LIBÉRALISME CRÉATEUR, NÉOLIBÉRALISME DESTRUCTEUR

Quels qu’aient été les espoirs de l’après-guerre, le socialisme réel, celui incarné par l’Union soviétique, a définitivement démontré qu’il ne pouvait pas avoir de visage humain. Le stalinisme est incorrigible.
Par Michel Barat, ancien recteur de l’Académie de Corse
La société de marché et la libre circulation des personnes et des marchandises est la condition de la prospérité et de la liberté des individus. Il n’y a de démocratie que libérale. Le libre commerce des marchandises est la condition du libre-échange entre les hommes. Leur prospérité détermine leur liberté. Mais ces démocraties libérales sont fragiles, elles sont menacées tant par l’excès de libéralisme que par sa négation. Les partis sociaux-démocrates à gauche et les partis libéraux sociaux à droite sont sous la pression des populismes des extrêmes qui conduiront à la fin de l’État de droit.
L’œuvre néfaste de ces populismes est facilitée par les avancées du néolibéralisme dont le principe est la destruction. Les néolibéraux considèrent que toute innovation passe nécessairement par la destruction de ce qui l’avait précédé. Ce principe a été théorisé depuis longtemps par Schumpeter. Dès 1912, il affirmait dans sa « Théorie de l’évolution économique » que « l’entrepreneur est celui qui détruit l’ordre ancien en introduisant un nouvel ordre ». On pourrait résumer son œuvre non seulement économique mais aussi philosophique par la formule de son œuvre de 1942, « Capitalisme, socialisme et démocratie » : « Le capitalisme est un processus de destruction créatrice. » La croissance passe plus par l’innovation destructrice que par l’accumulation du capital. On comprend alors qu’il était fasciné par Karl Marx et sa dialectique matérialiste.
« L’État de droit sera d’autant plus puissant qu’il fera sa propre critique pour s’autolimiter. »
Croissance et destruction
Pour lui, Karl Marx avait compris que le cœur de la dynamique économique était la révolution des rapports de production donc des rapports sociaux. Il n’en tira pas les mêmes conclusions politiques mais comme Marx il pensait que la démocratie libérale était appelée à disparaître. Clairement la violence semble pour eux plus créatrice que le commerce paisible. Si pour les libéraux classiques le libre commerce apaise les mœurs, les néolibéraux estiment qu’il n’y a pas de croissance dynamique sans destruction. D’une certaine manière il est vrai que de nouveaux moyens de productions annihilent les anciens rapports sociaux : l’arrivée des métiers à tisser provoqua la révolte des Canuts de Lyon. Aujourd’hui, la révolution numérique n’assure des progrès que par la destruction de nombreux emplois. La prospérité de l’économie semble être porteuse du malheur des individus qui s’éloignent alors de la démocratie et appellent un pouvoir autoritaire. C’est ainsi que renaît le désir d’un homme fort qui osera supprimer règles et normes en débarrassant le peuple des élites.
Si l’État de droit empêchait que le libéralisme débridé devienne comme « le renard dans le poulailler libre », tout en veillant à ce qu’aucun gardien monstrueux ne fasse régner la paix par la terreur. Ou la société meurt par son appauvrissement ou au contraire elle est aux mains de grands prédateurs qui l’enrichissent en dévorant ses membres, en les privant de liberté.
Le défi à l’État de droit
Toute crise est à la fois excès et manque : excès de dérégulation par soif de puissance et manque de solidarité sociale pour les plus faibles. En un mot comme à la guerre, on proclame « malheur aux vaincus ».
« D’une certaine manière, il est vrai que les nouveaux moyens de production annihilent les anciens rapports sociaux. »
Le seul espoir pour que nos démocraties libérales, c’est-à-dire en grande part l’Europe, résistent à l’illibéralisme d’un Trump ou d’un Viktor Orbán, est qu’elles continuent d’encourager une croissance de progrès, une croissance encadrée par une réglementation modérée, que l’État de droit ne se complaise plus dans l’impuissance.
L’État de droit sera d’autant plus puissant qu’il fera sa propre critique pour s’autolimiter. Nous usons du mot critique tel qu’il est entendu par Kant : une délimitation de son champ d’action.
Le spectre du totalitarisme
L’impuissance de l’État tout comme sa surpuissance conduit à la fin de la démocratie. Le néolibéralisme qui est en fait un illibéralisme entraîne le totalitarisme et le malheur pour le plus grand nombre et finira par la guerre qu’elle soit extérieure ou civile.
Les commentaires sont fermés, mais trackbacks Et les pingbacks sont ouverts.