Dégagisme, acte 2


La dernière livraison du baromètre de la confiance politique du CEVIPOF sonne comme un véritable signal d’alarme. De très nombreux indicateurs sont au rouge. De quoi inquiéter les responsables politiques et les inciter à agir vite, s’il en est encore temps.

Par Vincent de Bernardi

L’analyse de Bruno Cautrès, chercheur au CNRS est particulièrement alarmiste. Nombres de résultats n’ont jamais été aussi mauvais depuis 10 ans. La défiance politique atteint des niveaux inégalés et s’accompagne d’une colère qui jusqu’à présent ne s’exprimait pas violemment.

Cette vague 10 du baromètre réalisée en décembre, au beau milieu des manifestations décrit une France « incroyablement crispée ». « Les mots que les Français utilisent le plus pour caractériser leur état d’esprit général appartiennent à un répertoire sémantique sombre et pessimiste », souligne Bruno Cautrès. Ils se disent las, défiants et moroses. Cet état d’esprit s’accompagne d’une remise en cause des institutions politiques, proclamée dans les revendications des gilets jaunes, dans leurs slogans et leurs actes notamment en appelant à « marcher sur l’Elysée » ou en s’attaquant à des préfectures ou des ministères.  Cette crise a d’une part, réactivé un fort potentiel protestataire et d’autre part, amené un certain nombre de Français à considérer que manifester est au moins aussi efficace que voter pour se faire entendre. On a vu à quel point, sur les plateaux de télévision, les porte-paroles des gilets jaunes renâclaient à condamner les violences, qui incontestablement ont ébranlé le pouvoir et permis d’obtenir les premières mesures. 

Macron en berne

Bruno Cautrès précise que jamais en dix ans ce baromètre n’avait enregistré un niveau de confiance si bas pour l’institution présidentielle, le gouvernement, l’Assemblée nationale ou le Sénat. Seuls les maires et des conseils municipaux bénéficient d’une confiance en hausse. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Emmanuel Macron, en lançant son grand débat, a choisi de s’appuyer sur eux, après les avoir négligés  sinon ignorés depuis le début de son mandat.

Ce gouffre de défiance à l’égard des institutions politiques se double d’une « descente aux enfers » pour ceux qui en ont la charge : le président de la République chute de 13 points de confiance (23% de confiance) et le Premier ministre de 11 points (25% de confiance).

Mais c’est surtout Emmanuel Macron lui-même qui dévisse. Il y a un an, dans la vague précédente du baromètre, il occupait la première place du classement. Aujourd’hui seuls 20% des Français déclarent lui faire confiance. Certes, quelques enquêtes montrent depuis le début de l’année un léger redressement de la confiance consécutif à un investissement dans le débat, à grand renfort de médiatisation. Mais fondamentalement, le lien est rompu.

Ce résultat est d’autant plus cruel pour Emmanuel Macron que, pour la première fois, c’est Marine Le Pen qui est en tête de la confiance dans les personnalités politiques. « Lorsque l’on regarde de près les dynamiques de cette défiance vis-à-vis d’Emmanuel Macron, on voit que c’est le groupe de ceux qui déclarent qu’ils avaient confiance en lui et l’ont perdue qui progresse le plus » précise Bruno Cautrès.

Le test des européennes

Pour le CEVIPOF, c’est par un choc de défiance politique que s’est terminée l’année 2018. La profondeur et l’historique de ce baromètre permettent d’en analyser les ressorts. Il y a plus qu’un divorce entre les Français et leurs responsables politiques. Les distances sociales, les inégalités et les injustices provoquent des gouffres d’incompréhension entre les Français les plus socialement fragiles et l’univers de la politique. Ainsi, parmi les chômeurs, 74% pensent que « les hommes politiques ne se soucient que des riches et des puissants » ; c’est 76% parmi les ouvriers. Et c’est 91% parmi ceux qui déclarent tout à fait soutenir le mouvement des gilets jaunes ! Bruno Cautrès souligne à cet égard que « la trame narrative du soutien à ce mouvement est fondée sur ce que le politiste Samuel Hayat a appelé l’économie morale. Les indicateurs de soutien à la justice sociale sont tous à la hausse. »

Au sortir du grand débat, le scrutin européen aura valeur de test. Si l’entrée dans l’arène politique d’une liste « gilets jaunes » peut brouiller le jeu et disloquer un mouvement qui se vante d’être spontané et apolitique, c’est surtout la participation qui devra être scrutée à la loupe. Son niveau pourra donner une indication sur la hauteur et la nature de la prochaine vague dégagiste.

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