La taxe de la discorde
Promis juré main sur le cœur. Le gouvernent n’alourdirait pas la pression fiscale. Serment d’ivrogne. Dans une absolue discrétion, un halo de secret, voilà que la taxe d’habitation fait un réel bond. Plus de la moitié des propriétaires insulaires est concerné.
Par Jean Poletti
La ministre du Budget fait profil bas. Matignon aussi. Dans une touchante unanimité, ils disent ne pas en être à l’origine. Il s’agit à leurs yeux d’un réajustement administratif décidé par les hauts fonctionnaires de Bercy, sans que le pouvoir politique n’ait été informé. Una storia dopu cena, comme on dirait dans nos chaumières. À qui fera-t-on croire de telle sornettes. Comme aurait dit Audiard « faut pas prendre les enfants du bon dieu pour des canards sauvages ». Cette défausse s’apparente à un courage consistant à faire porter le chapeau à d’autres, afin de se dédouaner à peu de frais devant l’opinion publique. Ce gouvernement, terrassé par les sondages, a désormais peur de son ombre au point de jouer la carte éculée de l’innocence pour s’exonérer de mesures qui fâchent. Il est vrai que les attendus pour expliquer ce renchérissement de la taxe d’habitation vaut son pesant d’or. Il prend en compte le éléments de confort. Le béotien pourrait penser à quelques améliorations luxueuses ajoutant le superflu au nécessaire. Nullement sont retenus l’eau courante, l’électricité, la baignoire, la douche, les toilettes, le lavabo et l’électricité. Dans ce droit fil, il faudrait croire que l’imposition précédente concernait les logements utilisant la chandelle pour s’éclairer, le seau pour faire ses besoins et l’eau de fontaine ou les bains municipaux pour faire sa toilette. Dans sa grande mansuétude l’argentier de l’État autorisera le particulier à plaider sa cause s’il considère être injustement assujetti. Toutefois la quasi-totalité des contribuables ne sera pas alertée du surcoût, seuls ceux qui connaîtront les plus grandes variations auront droit à l’information.
L’affaire se corse
Au niveau national près de huit millions de foyers concernés. Tandis qu’ils seront soixante pour cent en Haute-Corse et quarante pour cent en Corse-du-Sud. Un pourcentage bien plus élevé que dans l’Hexagone. C’est là que le bât blesse. Pourquoi ici plus qu’ailleurs ? Est-ce à dire que chez nous par une mystérieuse alchimie les logements se seraient modernisés avec une frénésie inégalée ? Certes diront les statisticiens globalement la hausse oscillera autour de soixante-dix euros. Mais chez nous, elle pourrait être bien plus conséquente et l’impact plus important.
C’est en tout cas la certitude de Paul-André Colombani. Il ne décolère pas. Dans un courrier adressé à la ministre des Comptes publics, il demande instamment une révision rapide du dispositif afin que soit évitée « une augmentation massive de la taxe foncière en Corse ». Amélie de Montchalin, qui court tous les plateaux de télévision et fait assaut médiatique pour vanter sa doctrine, est en l’occurrence muette comme une carpe. Ignorant superbement les doléances du député de Porto-Vecchio. Il ne baisse pas pour autant les bras. Pugnace comme de coutume, il explicite par missive officielle et sur les réseaux sociaux sa préoccupation tant l’île est clouée au pilori de la fragilité économique. Et de détailler en substance un pouvoir d’achat des ménages bien en deçà de la moyenne nationale, tandis que le coût de la vie est le plus élevé de la métropole.
Fourches caudines
À ce tableau peu reluisant s’ajoute et se superpose une inflation qui se cristallise et une hausse des tarifs de l’énergie. Par ailleurs, il prend bien soin d’inclure dans sa liste de considérations le parc immobilier ancien et hétérogène. Une réalité qui s’accompagne naturellement de rénovations factuelles, successives, hors petites touches, au gré des possibilités pécuniaires et qui sont parfois sans réactualisations cadastrales. Autant d’éléments qui complexifient l’application du nouveau barème. Pourtant selon les directives l’opération cible sans nuances aussi bien les logements luxueux qu’ordinaires. Ces derniers sont donc concernés. Pourtant même les plus modestes possèdent les élémentaires moyens de confort. Qu’importe. Nulle différentiation n’est de mise. Eux aussi passeront sous les fourches caudines de la sacro-sainte revalorisation. Concrètement, et sans alourdir le propos, force est de reconnaître que même des domiciles modestes occupés par des ménages aux revenus faibles pourraient être classés dans des catégories supérieures.
Les maires ignorés
Pour le parlementaire qui mène la charge, la méthode de calcul est erronée, globalisante et forgée dans l’aveuglement. Et d’enfoncer le clou. « Une telle hausse serait disproportionnée pour ceux qui sont loin de posséder un patrimoine de nantis. » Bref, « Elle serait injuste et socialement intenable. »
En incidence, chacun aura eu tout loisir de remarquer qu’une telle décision, s’apparentant au fait du prince, ne sollicita, fut-ce pour avis, les maires et services déconcentrés pourtant immergés dans les réalités locales. Stéphane Lecornu aurait-il brusquement oublié que dans un récent passé il était premier magistrat municipal ? Chez nous, on dit u ti scurda di a filetta ! Un proverbe qu’on lui transmet volontiers en espérant qu’il en fasse bon usage…

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