« Les Demoiselles de Bastia »

de Jean-Philippe Savignoni

Roman

La fantaisie romanesque d’une Corse entre clichés savoureux et tendresse

Par Karine Casalta

Originaire de Castagniccia par son père, Jean-Philippe Savignoni signe avec Les Demoiselles de Bastia, une déclaration d’amour à la Corse. L’auteur puise ici dans ses racines familiales pour composer une fresque romanesque, où la mémoire intime se mêle à une caricature joyeuse entre humour, exagérations complices et autodérision.

Tout commence par un jeune homme qui débarque à Bastia, à la rencontre d’un père originaire de Corse récemment disparu ; il espère recueillir la mémoire de Madeleine et Dévote, ses tantes, pour apprendre à mieux le connaître. Mais dès lors qu’il croise le chemin de ces deux figures aussi fantasques qu’attachantes, sa quête va rapidement prendre des allures de comédie méditerranéenne. À partir de là, c’est un festival de péripéties – fausses veuves de guerre, auto-stoppeuses suicidaires, conversations surréalistes et rebondissements improbables – qui s’enchaînent. À la manière d’un Peter Mayle décrivant sa Provence, Jean-Philippe Savignoni s’amuse ici avec un lot de clichés cocasses sur la Corse : les rites populaires, les spécialités culinaires, le culte des armes, les personnages hauts en couleur… tout y passe, non sans manquer d’autodérision. Mais derrière l’exagération, se dessine le regard tendre qui s’exprime, la caricature devenant le miroir souriant d’une identité insulaire toujours vivante.

Roman de mémoire mais aussi roman de fantaisie, Les Demoiselles de Bastia, nous fait ainsi rire autant qu’il nous émeut, célébrant les traditions, la famille et les petites folies du quotidien qui deviennent ici matière à littérature.

Derrière ses éclats de rire et ses rebondissements, ce premier roman qui respire la Méditerranée rappelle combien les histoires individuelles sont porteuses de mémoire collective.

Entretien avec l’auteur, Jean-Philippe Savignoni

Pouvez-vous vous présenter en quelques lignes ?

Je suis né en 1964 à Rodez en Aveyron, d’une mère originaire de Lorraine et d’un père né en 1923 en Corse à Pietra-di-Verde, en Castagniccia, une région historique baignée dans un océan de châtaigniers et infusé de fougères et de schiste, de traditions, de poésie et de foi.

J’ai longtemps fantasmé son île, mon père nous l’ayant peu racontée. Ses silences rendaient la Corse plus mystérieuse encore. Mon père était lui-même une île, pas toujours facile à aborder.

J’exerce depuis plus de 30 ans le passionnant métier de guide-conférencier ou plutôt de conteur du patrimoine. J’essaie de faire danser les ombres, vibrer les pierres pour ressentir le frisson de l’Histoire, la présence des absents. J’aime raconter et donner chair à la pierre.

Comment est né ce premier roman Les Demoiselles de Bastia ?

La Corse me manquait et avec elle mes tantes Madeleine et Dévote, rencontrées à la mort de mon père en 1989 ; contraintes d’abandonner leur Castagniccia natale pour cause de « méchante vieillesse » elles tournaient en rond dans un appartement du boulevard Gaudin à Bastia.

Leurs prénoms résonnaient en moi comme des personnages de roman et il suffisait de les regarder vivre pour en être convaincu, tantôt fausses veuves de guerre pour se ravitailler à l’épicerie militaire, auto-stoppeuses de choc au milieu du boulevard Paoli, championnes du monde de changement de conversation, et méfiantes avec les commerçants autant qu’avec le gaz, deux inventions pour elles « vouées au mal ! »

Je me souvenais de tout. L’écriture m’a permis de « revenir » dans leur appartement, de les faire revivre et peut-être d’élargir la famille en les faisant adopter par d’autres !

