La solidarité à l’assaut de la pauvreté
SOCIAL
L’exemple de l’Associu A Salvezza

Triste constat s’il en est. La Corse ploie plus que toute autre région de l’Hexagone sous le joug de la précarité. Elle est aussi celle où le coût de la vie et les inégalités sociales sont les plus élevés. Une situation qui s’aggrave au fil du temps et que certains tentent de réduire par l’entraide à l’image de l’association A Salvezza que préside Mighé Baltolu et bien d’autres.
Par Jean Poletti
Ces actions inscrites dans le bénévolat apportent à l’évidence un peu de baume au cœur de maints démunis. Mais la lucidité commande à dire que malgré leur importance, elles ne sont que palliatifs factuels. Malgré leur travail qu’il convient de saluer, il leur est impossible d’inverser la tendance générale, tant la vague grossissante de la misère frappe jeunes et anciens, villes et villages. Voilà qui pose en filigrane la lancinante interrogation d’une île où un habitant sur cinq vit sous le seuil du minimum vital.
Désormais cette marginalité économique se répand à bas bruit, tant ceux qui en sont victimes rechignent souvent à se plaindre ou s’en ouvrir à ceux qui pourraient les soulager, fut-ce momentanément. Aussi derrière les froides statistiques se dissimulent des drames humains qui occupent toute la panoplie des injustes déboires. Le retraité pauvre qui doit choisir entre se nourrir ou se chauffer. Le chômeur qui attend l’ouverture du Secours populaire pour bénéficier du café matinal ou de dons d’habits usagés. L’étudiant sans le sou qui se tourne vers l’Aiutu estudientinu implantée sur le campus afin d’obtenir des produits de première nécessité. Certains dorment même dans des voitures et se rendent à leurs cours avec les ailes de l’entrain coupées par ce triste sort. Des efforts sont engagés, notamment par le Crous et les aides financières de l’Assemblée territoriale et l’attention dont fait preuve le président Dominique Federici. Mais repas gratuits et autres mesures s’avèrent partielles au regard des besoins qui se propagent sur le terreau du malheur. À cet égard qui peut soutenir que l’égalité des chances n’est pas foulée aux pieds chez ces jeunes dont le désir d’apprendre le dispute à la nécessité de se procurer les viatiques essentiels. Certains de guerre lasse abandonnent leurs études brisant ainsi leurs capacités à obtenir les diplômes, ouvrant malgré la période à une vie active valorisante.
U techju è u famidu
Ne versons pas dans le misérabilisme. Pour autant occulter que cette maléfique spirale qui devient fait sociétal ne peut se satisfaire que les aides étatiques ou élans généreux s’imposent indéfiniment comme des variables d’ajustement. C’est là sans doute que le bât blesse. U techju un crede u famitu, dit le proverbe. Et en ignorant tout précaution sémantique, osons dire de manière lapidaire que trop souvent encore ceux qui donnent de leur temps et apportent du réconfort moral et matériel sont encore des exceptions qui vérifient la règle.
Dès lors la réflexion devient plus politique. Elle quitte les domaines de la générosité pour affleurer vers celui du questionnement qui doit interpeller la conscience collective. Il tient en peu de mots. Peut-on admettre que dans une communauté de trois-cent-mille âmes, l’exclusion sociale soit si importante. D’autant que notre île recèle de maintes potentialités qui demeurent dans une profonde léthargie. Comment se satisfaire en incidence que parmi une population active n’excédant pas quatre-vingt-mille personnes, trop soient contraints de pousser les portes des agences locales de France Travail dans l’espoir d’un emploi.
Sombres nuages
Régulièrement des données officielles sont publiées. Elles témoignent d’une lancinante répétition sur un chômage qui s’incruste et s’amplifie que ne vient même plus atténuer la fameuse équation des variations saisonnières. Loin de vouloir remuer le couteau dans la plaie, il convient de souligner que dans une phraséologie constante des organismes tentent de mettre en exergue la moindre embellie d’un secteur. Et en filigrane de suggérer que malgré tout le bout du tunnel n’est plus une utopie. Ces litotes sont ressassées depuis belle lurette mais le béotien a beau déciller les yeux il ne décèle pas l’esquisse de l’ombre d’une éclaircie. Pis, il constate aisément que de lourds nuages noirs bordent le futur. Il n’est pour s’en rendre pleinement compte que de se remémorer les affirmations des présidents des tribunaux de commerce pour lesquels faillites et redressements judiciaires annoncent un point de non-retour. D’ailleurs les nombreux commerces aux rideaux définitivement baissés sont les silencieux témoins du profond marasme ambiant. Doit-on aussi évoquer les profondes difficultés de la corporation du Bâtiment et des travaux publics, tandis que le secteur touristique aligne des saisons en demi-teinte. Tous deux sont faut-il le rappeler, les principaux piliers du produit intérieur brut insulaire. En s’inscrivant dans le repli, ils entraînent inévitablement l’essentiel de l’activité, directe ou induite, de l’île. Avec en conséquence un rétrécissement supplémentaire de l’emploi déjà voué à la portion congrue.
