Enfants précoces : entre atout et handicap

On les dit surdoués ou précoces. Ces enfants vont vite, très vite. Pourtant ce qui pourrait être considéré comme une chance peut être source de difficultés. Comment détecter ces enfants à haut potentiel et surtout comment les accompagner ?

Par Caroline Ettori

On estime à 2,3% le taux d’enfants précoces. Un taux invariable qui, rapporté à la France, représenterait 200 000 élèves âgés de 6 à 16 ans. Un chiffre multiplié par deux si on ajoute au haut potentiel intellectuel, le potentiel créatif ou artistique. Une particularité que certains considèrent comme une chance mais qui peut virer au cauchemar pour les principaux concernés. Difficultés, incompréhensions sociales ou scolaires, les obstacles s’accumulent si ces jeunes talents ne sont pas repérés rapidement.

La psychologue Marie-Amélie Garcia, auteur du Journal d’Hugo qui relate le quotidien d’un enfant surdoué revient sur la notion de haut potentiel. « Il existe des tests psychotechniques qui permettent d’établir le potentiel de l’enfant. Ils peuvent passer ces tests à partir de 5 ou 6 ans. Mais au-delà de ces critères objectifs qui fixent le haut potentiel à 130 de QI, des traits caractéristiques peuvent être repérés avant même les tests d’identification. Par exemple, un enfant très jeune et particulièrement éveillé et tonique, un enfant « hyper », hyper sensible, hyper émotif, hyper décidé, un enfant avec une mémoire extraordinaire, avec des questionnements sur la mort… Même si chaque cas est différent, ces caractéristiques reviennent régulièrement. Ces enfants peuvent être aussi colériques sans que leurs parents ne comprennent pourquoi. Ces derniers sont souvent démunis face à leurs réflexions ou leur comportement. »

Intellect vs affect

Des parents qui peuvent se faire aider par des psychologues pour un accompagnement personnalisé de leur petit prodige et par des associations telles que l’Afep. Sébastien Monciovi est responsable de l’association française pour les enfants précoces en Haute-Corse. Il souhaite avant tout faire tomber les préjugés : « Ces enfants sont souvent partagés entre un intellect plus développé que les enfants de leur âge et un émotionnel qui sera en deçà de leur âge. Cet éclatement peut être une vraie souffrance. » Dans ce contexte, l’Afep a mis en place différentes actions pour tendre la main aux familles. « L’association est présente en Haute-Corse et en Corse-du-Sud depuis mai 2018 redynamisée par quelques bénévoles. S’agissant de la Haute-Corse, nous avons organisé une permanence téléphonique pour que les parents puissent parler aux représentants de l’association et recevoir des conseils. Il y a bien sûr un groupe Facebook, assez actif, qui compte 207 membres avec 70 enfants à haut potentiel détectés. Les réseaux sociaux permettent sans aucun doute de faciliter l’interaction et le dialogue. Et dernièrement, nous avons organisé une conférence avec le spécialiste Jean-François Laurent dont le thème était les tempêtes émotionnelles chez l’enfant à haut potentiel à l’école et à la maison. À termes, nous souhaiterions mettre en place des cafés-rencontres entre parents, et entre enfants. Un pique-nique est d’ailleurs prévu au mois de mai à Vizzavona pour que les familles de Haute-Corse et de Corse-du-Sud puissent échanger. »

Du côté des parents justement, les déséquilibres émotionnels sont autant de sources d’inquiétudes. Pascale Balenci est coach pour adultes à haut potentiel mais surtout maman d’un enfant précoce. Elle se souvient de la période qui a précédé la confirmation de la précocité. « Il y a une différence entre ce qui pourrait être considéré comme des caprices et un vrai malaise émotionnel. On voit bien que notre enfant a des problèmes comportementaux. L’incompréhension passée, nous nous sommes rapprochés d’un psychothérapeute qui nous a orientés vers un professionnel spécialisé. Les tests ont été programmés. Le but est de permettre aux parents de poser des mots sur ces maux. Une fois qu’on a mis le doigt dessus, c’est un soulagement. On va se renseigner pour accompagner au mieux notre enfant et mettre en lumière son identité. Parce qu’on sent qu’il se passe des choses, on sent le potentiel. »

Sur les bancs de l’école

Quel rôle joue l’école dans ce processus ? Kelly Raieri, conseillère pédagogique de l’Éducation nationale, répond. « Le haut potentiel est une problématique qui fait partie des préoccupations de l’Éducation nationale notamment dans le cadre de l’école inclusive. L’école a un double rôle : celui de repérage, il est évident que pour que le diagnostic soit posé, il faut qu’une personne ait émis cette hypothèse. Il peut s’agir d’un professeur et dans ce cas, l’école a un rôle fort à jouer au même titre d’ailleurs que les familles et que les professionnels qui gravitent autour des enfants. Et puis, un rôle d’accompagnement. Chaque élève doit se voir proposer des réponses adaptées en fonction certes des difficultés et des besoins mais aussi en s’appuyant sur ses centres d’intérêt. »

Pourtant, pour beaucoup d’enfants précoces, le parcours scolaire n’est pas un long fleuve tranquille. « Ces enfants ont besoin de mettre du sens dans tout ce qu’ils font et ont besoin d’être motivés. D’ailleurs, beaucoup ont du mal à faire la différence entre le professeur et la matière qu’il enseigne parce que pour eux, l’affect est très important », rappelle Pascale Balenci. Pour Marie-Amélie Garcia, l’école peut être synonyme de déceptions. « Si on compare l’école à une cantine, ces enfants sont vite en dénutrition. En plus, ils peuvent se sentir seul au monde. » En effet, selon les spécialistes, il y aurait un élève précoce par classe et la tendance n’est plus vraiment au regroupement des hauts potentiels.

« Dans le droit fil de l’école inclusive, les élèves intellectuellement précoces comme tous les autres élèves à besoin éducatif particulier doivent être scolarisés dans une classe « ordinaire ». Je pense que c’est une chance pour le collectif parce que ça permet de travailler l’acceptation de la différence. Et puis ce qui est préconisé pour les élèves intellectuellement précoces est souvent très bénéfique pour l’ensemble des élèves », précise Kelly Raieri.

Au final, la précocité est-elle un atout ou un handicap pour ces tout jeunes esprits ? Pascale Balenci résume : « Même si au départ elle peut être vécue comme un fardeau, il faut s’en servir comme un cadeau. » Et pour alléger le poids de ce cadeau parfois lourd à porter pour de si jeunes épaules, peut-être que nous, humbles quotients intellectuels moyens, pourrions les regarder moins comme des singes savants que comme des enfants qui certes, n’ont pas fini de nous surprendre.

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