L’année écoulée dans le halo du souvenir 

Au hasard du calendrier les douze mois égrenèrent des épisodes variés. Certains anecdotiques, d’autres abrupts, parfois douloureux. De la politique à la culture en passant par le social ou la spirale de la violence, l’année qui cède sa place fut marquée au fer d’évènements, dont certains enrichiront vraisemblablement une étape de la mémoire collective.

Par Jean Poletti

Relater les faits marquants d’une année qui tire sa révérence implique nécessairement d’opérer une sélection tant l’exhaustivité s’avère impossible gageure. Elle privilégie les plus probants, avec le danger de choix imparfaits pour ne pas dire subjectifs. Qu’importe après tout. L’essentiel étant de faire rejaillir, au gré d’un rappel, ce qui au fil des cinquante-deux semaines tend à verser dans l’oubli. 

L’énumération linéaire serait en l’occurrence peu propice à relier des séquences espacées mais aux similitudes avérées. Elle occulterait aussi des fils rouges, dont l’analyse occultant l’espace et le temps, forment une continuité qui sont à postériori les révélateurs d’espoirs. De doutes, d’instants ludiques ou plus sombres. Bref, tout ce que l’on nomme la permanence d’une société. 

Dans cet amoncellement de faits, figure en bonne place le sacro-saint débat sur l’autonomie. Liens rompus puis retissés entre l’île et Paris. Dissensions au sein des groupes nationalistes de l’Assemblée et trouble au niveau d’une droite d’abord réfractaire, puis traversée par une fracture. Des libéraux campant sur des positions initiales, d’autres acceptant l’idée d’une avancée institutionnelle. Simple velléités éphémères ou antagonisme profond ? Sauf à être augure, nul ne peut en définir l’épilogue. En toute hypothèse, force est d’admettre que les positions évolutionnistes notamment officialisées par Laurent Marcangeli et Valérie Bozzi ne provoquèrent pas d’applaudissements dans le camp du refus incarné par Jean-Martin Mondoloni, préférant selon sa formule adapter la loi plutôt qu’en adopter une nouvelle. 

L’histoire bégaie 

Ceux qui daignent scruter le passé observeront que lors du statut Joxe, l’échiquier politique fut traversé par une zone de turbulences similaire. Paul Patriarche, José Rossi et d’autres représentants de la droite adhérèrent au processus, au grand dam de ceux qui voyaient un toboggan vers l’indépendance. Et l’on se souvient même du duel familial entre le sénateur Charles Ornano, réfractaire à toute avancée et son neveu Marc qui était favorable. Dans le même temps, le FLNC alors uni affichait sans ambages son « non à la troisième voix », qu’il jugeait trop timorée. 

Est-ce à dire que le temps qui s’écoule n’altère pas des réactions similaires face à des dossiers récurrents ? Cela serait allé trop vite en besogne. L’échiquier électoral a changé de nature. Gilles Simeoni est majoritaire, Darmanin est devenu le missi dominici du président de la République. Bref, les cartes semblent rebattues, même si plane le véto des parlementaires qui se réuniront ultérieurement en congrès sous les dorures d’un château. 

Colloque contre la misère 

Mais si Versailles m’était conté n’est pas encore de saison, dans l’immédiat il est des irruptions qui embuent les yeux. L’inexorable progression de la précarité se veut poignant témoignage. Elle fut soulignée par des Assises initiées par le docteur François Pernin, et se voulait cri de révolte contre cette spirale qui cloue au pilori près du tiers de notre population. Dans le même temps, les organismes caritatifs lancèrent des appels à l’aide tant leur action se trouvait noyée sous le flot des demandes. Et comme si cela ne suffisait pas le Secours populaire de Bastia fut victime de malfrats sans scrupules qui endommagèrent les canalisations provoquant une inondation des locaux. Tous les dons entreposés détruits. Et crève-cœur s’il en est, de nombreux enfants privés du moindre jouet le soir de Noël.

D’un sujet l’autre, voici que se cristallisa avec force et vigueur la revendication d’un Centre hospitalier universitaire. Le sujet fut débattu dans l’hémicycle territorial soulignant une nouvelle fois que la Corse, au mépris de la réglementation, était la seule et unique région de l’Hexagone et d’Outre-Mer à être encore dépourvue d’un tel établissement. Lettre aux ministres concernés, récriminations dans les allées du pouvoir, insistance de nombreux praticiens insulaires ou continentaux. Rien n’y fit. Les autorités décisionnelles amputant sans autre forme de procès la légitime requête avec le scalpel de l’indifférence coupable. Tout comme la sourde oreille faite aux besoins d’un nouvel hôpital à Bastia. 

Le temps des voyous

Mais ces plaies provoquées par d’autres ne doivent pas occulter celles que l’on s’inflige sous le masque de la revendication. Cela concerne les mairies, proies des flammes au prétexte de lutter contre la spéculation. Et dans ce droit fil, des engins de chantiers transformés en amas fumants. Mais aussi les incendies qui ciblèrent des restaurants dans le cadre de rivalités commerciales, à moins qu’il ne soit agi de tentatives d’extorsions de fonds.

Cette délinquance qui rejoint parfois le grand banditisme est devenue tellement prégnante que le tabou se fissure. Et des réactions se manifestent. Ainsi, aux Cannes à Ajaccio une riposte populaire et spontanée eut pour slogan « A droga fora ». Elle s’organisa en réaction à l’interdiction signifiée à des employés municipaux par des dealers de pénétrer dans ce quartier, qu’ils considéraient comme leur territoire. 

Dans une veine similaire, il convient de citer la lutte citoyenne des collectifs Massimu Susini et de A Maffia Nò A Vita Iè qui multiplièrent les conférences de presse et élaborations de documents afin que puissance étatique, classe politique et habitants ne se taisent plus devant la prégnance du milieu. Il est vrai qu’un rapport des services de police recensait pas moins d’une cinquantaine de bandes de voyous à travers l’île. Cela remonta jusqu’à l’Élysée qui afficha sa volonté de les éradiquer. 

Propos d’estrade ou véritable stratégie d’action ? La population semblait sceptique, tant elle a soupé de ces annonces sans lendemain. Une impression maintes fois corroborée par des analyses surprenantes dans les sphères du pouvoir. Comme cette réponse ministérielle au Palais Bourbon à la question de Paul-André Colombani. Le député de Porto-Vecchio qui évoquait la situation mafieuse eut comme explication surréaliste le Plan exceptionnel d’investissement comme antidote aux dérives. 

Frapper au portefeuille

Il n’empêche durant l’année écoulée la parole se structura devant l’ampleur d’une emprise de ceux qui contrairement à leurs aînés ont décidé dans un riaquistu peu louable de vivre et braquer au pays. Mais rares sont ceux qui croient que l’ère des truands cessera comme par magie. Le scepticisme est nourri par la mythique Brise de Mer. Elle régna durant trois décennies sur le banditisme national et insulaire et ne s’étiola qu’à cause de luttes internes. Durant cette longue période elle put s’adonner à ses coupables agissements sans redouter, à de rares exceptions près, le libecciu de la justice. Alors ici d’aucuns répétèrent à l’envi qu’il convenait d’adopter la loi italienne concernant les repentis. D’autres de frapper au portefeuille. À cet égard, ils furent partiellement entendus puisque récemment les députés adoptèrent à l’unanimité la confiscation obligatoire des biens mafieux. Un dispositif particulièrement attendu dans l’île. Il permit aux collectifs d’affirmer en chœur « désormais la brèche est ouverte et le temps du déni est terminé ». 

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