En quoi est-il nourri d’anecdotes familiales ? Comment se sont mêlées mémoire et fiction ?

Pendant près de dix ans je suis venu les écouter me raconter leur Corse et aussi l’enfance de mon père. Tout ceci constitue la chair de mon roman.

J’avais encore dans l’oreille le bruit de leur pas dans l’escalier, les réparties cinglantes de Dévote et la musique de la langue.

C’est en grande partie un roman autobiographique, j’ai inventé un crime dans leur immeuble pour les faire sortir de chez elles !

Vos héroïnes, Madeleine et Dévote, sont hautes en couleur. Existe-t-il de véritables « demoiselles » derrière elles ?

Madeleine et Dévote étaient dans la vraie vie comme dans mon roman, hautes en couleur, mais ce sont les couleurs d’origine ! Je n’en ai pas rajouté. J’ai même conservé leurs noms, prénoms et adresse.

Madeleine toujours enveloppée dans sa robe de chambre, été comme hiver et Dévote, engoncée dans une robe à fleurs et capable de redresser une fourchette en argent avec deux doigts. J’ai peu inventé, elles étaient comme ça ! La Corse est particulièrement riche en personnages forts et attachants.

Bastia et la Corse y occupent une place centrale. Que représente l’île aujourd’hui pour vous qui vivez en Aveyron ?

Je reviens chaque année en Corse, c’est très important pour moi. C’est un lien avec mon père, la famille. Il suffit que j’entende parler corse et mon cœur bat plus fort.

Avec le temps, l’île est devenue une personne et il est impossible de la quitter…

Bastia est une ville qui m’inspire particulièrement et puis évidemment la Castagniccia.

J’y viens avec mes enfants régulièrement, c’est la terre de leur grand-père qu’ils n’ont pas connu. Nous le cherchons ensemble. Je suis persuadé qu’il y est revenu sous une forme ou une autre, l’odeur de la népita sur les chemins de Pietra-di-Verde, un rayon vert au-dessus de la mer ou le cri d’un geai dans la châtaigneraie…

Qu’y a-t-il de très corse en vous ?

Question difficile ! La gravité, la susceptibilité, une certaine théâtralité au quotidien et une disposition à poétiser la nature et les êtres.

De manière générale, qu’est-ce qui vous incite à prendre la plume ?

J’écris pour raconter une histoire, une vie et convoquer les absents, les ombres. J’écris aussi pour tenter d’ensoleiller le quotidien. Les mots tiennent chaud dans les froides morsures de la solitude. Je n’ai trouvé que ça pour lutter contre la déforestation de la mémoire et conserver un peu de blanc de la neige…

Quels sont les auteurs ou des lectures qui vous inspirent ?

J’ai une passion pour Marcel Pagnol, Jean Giono, Marie Susini, René Frégni, Sylvain Tesson ou Jean-Claude Rogliano. Des auteurs qui écrivent dans un rayon de soleil mais sous un ciel d’orage…

Après ce premier roman, avez-vous déjà d’autres projets littéraires en préparation ?

En fait Les Demoiselles de Bastia est mon quinzième livre.

Je suis auteur et co-auteur d’une dizaine d’ouvrages d’histoire édités principalement chez De Borée depuis 1999 : L’abécédaire amoureux de la cathédrale Notre-Dame de Rodez, L’énigme de l’auberge rouge, Les grandes affaires criminelles

Je termine un ouvrage intitulé Je vous écris depuis l’enfance, un recueil de récits racontant avec tendresse et humour les aventures d’un enfant que je connais bien. Si un éditeur corse est intéressé !

Sinon on me demande déjà la suite des aventures de Madeleine et Dévote. Formidable ! Je les verrais bien mettre la pagaille sur le continent ! Je rêve d’une adaptation des Demoiselles de Bastia en bande dessinée ou pourquoi pas au cinéma !

Les commentaires sont fermés, mais trackbacks Et les pingbacks sont ouverts.