré.

Pour les 100 ans de ma grand-mère, la famille voulait faire un film, certes familial mais quelque chose qui resterait en sa mémoire. Malgré mon aversion pour l’image rapportée de la capitale, il était hors de question que quelqu’un d’autre fasse le film à ma place. Je n’y connaissais pas grand-chose et grâce à une amie monteuse que j’ai convaincue de m’aider, j’ai réussi à faire ce film. La traversée du siècle vu dans les yeux de ma grand-mère, une expérience magnifique. J’étais réconciliée avec l’image.

J’ai donc continué avec les Ateliers Varan qui ont accepté ma candidature, pour une formation. J’ai ensuite travaillé sur beaucoup de tournages pour apprendre, gagner ma vie. J’ai moi-même réalisé des documentaires. Je suis toujours intermittente du spectacle au cadre et à la réalisation.

Je viens d’un milieu militant, qui pose une certaine ossature. Il y à 40 ans, il n’était pas évident de porter un prénom corse et de ne pas parler français en rentrant en maternelle. J’étais étrangère dans mon propre pays. Mon rapport à l’identité ne se pose pas comme celui de Gérôme. À 18 ans, j’ai voulu fuir la Corse, lui il a voulu l’adopter.

Mais, on se rejoint avec Gérôme sur l’idée qu’il faut être fixé quelque part pour pouvoir aller ailleurs. J’ai mis très longtemps avant de le comprendre. Cela a complexifié mon parcours, mon rapport aux racines, à l’identité.

Quelle est l’idée fondatrice d’Allindi ?

Gérôme : Allindi est un outil qui permet de valoriser les productions audiovisuelles qui ont un lien très fort avec la Corse et souvent à la marge des diffuseurs naturels. À travers Allindi, nous voulions répondre à ces questions : comment casse-t-on les codes de durée de diffusion de création originale ? Comment fait-on exister des auteurs qui ont un point de vue qui n’est pas charté. Où sont passés les films qui ont été aidés financièrement ? Comment font les gens pour se réapproprier leur patrimoine cinématographique ?

Maria-Francesca : On ne soupçonnait pas l’ensemble des problématiques juridiques, techniques du projet. Nous avons mis presque trois ans pour aboutir, en partie avec l’aide et l’enthousiasme de nombreuses personnes ressources, producteurs, techniciens, élus… Notre fils, Taviu Felice, a le même âge que le projet et il déteste les salles obscures… (rires)

Que retenez-vous de cette expérience ?

Gérôme : C’est une expérience entrepreneuriale très importante pour nous. J’ai l’impression que nous avons construit cette société comme si on tournait un film mal financé.

Maria-Francesca : On a toujours eu l’habitude de travailler avec peu de moyens !

Quel est votre regard sur la Corse aujourd’hui ?

Gérôme : J’ai l’impression que la bascule politique qui a eu lieu a réconcilié la Corse avec la situation de ces 40 dernières années, avec le siècle passé. Nous sommes en mesure aujourd’hui de créer une communauté avec toute sa diversité pour faire face aux enjeux de demain. La grande faillite annoncée n’est pas arrivée.

Maria-Francesca : Je pense que nous avons atteint une forme de maturité. Nous avons dépassé certains complexes pour pouvoir assumer notre identité. Je suis plus sévère que Gérôme, mais aussi idéaliste. J’ai envie de dire « petit mais costaud ! »

www.allindi.com

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