L’indéprimeuse

Davina Sammarcelli

Portrait

Sacrés caractères!

Fille et petite-fille d’imprimeurs, Davina Sammarcelli a transcendé son univers familial pour donner naissance à l’Indéprimeuse. Avatar artistique de la créatrice, l’Indéprimeuse s’approprie en effet tous les codes de l’imprimerie pour les détourner avec humour dans un style très personnel. Créé au départ pour rendre compte du métier sur les réseaux sociaux, le personnage s’est quelque peu affranchi de sa créatrice pour vivre aujourd’hui sa propre histoire.

Par Karine Casalta

Issue d’une famille d’imprimeurs depuis 1890, Davina est née et a grandi à Bastia, où l’atelier d’imprimerie familial constitue très vite son tout premier terrain de jeu. Attirée très tôt par l’univers artistique, elle s’oriente après son bac vers des études d’art à la fac de Corte, avant de rejoindre Saint-Jacques-de-Compostelle pour poursuivre en histoire de l’art. Elle se forme par la suite à Paris aux différents logiciels de création PAO dans l’objectif de rejoindre un jour l’imprimerie familiale pour lui donner une nouvelle dimension artistique en y développant une agence de graphisme. Mais des événements familiaux vont précipiter son retour et accélérer sa formation au métier d’imprimeur. Prépresse, atelier, finitions, elle va ainsi se frotter durant 11 ans à tous les aspects du métier, découvrant avec bonheur que les nouveaux moyens du secteur – ordinateurs, logiciels professionnels, presse numérique – lui ouvrent de nombreuses perspectives, à l’encontre des grands discours du moment sur la mort du papier, pour enrichir sa production et laisser libre court à sa fibre artistique.

Valoriser le métier d’imprimeur

Militante du papier et désireuse de faire découvrir toute la richesse de son métier, elle commence en 2016 à en parler sur les réseaux sociaux. « Je m’étais aperçue que ce métier, qui était le plus vieux métier du livre, n’était pas forcément le plus connu, délaissé au profit d’autres plus « en vogue » comme designer, graphiste, webmaster, qui pourtant pour moi en découlent. J’ai donc commencé à twitter, et pour cela j’ai inventé un personnage, un peu farfelu, un peu surréaliste, qui s’amuse dans son atelier d’imprimerie, utilisant l’encolleuse, le massicot, etc. pour montrer tout ce qu’un atelier d’imprimerie peut offrir, avec beaucoup de légèreté, de rêverie. » Porteuse également d’un soupçon de féminisme, elle met en scène une femme au travail, dans un univers professionnel par tradition majoritairement masculin. L’Indéprimeuse est née ainsi. Sans représenter pour l’heure une ressource économique pour sa créatrice. C’est l’arrivée de Félicia, la sœur de Davina, impliquée tant dans l’organisation, les relations avec les clients, la logistique que dans l’échange créatif qui va contribuer à lui donner une autre dimension. Inspirée par l’univers Dada et les surréalistes, l’Indéprimeuse commence dès lors à produire de l’économie en jouant avec les mots, les sonorités, supprimant un caractère par-ci, en ajoutant un autre par-là, jouant avec la mise en page, pour éditer des messages décalés et plein d’humour, sur différents supports : couvertures de livre, affiches, carnets, cartes de visite, etc. Et utilisant pour cela tout ce que l’atelier peut offrir : impressions offset et numérique, gaufrage ou dos carré collé… Cependant le basculement va véritablement s’opérer avec la sortie de Jambonlaissé de Guillaume Remuepoire, une traduction d’Hamlet, le chef-d’œuvre de William Shakespeare traduit par Google Traduction qui, à leur plus grande surprise, va avoir un succès retentissant, et que les deux sœurs vont alors décider d’éditer pour répondre à la demande.

Un large panel de créations littéraires

C’est ainsi que peu à peu l’Indéprimeuse a grandi et pris son envol. Aujourd’hui, studio de création à part entière, l’Indéprimeuse continue à réinterpréter avec humour le rôle du livre, et de la lecture. À travers des livres « pas faits pour être lus », des couvertures à encadrer, une collection de papeterie, et depuis peu une mini collection d’impressions textiles et de broderies dont les grands titres classiques de la littérature sont toujours détournés. Elle joue avec les mots, les polices, ou encore les bords perdus, utilisant tout ce que son métier peut mettre à la disposition de son art : l’esthétique du papier, des caractères d’imprimerie, les formats, les couleurs pour proposer de multiples idées cadeaux littéraires. « L’Indéprimeuse allie la littérature et l’art visuel, tout comme l’écran et le papier, il s’agit toujours de création, d’écriture ou de lecture. Ces mondes-là ne s’opposent pas mais se nourrissent entre eux, c’est dans cette interaction que naissent nos créations. » Créatrice reconnue, elle peut s’enorgueillir de collaborations avec le musée de la Vie romantique à Paris, ou encore avec le Centre Pompidou qui s’est intéressé à son travail. L’Indéprimeuse a ainsi coopéré sur la signalétique de l’École propour laquelle elle a créé « Les règles du jeu de l’École pro du Centre Pompidou », et travaille aujourd’hui à un projet avec l’Ircam (Institut de recherche et coordination acoustique/musique), visant à créer trois objets pour évoquer le sens de l’ouïe. Des rencontres qui participent aussi à l’économie de l’entreprise et à son développement, en parallèle des créations proposées sur son e-shop et depuis près d’un an dans la boutique atelier parisienne de Pigalle. Des créations toujours fabriquées dans l’atelier familial de Biguglia, où tout est imprimé avant d’être exporté et vendu sur le continent. Davina est fière de contribuer et de participer à l’économie de l’île qui l’a vu naître. Plus que jamais militante du papier, et désireuse de soutenir la culture et les métiers du livre, elle se désole aujourd’hui des décisions gouvernementales de fermer les librairies, convaincue que « le livre est un bien essentiel ! » Optimiste malgré tout, l’Indéprimeuse veut croire en son avenir : « Même si c’est récent, et fragile en raison du contexte actuel, nous avons des projets, de l’ambition, des envies, l’idée est vraiment de proposer un maximum de produits, un maximum de gamme, et garder ce lien que nous avons avec le public sur les réseaux sociaux, et les clients, c’est vraiment un plaisir ! »

Retrouvez les créations de L’Indéprimeuse au 7 rue de Calais 75009 Paris

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