I Tarruconi, le rire dans tous ses éclats

Spectacle 

La troupe à haut potentiel comique, portée par l’association Teatru nustrali, reviendra bientôt sur scène avec un nouveau spectacle « Costa u Low Cost ». En attendant, elle égaie le quotidien de chacun avec des vidéos postées sur sa page Facebook. En langue corse toujours. 

Par Véronique Emmanuelli

La grande famille burlesque de Teatru nustrali s’élargit. Et, la nouvelle venue sur scène n’est autre que Gaziosa, une avocate toujours prête à transformer ses clients en coupables, à déprimer ou à agresser un touriste. C’est un fait, la dame qui va de crise en crise a la phobie des pinzunti. À Jean-Cam, le psychanalyste aux méthodes fantaisistes et grivoises mais souvent très performantes, de la remettre d’aplomb. Bien sûr, son chemin croisera celui entre autres d’Orsu Leone, de Pasqualona, de Leletta, de Fifina, d’Alessandra, de Waffa, de Tumasgina, de Zia Margarita, celle qui a donné l’impulsion déterminante en 2013, un peu par hasard. 

« Un jour, j’étais assis dans un fauteuil et je réfléchissais. Et puis d’un coup, j’ai imaginé le personnage d’une vieille dame », se souvient Petru Squarcini, pour I Tarruconi de Teatru nustrali. Et, comme il a de la suite dans les idées, il demande aussitôt à son épouse Carole « d’aller prendre une valise que j’avais rangée au fond de l’armoire. À l’intérieur, j’avais rangé les vêtements de ma grand-mère Anghjula Maria ». Il saisit foulards, châles et jupons, se grime à la va-vite et trouve aussitôt une manière réjouissante et pleine d’allant de dire les choses. La séquence fait l’objet d’une vidéo qui sera postée sur le Net, comme une manière d’aller à la rencontre du public. Le défi est relevé avec brio. Zia Margarita, baptisée ainsi de façon spontanée, fait le buzz. Il reste à Petru Squarcini à guider, jour après jour, la truculente Zia à travers la ville et à « peaufiner son personnage », entre rue Fesch, marché, place des palmiers et San Carlu.

Zia Margarita

« Lors de ces premières sorties, je me suis rendu compte que l’usage de la langue corse se perdait, qu’il n’était pas toujours facile de nouer le dialogue avec les gens », se souvient-il. Mais la tante a de solides arguments humoristiques. D’autant que Pasqualona arrive très vite à la rescousse. Les deux complices, au fil de leurs pérégrinations et de leur shopping entre autres, chez Costa, chez Pantalacci, ou à l’occasion d’un marché de Noël à Ajaccio ou Tavera, attirent et génèrent de la sympathie. « Au bout de 2 ou 3 ans, nous nous sommes rendu compte que les gens étaient devenus plus familiers, qu’ils avaient envie de participer. Les belles rencontres se sont enchaînées », raconte-t-il.

Car Margarita et Pasqualona, au-delà de leur savoir-faire comique, ont le don de mettre leurs interlocuteurs en confiance et de créer des connivences. Par la force de leurs origines, elles ont une appréhension très concrète de la réalité locale. 

Alors, à chaque instant, elles seront sur la même longueur d’onde que ceux qu’elles croisent. « Avec Pasqualona, nous sommes natifs des deux plus vieux quartiers de la ville, le San Carlu pour elle et la rue Fesch pour moi. Nous nous connaissions depuis l’âge de 5 ans. Les personnages que nous incarnons renvoient à notre vécu. Par exemple pour Zia Margarita, je me suis inspiré de ma grand-mère et de ses amies. Lorsque j’étais avec elles, je m’intéressais à leurs mimiques, leur gestuelle. J’étais très attentif à leurs propos aussi. »

Il a d’autres souvenirs d’enfance à égrener encore. Ils ramènent du côté de « a marina di i gigi où on se baladait avec nos mères, nos tantes et là on rencontrait du monde, à la glace que l’on dégustait sur la place du Diamant une fois l’été venu. Dans la mémoire de l’Ajaccien coexistent « des discussions de famille », une petite épicerie à un angle de la rue Fesch ou encore une inscription tracée par une main aussi scélérate que taquine sur l’un des murs de San Ruchellu. « Ma formation, elle s’est faite dans la rue Fesch où évoluait tout un petit monde pittoresque et magnifique. Par exemple, Fiffina est celle qui cunosce a cristu e u populu, c’est-à-dire la commère par excellence. C’était un théâtre permanent. J’étais curieux de tout. J’ai accumulé beaucoup d’anecdotes dont je me sers aujourd’hui. L’instinct, l’imagination feront le reste », confie-t-il. Avec un travail assidu qui dépasse les limites des deux séances de répétition hebdomadaires. Pour que le public y croit, il faut donner une forme charnelle aux textes, en « s’imprégnant de son personnage entre les répétitions, en entrant toujours plus dans sa psychologie », insiste-t-on.

