Instincts primaires

LES VIEUX DÉMONS DE LA POLITIQUE

par Vincent de Bernardi

Invité a intervenir devant le club Corse Sociale et Européenne de Francois Casasoprana il y a quelques semaines, j’avais dressé un tableau sombre de l’état d’esprit des Français à la veille des échéances politiques de la fin de l’année et de 2017. La rentrée n’a pas démenti cette appréciation.

Les inquiétudes sur la sécurité, la menace terroriste, comme la lutte contre l’islam radical mais aussi les préoccupations fortes en matière économique et sociale demeurent à un niveau inégalé. La défiance à l’égard des responsables politiques bat des records. Jamais un président de la République n’a atteint des taux de soutien aussi faibles. Jamais les Français n’ont exprimé un tel désir de changement.
Dans ce climat, le débat politique a pris, sans grande surprise, une mauvaise tournure. Certains n’hésitent d’ailleurs plus à qualifier la campagne pour la primaire de la droite de campagne de caniveau, d’autres à dénoncer une «trumpisation» des candidats.
Dans le flot des commentaires, Jean-Philippe Moinet, fondateur de la Revue Civique explique cette orientation par une volonté de détourner l’élection et de brouiller les clivages. Ainsi, pour lui, Nicolas Sarkozy ne manque pas une occasion d’électriser le débat à l’heure où le Front national cherche à l’apaiser. Dans cette période particulièrement troublée, où notre modèle républicain est percuté par les tentations populistes, par les dérives communautaristes, c’est le moment idéal pour faire resurgir cette injonction nationale : « nous sommes tous des Gaulois ». Quelques jours avant le discours assimilationniste de Nicolas Sarkozy, le journal Libération titrait « Primaire à l’extrême droite ». A l’appui de ce titre provocateur, le quotidien estime aussi que si Nicolas Sarkozy durcit son discours c’est parce que Marine Le Pen tente d’adoucir le sien, au point d’apparaître plus à droite que le Front national.

Terre brulée
Il n’en fallait pas moins pour stigmatiser une campagne et faire tomber le débat dans la querelle stérile. La stratégie de la provocation pour polariser le débat autour de soi est souvent une stratégie de la terre brulée. Elle peut avoir des résultats immédiats, mais nuit aussi considérablement à la représentation politique dans son ensemble. C’est ce qu’analyse Myriam Revault d’Allonnes dans son dernier essai «le Miroir et la Scène ». Si l’organisation de primaires dans notre système politique apporte un surplus de démocratie, cela n’empêche pas de voir progresser le sentiment qu’ont les Français d’être mal représentés. «On déplore que ceux qui nous représentent ne nous ressemblent pas. Il faudrait plus de femmes, de minorités visibles. Comme s’il suffisait que les représentants nous reflètent comme en miroir pour que la représentation politique soit satisfaisante. Avoir un « président normal » permet-il d’assurer une «bonne» représentation ? Là n’est pas le problème. » Myriam Revault d’Allonnes invite à penser la représentation des capacités plutôt que celle des identités.

Coquilles vides
Pour elle, l’élection présidentielle ne représente pas un moment de haute intensité politique, mais plutôt un temps d’hystérisation du débat, qui empêche de comprendre ce qu’est la représentation. Car c’est dans une opération représentative que le peuple devient peuple, lui même autorisant le représentant souverain à le représenter. C’est le champ de la démocratie qu’il faut désormais réinvestir. L’auteure rappelle qu’après les attentats de 2015 et 2016, on a beaucoup dit que les terroristes s’en prenaient à « notre manière de vivre, une manière de vivre démocratique qui implique une façon de parler, d’occuper l’espace public, de penser le rôle des femmes, la liberté d’expression… ». Pour elle, il est grand temps de se donner les moyens de penser et d’éprouver de nouveau la démocratie qui ne doit pas devenir une coquille vide.

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Le sens du combat
Sévères à l’égard du fonctionnement démocratique, les Français ont revu leurs jugements à la hausse après les attaques terroristes comme en témoignent les dernières mesures observées dans le baromètre de la confiance politique du CEVIPOF, même si une majorité d’enquêtés estime que la démocratie fonctionne mal en France (61% – 12 points par rapport à fin 2014). Toutefois, cette adresse aux futurs représentants politiques sonne aussi comme un signal en direction de ceux qui les élisent. Les uns et les autres ne sont, au fond, pas si différents. Flatter les instincts primaires n’a jamais permis d’élever les hommes. Et ce n’est pas le combat politique par nature qui est en cause mais bien la façon de le mener. En dénonçant la nullité du débat et en appelant à penser l’avenir, Alain Juppé a résumé le fondement même de la représentation politique.

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