La prédiction sheinoise de Napoléon

Edito

Par Jean Poletti

Bonaparte dans une fulgurance dont il était coutumier avait averti « Laissez dormir la Chine car lorsqu’elle s’éveillera le monde entier tremblera. » Comme en écho dans une sorte de plagiat Alain Peyrefitte publiait Quand la Chine s’éveillera… le monde tremblera.Visionnaire, l’ancien ministre de la Justice de Giscard d’Estaing ? Sans doute. L’ouvrage alliant réalités de l’époque et plausibles perspectives expansionnistes résonnait comme un terrible avertissement. Mais ces deux augures furent ignorés, emportés par l’image idyllique renvoyée par l’empire du milieu. Certes elle fut légitimement écornée par le soulèvement de la jeunesse place Tian’anmen. Bien sûr des voix s’élevèrent pour critiquer une démocratie étouffée. Mais rares sont ceux qui décelèrent une stratégie qui avançait masquée pour s’imposer économiquement en Occident et ailleurs. Réveil brutal. Évidence cruelle. Les produits made in China déferlent sur les marchés de la consommation, des technologies ou de l’innovation. L’atout majeur de cette insolente réussite ? Des prix tellement attractifs qu’ils écrasent la concurrence. Voitures, téléphonie, électroménager, micro-processeurs, éoliennes, panneaux solaires, autant de domaines qui s’apparentent à une grande braderie. Dernier avatar en date l’offensive de Shein. La boutique en ligne s’implante au cœur de Paris, hébergée dans les murs du BHV, avant d’essaimer dans d’autres villes de France. Rien ne semblait arrêter cette invasion, si ce n’est la découverte de cette ignoble vente sur catalogue de poupées sexuelles, de poings américains et autres articles de défense prohibés. Tollé général. L’affaire devint politique. Refus de boire l’alcool de riz jusqu’à la lie. La muraille de Shein trembla et pour éviter d’irréparables dégâts, leurs dirigeants jurèrent main sur le cœur qu’ils allaient se conformer à la règlementation sans l’esquisse de l’ombre d’un atermoiement. Mais l’avocat du diable ne peut s’empêcher de penser que cette levée de boucliers, à l’évidence louable, dissimule une occasion providentielle pour tenter de rogner les ailes de ce péril jaune qui pénalise grandement maintes activités hexagonales, dont celle de l’habillement traditionnel qui file du mauvais coton. Comme par enchantement des bonnes âmes font chorus pour dénoncer les conditions de travail et la main-d’œuvre taillable et corvéable employée dans les usines de Pékin, Shanghai, Canton et bien d’autres. Des salaires modiques qui se répercutent logiquement sur les étiquettes de vente. Osons dire que même si mieux vaut maintenant que jamais, l’indignation est bien tardive. Voilà peu encore chefs d’entreprise et collectivités voyaient d’un bon œil des unités chinoises s’ouvrir sur leur sol. Tandis que d’autres dans un système de vases communicants s’installaient au pays que gère d’une main de fer Xi Jinping. Qui se préoccupait alors des flagrants manquements aux droits de l’Homme et aux entorses aux lois du commerce. À l’image de cet empereur du luxe français qui faisait fabriquer ses produits haut de gamme par des Chinois dans des ateliers italiens se riant de la législation. Nul alors n’avait mauvaise conscience mais se rendait au nom du capitalisme à tout crin complice de pratiques initiées au royaume de Confucius qui doit se retourner dans sa tombe. Au-delà de ces considérations, il est un fait majeur, incontournable, qui paraît mis sous l’éteignoir. En effet, si adolescents et adultes s’orientent vers des achats moins onéreux c’est simplement parce qu’ils n’ont pas les moyens financiers de payer plus cher. Voilà la réalité. De bons conseilleurs ont beau dire que la qualité est moindre et que les confections sont élaborées par des cohortes s’apparentant à de l’esclavage moderne, nécessité fait malheureusement loi. Pourquoi se priver d’un jean ou blouson sans trop bourse délier, alors qu’il est affiché dix fois plus cher en boutique ? Si ce que l’on nomme la fast fashion existe, c’est qu’elle a des adeptes dont les portefeuilles ne sont pas aussi opulents que souhaités. À l’évidence, pousser la porte d’établissements aux étals haut de gamme ne leur est pas pécuniairement permis. Tant pis s’ils ne portent pas d’habits griffés. En désespoir de cause, ils prennent l’habitude de s’habiller autrement. Réaction similaire pour la ménagère ou le foyer souhaitant s’équiper en énergie solaire, ou l’individu en quête d’un portable, d’une télévision, d’un véhicule. Quel que soit le domaine, les Chinois proposent un large éventail d’offres à des coûts attractifs. La Corse n’échappe pas à ce phénomène. Sans qu’il faille puiser dans les statistiques nul doute que les achats par correspondance sont particulièrement prisés, alors que les boutiques peinent à survivre. Quand elles ne baissent pas définitivement leurs rideaux. En osant l’outrance et faisant fi de toute considération morale, nombreux pensent, sans le crier sous les toits, que si Shein n’existait pas il faudrait l’inventer. Et pour finir sur une note cocasse, rappelons que c’est un ancien ministre de l’Intérieur qui fut un temps son porte-parole pour la France. Il est aujourd’hui président du conseil d’administration du tunnel routier de Fréjus. Bref, on est loin d’en voir le bout…

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