Edmond Simeoni: Au panthéon de l’histoire corse

Carnet noir

Tout le monde l’appelait Edmond, attestant ainsi qu’il faisait partie intégrante de toute la société insulaire au-delà de ses diversités. Sa mort laisse en partage un acquis et une perspective, dans une communauté qui en grande partie grâce à lui retrouva sa dignité.

Il est des êtres qui semblent défier le sablier du temps. Edmond Simeoni en faisait partie. L’implication, la force de conviction, l’humanisme, le militantisme étaient ses compagnons de route qui paraissaient éternels. La grande faucheuse l’a pourtant rattrapé. Transformant aussitôt le symbole d’une lutte en icône de notre histoire contemporaine. Cette mort qu’il avait su regarder en face. Fidèle à son crédo de ne jamais subir.

L’unité d’un individu affirme le philosophe est faite d’éléments différents, parfois contradictoires, qui répondent souvent aux situations de l’instant. Nul n’échappe à cette dualité personnelle. Mais transcendant ces postulations, celui qui repose à jamais dans son Niolu natal fut toujours fidèle à une doctrine forgée dans l’airain. Exclusivement vouée à la Corse et ses habitants. Elle eut certes ses contradicteurs, mais chacun s’accorde désormais à dire et affirmer qu’il contribua par la parole et l’action à faire, sinon admettre à tout le moins comprendre, chez nous et dans l’Hexagone, une spécificité confinant au droit à la différence.

Le scandale des « boues rouges » et celui de l’Argentella déclenchèrent sa colère. À l’image de l’épisode de la Testa Ventilegne que l’escroc Samuel Flatto voulait défigurer en créant au mépris des lois un gigantesque complexe touristique. Trois exemples parmi d’autres consacrant l’indifférence des structures étatiques de l’époque à l’égard d’une île. Par ailleurs superbement ignorée dans son sous-développement endémique.

 

L’injuste force de la loi

Certes, les années polissent les aspérités. Bien sûr la crispation s’atténue et le grand malentendu entre la Corse et Paris n’a plus la même acuité. Pour autant, ici et à jamais, Edmond Simeoni sera dans l’inconscient collectif la figure emblématique des tragiques événements d’Aleria. Un scandale de la vinasse, la chaptalisation par des pinardiers fraudeurs, dans l’assourdissant silence des organismes de contrôle. Michel Poniatowski, ministre de l’Intérieur désireux d’en découdre contre ces Corses « qui avaient un chromosome en plus, celui du crime ». Le décor était planté. L’assaut, les morts, les blessés, en ce jour d’août 1975 éclaboussé de sang. Émeutes à Bastia. L’île tétanisée. État de siège. Une médiatisation internationale. La tristesse dans chaque camp. Et sur les bords de la Seine, l’esquisse d’une réflexion nourrie par ce que certains juristes qualifient parfois « d’injuste force de la loi ». La juridiction spéciale devint tribune politique pour celui qui assumait toutes les responsabilités. Il fit un vibrant plaidoyer pour une Corse injustement sacrifiée sur l’autel de la normalisation forcée. Durant plus d’une heure, sans note, laissant parler son cœur et sa sincérité, le leader de l’Action régionaliste flétrit la surdité et l’aveuglement d’un système jacobin obsolète. Incita au dialogue constructif qui bannirait des rapports de suzerain à vassal. Rarement sans doute la dialectique du tribun n’émut autant un auditoire et paradoxalement ses juges. D’autant qu’il fut en incidence rappelé qu’au plus fort de l’assaut des gendarmes, le combattant Edmond Simeoni redevint médecin, ramenant à la vie une personne en détresse cardiaque !

 

Du parcours au destin

Et nous revoilà plongés dans cette ambivalence d’une violence dictée par les circonstances, et cette inextensible soif d’altruisme d’un praticien, en tenue de combat, pratiquant les gestes qui sauvent lors d’une scène de guerre !

Ceux qui le connurent savent qu’il fut constamment confronté à ce pesant dilemme. Il l’assaillit souvent, l’interrogea parfois et forgea, en conscience, un parcours pétri dans la noblesse des convictions qui fomentent un destin.

Tels se remémoreront son élection à la première assemblée régionale, et les deux suivantes. D’autres celle de conseiller municipal de Bastia. Plus récemment la création de « Corsica Diaspora », ou pêle-mêle une implication dans de nombreux collectifs dont celui de la précarité. Sans oublier son adhésion pleine et entière aux luttes des femmes. Ici on évoquera ses nombreuses publications. Là sa présence jusqu’à son dernier souffle sur les réseaux sociaux. Apportant avec humilité sa contribution au débat public.

 

La mystique de la liberté

Mais au-delà de cette richesse intellectuelle matérialisée par le verbe et l’écrit Edmond Simeoni refusait d’être placé sur quelque piédestal, ou engoncé dans des qualificatifs élogieux. Par contre, il adhérait pleinement à formule d’Albert Camus : « La liberté, seule valeur impérissable de l’Homme. » Telle était finalement ce qui lui importait vraiment. À l’évidence, cette croyance, presque une mystique, de briser les invisibles chaînes, politiques, culturelles, économiques, institutionnelles, qui entravent le progrès partagé et l’émancipation des peuples dictèrent pendant plus d’un demi-siècle son parcours hors du commun.

Des erreurs ? Sans doute en commit-il. Avec courage et lucidité, il évoqua à l’hiver de sa vie la nécessaire autocritique, qui ne signifiait cependant pas dans son esprit l’auto-flagellation. Cette concession au nom de la vérité loin de l’affaiblir consolide sa stature. Celle d’un personnage dépourvu de vérité révélée et d’intemporelles certitudes. En contrepoint, elle laisse deviner des failles qui l’humanisent, le font douter. Nourrissent la réflexion. Incitent à l’introspection. Sans toutefois le détourner de sa quête ultime, qui privilégie l’essentiel et ampute l’accessoire.

 

L’autonomie en héritage

La finalité ? Elle tenait en peu de mots qui valent témoignage posthume : « L’enjeu de la Corse n’est pas de savoir si elle va être autonome, mais de savoir comment elle va l’assumer. »

Une sorte d’adresse au nom du fils, mais aussi à tous ceux qui revendiquent pleinement ou de manière parcellaire son héritage. Et en filigrane, si on sait lire derrière les mots, le salut posthume à cette Corse que l’homme à l’éternelle casquette vissée sur la tête aimait par-dessus tout. S’épuisait pour elle. Jusqu’à en oublier ses graves insuffisances cardio-vasculaires…

 

Paroles de Corse s’incline devant cette tombe fraîchement scellée, dépose un bouquet d’immortelles et renouvelle à sa veuve Lucie, à ses enfants Gilles et Marc, à son frère Max, ainsi qu’à toutes les personnes que ce deuil afflige ses condoléances émues.

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