Jean-Pierre Lang – De l’ombre à la légende
Un demi-siècle de création salué par la SACEM

Photographies Michel Tomasi
« J’ai vécu ma vie en essayant de donner des chansons à des interprètes pour qu’ils survivent, et moi, je survivais derrière eux, dans l’ombre. » Cette phrase résume à elle seule l’humilité et la force tranquille de Jean-Pierre Lang, auteur de quelques-uns des plus grands succès de la chanson française comme « Les Corons » ou « Elle est d’ailleurs », pour Pierre Bachelet, « D’amour ou d’amitié » pour Céline Dion, ou encore « Parlez-moi de lui » pour Nicole Croisille, qui n’en sont qu’un simple aperçu ! Tout juste honoré par la SACEM (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique) du titre de sociétaire définitif à l’occasion de ses cinquante ans de sociétariat, il voit ainsi son oeuvre couronnée. Une distinction rare, symbole d’un demi siecle de créations majeures qui ont traversé le temps et d’un engagement indéfectible pour la chanson française.
Portrait
Par Karine Casalta
Connu pour être l’auteur de quelques-uns des plus grands succès populaires des dernières décennies, Jean-Pierre Lang n’est pas seulement un faiseur de succès, il est en effet aussi un ardent défenseur du métier d’auteur et de compositeur, et s’est longtemps battu pour la chanson française. Marqué par son expérience du Brésil, où la radio diffuse 70% de musique locale, favorisant ainsi l’émergence de talents nationaux, il a largement œuvré pour l’instauration de quotas de diffusion en France. « En France, j’entendais surtout de l’anglais ! » explique-t-il, indigné par cet effacement progressif. À la SACEM, où il a siégé pendant de nombreuses années et présidé la commission des variétés, il s’est employé sans relâche à la reconnaissance du métier d’auteur-compositeur et à la formation des jeunes auteurs : « J’avais proposé de créer un Studio des variétés pour apprendre à écrire pour les voix ; et je suis heureux de voir que cette idée a été reprise aujourd’hui, avec des organismes créés pour mettre en valeur la compétence de l’auteur et du compositeur… »
Un fils de la musique
Derrière ce parcours institutionnel se cache un homme de musique, habité par le goût des mots et des voyages. Né à Neuilly-sur-Seine en 1936, Jean-Pierre Lang a grandi entre un père officier de marine et pilote d’essai au talent polymorphe, et une mère originaire de Sari-d’Orcino, dans un univers où la musique règne en maître. « Mon père parlait latin comme je vous parle français, il était pilote d’essai, premier prix de violon et de chant, et même lauréat du concours des maîtres du chant ! Un homme bouleversant de talents », raconte-t-il avec un mélange d’admiration et de lucidité. « Donc je suis né avec Beethoven, Grieg, Mozart, chantés et joués au piano et au violon, par mon père, poursuit-il, avouant aussi qu’être le fils d’un génie n’était pas toujours chose facile. » Jusqu’au jour où, osant chanter une de ses premières compositions, inspirée par la mort de Mermoz, il fait naître une larme dans les yeux de ce père si exigeant et grand ami de l’aviateur. Ce jour-là, il découvre alors qu’il peut lui aussi toucher par la chanson. « Je me suis dit alors que j’avais peut-être là un pouvoir de communication, quelque chose passait. » La graine de l’auteur-compositeur était plantée !
Après une enfance passée en France pour grande partie dans la région de la Sarre où son père supervisait la reconstruction d’une mine, il débarque à 15 ans au Brésil où la famille s’installe, quand ce dernier est chargé d’y relancer une usine en ruine. Jean-Pierre y obtient son baccalauréat et s’engage alors dans des études de médecine. Mais la musique va bientôt le rattraper. « J’ai appris énormément de choses au Brésil, un pays magnifique et humain où la musique est une grâce du ciel. Ça a été pour moi une découverte extraordinaire. » Enseignant le français à l’Alliance française pour financer ses études, il se met à fréquenter les milieux artistiques, et compose des musiques puis des chansons pour des théâtres locaux avant de finalement décider de rentrer à Paris pour tenter sa chance dans le milieu musical.