Cadeau

Le succès tient encore à la virtuosité des interprètes, à leur capacité à improviser en langue corse toujours et, dans le même mouvement à enrichir la trame écrite par Petru. I Tarruconi unis par la conviction forte que « sape tarrucha sape campa », en français dans le texte, la personne qui sait rire sait vivre, sont aussi des artistes en quête perpétuelle de nouveautés. Dans leur sphère personnelle et au-delà, la « chasse aux personnages hauts en couleurs » constitue un élément clé de la stratégie. Une fois les modèles inspirants identifiés, on forcera un peu l’angle. Ainsi, l’observation, l’écoute « de la rue », sont des réflexes à nourrir et à affermir. Comme la bienveillance. « Nous veillons toujours à ne pas heurter certaines sensibilités »,commentent les comédiens. Ils ont choisi le camp de l’authenticité, de la sincérité et de l’humilité aussi. On n’est pas là pour se pavaner. « Ce que je redoute ce sont les comédiens qui viennent promener leur petit ego sur la scène. En outre, les vidéos que nous tournons, soit dans notre salle de répétition, soit en extérieur, ne sont pas destinées à finir à Hollywood ou dans les salles du cours Florent », s’amusent-ils. Très souvent, c’est le collège Arthur-Giovoni sur la rocade à Ajaccio, où Petru Squarcini est en charge de l’accueil, qui sert de décor grâce à une convention signée avec l’établissement, la ville d’Ajaccio et la collectivité de Corse. 

Quel que soit le site, les artistes obéissent aux mêmes règles. « Nous ressentons d’abord le plaisir que va éprouver la personne qui va regarder ces images. Les sketchs sont écrits et joués pour faire rire le public. Il nous arrive de faire un clin d’œil aux uns et aux autres pour un anniversaire par exemple. C’est comme un cadeau, un don de la vie pour redonner un sourire à quelqu’un. » Le plaisir manifeste d’être ensemble, leur envie de partager sont efficaces pour alléger les drames de l’existence. Fiffina, Margarita, Jean-Cam et les autres, avec leur humour nustrale qui fait mouche, injectent de la joie et de l’espoir. La preuve par les nombreux messages reçus chaque jour ou presque. « Beaucoup de gens nous remercient. Ils disent se sentir moins seuls, moins malades. Ces témoignages sont bouleversants. Nous les gardons précieusement. D’autant que certains de leurs auteurs ne sont plus parmi nous », confient I Tarruconi.

Écoles

Leur approche est sensible, spirituelle aussi. Avant chaque spectacle, ils ont d’ailleurs leur petit rituel. Il s’assimile à un petit moment de recueillement en hommage à l’Immaculée Conception, à Santa Vergine à laquelle Petru Squarcini a consacré la troupe dès sa création. D’ici quelques semaines, la petite troupe remontera sur les planches pour présenter son nouveau spectacle. « Après Pomi e Maccaroni e Puttachjoni, Annus Horribilis, arrive “Costa u Low Cost”, une pièce dont le sujet principal est bien entendu le low cost », explique-t-on. Le verbe sera haut et la farce jubilatoire, comme toujours. Dans l’agenda des Tarruconi figure une version revue et corrigée de Pittura, Cultura et Caricature, d’ores et déjà jouée au musée Fesch et devant un public scolaire à Sartène. Fiffina, Jean-Cam et Pasqualona pourraient rejoindre Orsu Leone et Alessandra. Comme souvent, les premières représentations devraient être pour Ajaccio, ville natale oblige. Les comédiens s’en iront ensuite, « da u pumonte a u cismonte » faire leur tour des villages insulaires. Comme à leur habitude, ils s’installeront sur les places, sans esbroufe, « à l’usu anticu ». Et cela plaît. « Nous sommes toujours accueillis chaleureusement. » On retrouve un peu des amis en somme, comme à l’Espace Diamant à Ajaccio et au Théâtre de Bastia. 

Entre vidéo et spectacles, Petru Squarcini a bâti une programmation qui inclut des ateliers où se mêlent langue corse et théâtre pour le jeune public. Régulièrement, il intervient à l’école Andria-Fazi dans les classes de Gaëlle Paolacci et de Marie-Pierre Poggi. Pour le plus grand plaisir de petits et grands. C’est certain « a risa e una medicina naturale ». 

Tiroir 

Une équipe soudée 

Ils forment le noyau dur : Patru Squarcini, Pasqualona Paoletti, Marie-Jo Peri – à la mise en scène aussi – et Luc Carta. Avec en plus Stéphane Paoletti toujours derrière la caméra. Autour d’eux gravitent des comédiens de talent et de tous âges, dont Marina Branca, les jumeaux Ghjuvan Francescu et Anto Maria Squarcini, Jean-Michel Bisgambiglia, Felicia Degrado, Marie-France Granger.

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