Depuis l’annonce de la venue du pape François, c’est une Corse fébrile qui s’active pour faire de cet événement une réussite. Le temps d’une journée, l’île sera l’épicentre du catholicisme et la juste illustration de ce que peut être la piété populaire en Méditerranée. Cette religiosité vive et ouverte fera d’ailleurs l’objet d’un colloque organisé par l’Église de Corse les 14 et 15 décembre à Ajaccio.
Par Caroline Ettori
Des processions de la Semaine Sainte en Espagne au culte de Saint-Antoine de Padoue en passant par la Madonuccia à Ajaccio, les rituels de protection ou les feux de la Saint-Jean, toutes ces manifestations, ces pratiques ont en commun de réunir une communauté de fidèles plus large que celle qui se retrouve généralement lors des messes dominicales. Il s’agit là de quelques exemples de piété et de religiosité populaires. Ces termes désignent l’ensemble des pratiques de dévotion religieuse qui émergent de la culture et de la foi du peuple, en dehors de la liturgie officielle de l’Église. Ces expressions spirituelles, souvent transmises de génération en génération, reflètent la manière dont les croyants intègrent leur foi dans leur vie quotidienne. C’est ainsi que nous retrouvons des processions, pèlerinages, prières spécifiques, des fêtes religieuses, et des dévotions particulières à des saints ou des figures mariales.
Un colloque méditerranéen
La piété populaire est reconnue par l’Église catholique comme une voie légitime de foi. Bien loin de disparaître, elle témoigne d’une spiritualité sensible et directe où Dieu n’est pas intellectualisé à outrance.
Le week-end du 14 et 15 décembre, l’Église de Corse consacrera un colloque à cette façon de vivre sa foi. L’événement animé par l’abbé Louis El Rahi croisera les réflexions de personnalités religieuses et laïques sur les différents aspects de la religiosité populaire en Méditerranée. Monseigneur Brouwet, évêque de Nîmes interviendra sur l’évangélisation par les traditions populaires alors qu’Anghjulina Antonetti de l’université de Corse abordera la religiosité populaire et la laïcité en Corse. La Sardaigne sera représentée par l’archevêque d’Oristano, monseigneur Carboni, l’Espagne par monseigneur Ferrer, vicaire général de Tolède et la Sicile par monseigneur Peri, évêque de Caltagirone. Par ailleurs, Serena Talamoni reviendra sur le sacré dans l’espace politique corse alors que Jean-Charles Adami évoquera son engagement dans une confrérie. Les enseignements de ce colloque pourraient être exposés par le Saint-Père en personne le dimanche 15. Un sujet qu’il affectionne particulièrement, désignant la piété populaire comme le « système immunitaire de l’Église » pour reprendre l’expression d’un évêque italien selon le quotidien La Croix.
Un invité très attendu
Si cela venait à se confirmer, cette intervention se ferait dans le cadre d’une visite qualifiée d’«incroyable» par Jean-Michel Bisgambiglia, prieur de la cunfraternita di San Larenzu. Très impliqué dans la confrérie de Peri, le jeune homme ne cache pas son enthousiasme et tente une explication à cette venue surprise mais pas forcément inespérée. « Nous savons que la Corse et le Vatican ont une histoire commune. Plus récemment, lors de la nomination du cardinal Bustillo en septembre 2023, plus de 1 000 Corses avaient fait le déplacement place Saint-Pierre pour assister à l’événement. La ferveur et l’euphorie étaient palpables et ne sont pas passées inaperçues. Cette année au mois de mars, monseigneur Edgar Peña Parra, substitut de la secrétairerie d’État du Vatican a été impressionné par la procession de la Madonuccia à Ajaccio. Enfin, on ne peut pas nier le travail formidable de l’Église de Corse emmenée par le cardinal Bustillo. Sans oublier que le pape François a déjà manifesté son attachement à la Méditerranée. Il reconnaît notre spécificité et c’est une suite logique des rencontres qu’il a initiées avec les peuples de la région. »
Les confréries : une mission spirituelle et sociale
En Corse, la piété populaire trouve l’une de ses expressions les plus fortes à travers les confréries, institutions profondément ancrées dans le patrimoine social, culturel et spirituel de l’île. Ces associations de laïcs, aux origines souvent très anciennes, incarnent à la fois une double vocation religieuse et communautaire. Selon Jean-Michel Bisgambiglia : « Elles réunissent les jeunes et les anciens, les valides et les malades, autour d’un même idéal : être présent les uns pour les autres, maintenir le lien social dans une société marquée par l’attachement à ses traditions. On a besoin de se rappeler d’où l’on vient, qui nous sommes et où on va. »
Les confréries sont des piliers de la solidarité locale, poursuivant une tradition de secours mutuel. « Hier, elles soutenaient les populations frappées par des crises comme la peste ou la guerre. Aujourd’hui, elles organisent des collectes de denrées pour les plus démunis, les étudiants ou apportent un soutien direct aux familles lors d’événements majeurs comme des funérailles. » Cette vocation d’entraide peut également s’étendre au-delà des frontières de l’île avec des actions humanitaires, comme celles en faveur du Liban lors de la terrible explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020.
Un héritage vivant à transmettre
Relancée en 2004, l’origine de la cunfraternita remonte au XVe siècle sous l’ère franciscaine. Elle portait alors le nom de Santa Croce. C’est en s’intéressant à l’histoire du village, à chercher des moyens de le redynamiser qu’un petit groupe de fidèles a ravivé cette tradition. « Les confréries en Corse jouent un rôle pivot dans la vie religieuse et sociale. » Elles organisent des moments de prières, des processions et prennent en charge différents temps religieux des chemins de croix aux obsèques. Les confréries allègent également les tâches des prêtres, permettant à ces derniers de se concentrer sur l’accompagnement spirituel des paroissiens. Elles assurent d’ailleurs le lien entre les prêtres et les fidèles.
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