Revenu en France, Jean-Pierre Lang connaît alors des débuts difficiles : chambres de bonne, petits boulots aux Halles et cabarets de fortune. Il croise Barbara, Pierre Perret, ou encore Georges Brassens « Un homme merveilleux, dit-il, il m’a hébergé chez lui à Crespières quand j’étais au plus bas et m’a pris en tournée ! J’ai passé deux ans très difficiles, mais j’étais heureux de ma vie , se souvient-il aujourd’hui, même ces galères m’ont formé! ». Sa rencontre avec le producteur Eddie Barclay qui lui signe son premier contrat de disque laisse cependant entrevoir une carrière d’interprète prometteuse. Mais elle va aussitôt s’interrompre à la mort de son père qui le conduit à rentrer auprès de sa mère au Brésil. « J’y suis finalement resté deux ans, raconte-t-il. Entre-temps, Barclay a signé Jacques Brel ! (…) Et par la suite m’a bloqué pour qu’il n’ait pas de concurrence car nous étions sur un même registre musical. Jusqu’au jour où je me suis mis en colère à la manière corse, et j’ai débarqué dans son bureau. Je lui ai dit, tu me rends mon contrat, ou je te fous ton bureau sur la gueule, et il m’a rendu mon contrat dans les secondes qui suivaient, mais ma vie d’interprète était finie ! »
L’homme de l’ombre et des voix
L’auteur va néanmoins rapidement commencer à briller au service des voix des autres. Il se fait connaître, avec la chanson thème du film Les Aventuriers de Robert Enrico. « J’ai commencé à écrire pour les autres, et j’ai eu la chance de faire des tubes. Et, à chaque fois on cartonnait. Donc, à partir de là, j’ai pris mon modeste envol d’homme de l’ombre, car, précise-t-il, quand il y a un tube, le public se focalise sur un interprète, pas forcément sur le nom de l’auteur ! » Multipliant les succès pour Nicole Croisille (« Parlez-moi de lui »), Gérard Palaprat (« Pour la fin du monde »), Carlos (« Papayou »), Guy Mardel (« C’est la primavera », « Ma vie avec toi »), Dalida (« Les p’tits mots »), Michel Fugain (« Le cœur au Sud ») ou encore Céline Dion propulsée sur le devant de la scène avec « D’amour ou d’amitié » qui offrira à Jean-Pierre Lang son premier disque d’or, l’auteur connaît la consécration. « Je n’écris pas pour un interprète, mais pour une voix, explique-t-il, et plus précisément ce pour quoi une voix est faite. Car c’est la voix qui porte la vérité d’un être. » Une vérité que chaque fois il révèle avec talent. Et de se souvenir avec émotion de la voix d’Édith Piaf « Édith Piaf avait une voix qui m’a fait pleurer. La seule fois où je l’ai vue, elle m’a pris trois chansons. Quand elle me les a chantées, j’étais en larmes. Mais elle est morte trois mois après et ne les a donc jamais chantées ! »
Cependant, c’est surtout sa rencontre avec Pierre Bachelet, avec qui il formera un duo fécond qui marquera la mémoire collective. Pour lui, il signe près de 180 chansons dont plusieurs font désormais partie du patrimoine : « Elle est d’ailleurs », « Les Corons » inspiré de sa propre enfance dans la Sarre, « Écris-moi », « Vingt ans »… Autant d’hymnes à la tendresse, à la nostalgie, aux racines. Des textes dans lesquels il glisse toujours un peu de lui : « Tous les textes que j’ai faits pour lui et pour les autres sont des textes qui relèvent de ma propre vie. Moi, ma vie, ça a été le voyage. Pour moi, l’ailleurs existe. “Pour moi, c’est sûr, elle est d’ailleurs…” l’ailleurs, c’est moi… »
Les rencontres et la vie comme matière poétique
Homme de rencontres, il garde en mémoire la générosité de Brassens, la gentillesse de Marcel Amont, ou encore ses échanges passionnés avec Gaston Bachelard, autour « de la cohérence qui naît du chaos ». « J’ai rencontré des gens formidables, et j’ai rencontré aussi des gens qui n’avaient rien à voir avec la chanson ! Ça a été la chance de ma vie. »
Son amitié avec Jacques Kerchache, futur grand spécialiste des Arts premiers, dont Jean-Pierre Lang se passionne également, témoigne de sa curiosité sans frontières : musique, philosophie, arts plastiques, nature – tout l’inspire.
Engagé avant l’heure, il réalise en 1979 « Je t’aime bien ma terre », un album produit par Henri Belolo, qu’il décrit comme « le premier disque écologique de France ». En avance sur son temps, et dit tout de son attachement à la nature et à l’humain. Un projet frappé de malchance, qui n’aura que peu d’écho et mettra un terme définitif à sa carrière de chanteur.
Aujourd’hui, après un demi-siècle de création et de combats, Jean-Pierre Lang regarde sa trajectoire avec sérénité. Ses chansons continuent de vivre, portées par les voix qu’il a révélées. Sa médaille de la SACEM vient saluer non seulement une œuvre, mais une fidélité : celle d’un poète discret, artisan des émotions, qui a su, sans jamais se mettre en avant, défendre la chanson comme un bien commun. « J’ai jeté une bouteille à la mer, et elle est arrivée ! »
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