Mission sacrée
À l’impossible, nul n’est tenu ? Sans doute. Mais il est des personnes animées par l’altruisme qui font œuvre citoyenne. Elles se regroupent sous l’étendard du bénévolat et agissent sans autre esprit que d’éclairer d’un pâle sourire ceux qui sont laissés sur le bord de la route. Secours populaire, Secours catholique, Restos du Cœur, mènent d’incessantes campagnes souvent épaulés par des maraîchers et commerçants. Sans verser dans l’énumération exhaustive, il en est une qui illustre mieux que longues digressions cet engagement salutaire. Il s’agit de l’Associu A Salvezza. « Les besoins sont énormes », confie simplement son président. Sans grandiloquence, mais avec humilité Mighé Baltolu et son groupe multiplient les actions qui atténuent le malheur, l’indigence et répondent autant que faire se peut aux appels douloureux. L’été dernier, distributions aux personnes âgées de fruits et légumes avec l’aide d’un producteur dans le Fiumorbu et les maisons de retraite. Dons de climatiseurs portables à l’hôpital de Bastia. Ou encore de téléviseurs à la Casa Serena de Propriano. En corollaire de nombreuses soirées sont organisées au profit des enfants malades, et en collaboration avec le lycée agricole de Sartène du bois de chauffage pour des « vieux » dans l’impossibilité pécuniaire de le payer. Ici, un frigo à une dame isolée, là une réfection d’une toiture menaçant de s’effondrer. Et tout récemment du matériel médical dont des fauteuils roulants offerts à des établissements accueillant des patients dépendants.
Au Maroc et à Mayotte
Pour autant A Salvezza sait aussi regarder au-delà et apporter sa contribution aux populations dans le besoin. Ainsi, elle s’impliqua dans les secours aux enfants du Maroc, frappé par un tremblement de terre, qui fit on le sait de nombreuses victimes. Une action d’ailleurs saluée par Najoua El Berrak, alors consule générale en poste à Bastia. Il convient également d’indiquer la collecte de matériels scolaires pour des élèves de Mayotte. Voilà campée à grands traits l’investissement concret d’une petite équipe qui contre vents et marées se dresse contre le fatalisme et réfute la moindre idée de demeurer stoïque devant ce mal insidieux qui sacrifie trop de gens sur un inique autel.
Au-delà de ce panel de bienfaisants soutiens qui est le lot quotidien de A Salvezza et autres instances similaires, perce et se dessine un incessant appel au plus grand nombre à rejoindre un noble combat pétri d’humanité. Une sorte d’union sacrée supérieure à bien d’autres et qui devrait happer dans un même esprit édiles et anonymes.
Bien sûr, l’épilogue heureux passe inévitablement par une prise en compte plus tonique de l’autorité publique. Car trop souvent de l’argent est trouvé pour des subventions peu probantes, pour ne pas dire des cadeaux, alors que la pauvreté étend son règne et provoque des ravages que subissent en silence ceux qui sont pris dans ses filets et ne peuvent s’en dépêtrer.
Les pavés de la détresse
Dans les deux principales villes de Corse, quelque deux mille manifestants répondirent à l’appel national de l’intersyndicale. Des propos à l’emporte-pièce éclairaient avec acuité la détresse. Tel dit désabusé « Je suis chômeur depuis six mois et malgré mes nombreuses démarches, je ne parviens pas à retrouver un emploi. Après avoir payé mon loyer, il me reste trop peu pour survivre. » Comme en écho un autre affirme « Je fais des petits boulots à droite et à gauche, et désormais je me rends au Secours populaire obtenir de la nourriture. » Dans ce flot de témoignages affleure un sentiment mêlant résignation et colère. « Je suis jeune, j’ai effectué plusieurs travaux comme intérimaire, mais depuis plus d’un an plus rien. Mes parents qui ont une modeste retraite m’aident comme ils peuvent. »
Ces témoignages relèvent de la nouveauté. Voilà peu encore, un sentiment de honte ou de dignité interdisait ces propos de désespoir en public. Mais les digues de cet aspect psychologique se sont rompues tant les besoins sont criants.
Il serait temps que s’esquisse du Cap à Bonifacio, dans le rural et le bord de mer, un renouveau qui brise à tout le moins le fait d’être la région la plus pauvre, alors que le coût de la vie est le plus élevé. Une double peine qui provoque tant de malheurs, alors que l’économie chez nous plus qu’ailleurs est en berne. Là est le goulet d’étranglement. Un marché de l’emploi se réduisant comme peau de chagrin, des salaires modestes, un chômage endémique, une génération inquiète songeant à l’exode, des travailleurs et retraités tutoyant la pauvreté.
Priorité régionale
Chi fà ? la solution ne pourra éclore d’un coup de baguette magique. Mais rien n’empêche qu’une telle problématique devienne une authentique priorité régionale, puisée dans une unanime vision d’essor partagé. Ainsi progressivement n’aura plus droit de cité la strophe de Victor Hugo « Voici venir l’hiver, terreur des pauvres gens. »
Les commentaires sont fermés, mais trackbacks Et les pingbacks sont ouverts.