Décomposition démocratique

C’est une étude qui fait froid dans le dos. Sous l’égide de la fondation pour l’innovation politique, elle montre combien, la démocratie est malmenée. Et c’est surtout chez les jeunes générations, qu’elle apparaît la plus fragile.

Par Vincent de Bernardi

Ce n’est pas la première fois qu’une enquête décortique la perception des démocraties. Les dernières vagues du baromètre de la confiance politique, réalisées par le Cevipof, avaient souligné qu’auprès d’un échantillon représentatif des Français, la démocratie n’était plus considérée comme le meilleur des systèmes. Cette fois-ci, l’échantillon est plus large. L’institut Ipsos a interrogé 36 395 personnes dans 42 pays différents (dont tous les pays membres de l’Union européenne), en 33 langues.

On la croyait inaltérable, là où elle s’était installée. On pensait même que l’effondrement du bloc soviétique au début des années 90 avait fait naître ou renaître des états résolument démocratiques, respectant la liberté d’expression, le multipartisme, les élections libres, la séparation des pouvoirs…

Partout, de l’Est à l’Ouest, fleurissent ce que l’on a appelé des « démocratures » ou des démocraties « illibérales » forme dégradée de nos démocraties vues par de plus en plus d’électeurs comme faibles, inefficaces, laxistes. De l’Amérique de Trump en passant par le Brésil de Bolsonaro, de la Hongrie d’Orbán à l’Italie du couple Di Maio-Salvini, ces avatars de démocratie progressent et séduisent. Une simple comparaison des cotes de popularité des différents leaders suffit à comprendre la situation. Les leaders populistes conservent davantage la confiance de leurs électeurs que les « progressistes » qui sombrent dans les abîmes de l’impopularité.

Tentation radicale

Cette étude révèle nettement un affaissement généralisé de l’attachement à la démocratie.

En Europe, « l’opinion selon laquelle la démocratie ne fonctionne pas bien domine largement », souligne le politologue Dominique Reynié, directeur de la Fondapol. L’État est jugé incapable de répondre aux défis multiformes qui nous menacent ; le gouvernement, les élus, inaptes à mettre en œuvre les programmes pour lesquels ils ont été choisis par les électeurs. Les institutions, les marchés financiers, des multinationales suscitent un rejet massif. Cette défiance touche particulièrement les jeunes générations qui doutent de la transparence des élections et sont plus prompts que leurs aînés à se laisser séduire par la théorie du complot.

Pour Dominique Reynié, « les gens voient que le monde est en train de changer, savent qu’un État n’est pas de taille à répondre, seul, aux défis climatique et terroriste, aux grandes crises financières, aux mouvements migratoires (…) Le régime démocratique peut paraître inadapté à ce nouveau monde. D’ailleurs, les sondés évoquent, pour gouverner, un collège d’experts ou un homme fort qui n’aurait pas à se préoccuper du Parlement ni des élections, une forme de dictature ». C’est « la tentation radicale d’un recours à la force et au leadership autoritaire », ajoute la politologue Anne Muxel, spécialiste de la jeunesse

Candidats anti-système

Les jeunes considèrent que les menaces contre la démocratie doivent justifier une ingérence militaire (53% des moins de 35 ans contre 39% des 60 ans et plus). Et ils sont aussi plus nombreux à envisager la possibilité d’un pouvoir militaire pour gouverner le pays (31% contre 11%). Il s’agit là d’un glissement très net. La génération qui n’a pas connu de guerres, qui n’a pas nourri de sentiment antimilitariste, plébiscite les institutions d’ordre. Dominique Reynié souligne que, plus que d’autres, les jeunes, exposés à la violence du monde, notamment via les réseaux sociaux, attendent un système autoritariste, sinon autoritaire. Si les jeunes s’abstiennent massivement aux élections, quand ils votent, ils soutiennent davantage les candidats anti-système issus des partis populistes. Ainsi, le mouvement 5 étoiles en Italie les séduit, comme la Lega de Matteo Salvini. En France, les 18-24 ans, et principalement les peu diplômés, soutiennent fortement le Rassemblement national.

Le grand défi

Cette enquête montre qu’il existe un phénomène profond de déconsolidation démocratique. Ce qui fait dire à Dominique Reynié qu’il « tient pour certain que la démocratie n’a aucune raison d’être persuadée de durer ». C’est là tout le défi des dirigeants au niveau national comme au niveau local de faire preuve de leur efficacité à mener les politiques publiques pour lesquelles ils ont été élus.

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